Le projet pilote du collectif Orbia vise à renaturer et réhumaniser la haute vallée de l’Orge. Inspiration à Bruyères-le-Châtel.

Réhumanisons les politiques de l’eau

Dossier : Les politiques publiques de l'eauMagazine N°798 Octobre 2024
Par François PATRIAT

Les poli­tiques de l’eau ont une inci­dence consi­dé­rable sur la vie de nos conci­toyens, mais ces der­niers sont aus­si res­pon­sables de leur mise en œuvre. Il faut déve­lop­per la res­pon­sa­bi­li­té des citoyens dans la ges­tion qua­li­ta­tive et quan­ti­ta­tive de l’eau, ce qui veut dire réhu­ma­ni­ser ces politiques.

En tant qu’élu d’un dépar­te­ment viti­cole, je ne puis que me faire le relai de l’importance de l’eau dans notre vie quo­ti­dienne. Le vin, après tout, c’est essen­tiel­le­ment de l’eau avec un peu d’alcool. Mes res­pon­sa­bi­li­tés diverses au cours d’une longue car­rière poli­tique m’ont ame­né à être à de nom­breuses reprises en rela­tion avec le domaine de l’eau de façon directe, en tant qu’administrateur de Voies navi­gables de France ou encore comme ministre de l’Agriculture. J’ai pu ain­si obser­ver les diverses évo­lu­tions euro­péennes et natio­nales des poli­tiques de l’eau, dans un effort per­ma­nent d’adaptation aux grands enjeux de cet élé­ment fon­da­men­tal pour notre éco­no­mie et tout sim­ple­ment notre santé.

Impliquer l’humain

Les outils poli­tiques au ser­vice de l’eau sont de plus en plus robustes et sophis­ti­qués. La gou­ver­nance des poli­tiques de l’eau est ain­si abor­dée au tra­vers du pré­sent dos­sier dans toutes ses dimen­sions : du local à l’européen et même à l’extracommunautaire. Les col­lec­ti­vi­tés locales, soit direc­te­ment soit réunies en syn­di­cat, les agences de l’eau, les orga­ni­sa­tions inter­na­tio­nales jouent un rôle fon­da­men­tal. Les par­ties pre­nantes de la vie éco­no­mique et sociale se sont aus­si orga­ni­sées. Pour com­plé­ter ce dis­po­si­tif com­plexe et riche, j’aimerais déve­lop­per un plai­doyer sur la néces­si­té d’impliquer l’humain dans la ges­tion des poli­tiques de l’eau, c’est-à-­dire mettre nos conci­toyens en situa­tion de res­ponsabilité. Certes, les femmes et hommes poli­tiques ont un rôle de re­présenta­tion à jouer, et d’impulsion. Celui-ci, pour être indis­pensable, n’est cepen­dant pas suf­fi­sant. Il est impor­tant que chaque per­sonne joue son rôle dans la ges­tion tant de la qua­li­té que de la quan­ti­té d’eau.

Propriétaires et usagers

His­to­ri­que­ment, le droit de l’eau a tou­jours exis­té, impli­quant « la base », fai­sant une large place aux com­mu­nau­tés, aux uti­li­sa­teurs et aux pro­prié­taires, réunis soit dans des syn­di­cats, soit dans des coopé­ra­tives. C’est le concept de « tenure », que nous essayons de remettre au goût du jour dans le think tank que je pré­side. La ques­tion de la pro­prié­té des rivières et de l’eau, et des droits et devoirs qui y sont atta­chés, sup­pose une arti­cu­la­tion très étroite entre la pro­prié­té publique et la pro­prié­té pri­vée. On ne peut pas gérer l’eau sans impli­quer les pro­prié­taires qui doivent mettre en œuvre des politiques.

“Mieux vaut une adhésion volontaire et partenariale.”

Mais il faut aller plus loin. On doit aus­si infor­mer et moti­ver les usa­gers quo­ti­diens de l’eau, pour qu’ils intègrent les contraintes de ges­tion en matière par exemple d’eaux usées ou d’arrosage. Mieux vaut une adhé­sion volon­taire et par­te­na­riale, plu­tôt que des pres­crip­tions régle­men­taires, par­fois obs­cures, peu connues et sou­vent moins effi­caces. De nom­breuses ini­tia­tives en France ont été por­tées à la connais­sance du public au cours des années récentes. Le think tank que je pré­side tente de déga­ger des pro­jets pilotes afin de ser­vir d’exemple dans cette prise de conscience.

Un projet exemplaire

J’aimerais men­tion­ner le pro­jet ORBIA, sur la rivière de l’Orge, qui est un affluent de la Seine dans l’Essonne. Ce pro­jet est ori­gi­nal parce qu’il est d’initiative citoyenne. Il vise à réunir pro­prié­taires, rive­rains et col­lec­ti­vi­tés locales pour réta­blir la conti­nui­té éco­lo­gique (c’est-à-dire la pos­si­bi­li­té pour les pois­sons d’aller et venir dans la rivière sans obs­tacle et pour les sédi­ments d’être éva­cués librement).

Ce pro­jet vise aus­si à ména­ger et déve­lop­per la richesse patri­mo­niale que repré­sentent les mou­lins sécu­laires pla­cés sur la rivière. Il s’attaque à un sujet très pré­oc­cu­pant en Île-de-France, mais aus­si hélas très pré­sent ailleurs en France et dans le monde, avec l’intention de dépol­luer les ter­rains et friches indus­trielles et les nappes phréa­tiques. Il vise enfin à amé­lio­rer le cadre de vie, notam­ment à ouvrir l’accès de la rivière au public. La tâche est com­plexe du fait de la mul­ti­tude des acteurs impli­qués. L’examen de nos pro­jets pilotes m’amène à trois considérations.

Question de long terme

Tout d’abord, ces pro­jets sont tou­jours des pro­jets de long terme, qui dépassent les cycles poli­tiques, et même l’échéance de la vie humaine. Il est impor­tant de construire une sta­bi­li­té ins­ti­tu­tion­nelle et émo­tion­nelle dans l’adhésion à la rivière et à l’exigence d’une eau propre et har­mo­nieu­se­ment répar­tie. La poli­tique de l’eau est une poli­tique du temps long. En ce sens, c’est une poli­tique qui n’est pas politicienne.

Question de coût

Ensuite, les poli­tiques de l’eau peuvent être très coû­teuses. L’entretien de l’eau, des rivières et des nappes phréa­tiques trop sou­vent oubliées, la pré­ven­tion des pol­lu­tions, voire le trai­te­ment des pol­lu­tions his­to­riques, ont sou­vent un coût éle­vé. Je crois qu’il ne faut pas cacher cet aspect ; il est impor­tant que nos citoyens aient conscience du coût de l’eau. Mais cet argu­ment ne peut pas être uti­li­sé pour jus­ti­fier l’inaction. L’argument du coût trop éle­vé ne suf­fit pas pour jus­ti­fier une abs­ten­tion de ges­tion de l’eau.

Question d’adhésion

Enfin, une des façons de cor­ri­ger ce qui pour­rait paraître comme un élé­ment blo­quant, du point de vue éco­nomique ou finan­cier, c’est de ren­for­cer l’adhésion et l’implication indi­vi­duelle. Si chaque per­sonne a connais­sance des prin­cipes de ges­tion de l’eau qui s’appliquent à son ter­ri­toire, les intègre dans son com­por­te­ment parce qu’ils lui semblent évi­dents et natu­rels, qu’elle a le sen­ti­ment que ses inté­rêts propres et l’intérêt géné­ral sont bien en phase et qu’elle prend des ini­tia­tives per­ti­nentes et éclai­rées en ce sens en étant encou­ra­gée à le faire, alors la mobi­li­sa­tion est géné­rale et le com­bat peut être gagné. En revanche, si des pra­tiques finan­cières ou régle­men­taires per­çues comme puni­tives, mena­çantes ou exces­si­ve­ment précaution­neuses sont mises en place, on risque gran­de­ment d’avoir une inef­fi­ca­ci­té de l’action collective.

Dimension symbolique et technologie

C’est pour­quoi la dimen­sion sym­bo­lique qui s’applique à la poli­tique de l’eau doit être pré­sente à l’esprit des femmes et des hommes poli­tiques, des res­pon­sables de plai­doyer, des acteurs éco­no­miques, des pro­prié­taires et des usa­gers. L’eau est un bien com­mun exi­geant et redou­table. L’eau nous accom­pagne et nous fait vivre. Mais elle peut nous détruire. C’est impor­tant que la res­pon­sa­bi­li­té de cha­cun soit bien claire dans nos esprits, pour que le tra­vail en com­mun puisse se réa­li­ser efficacement. 

J’ajouterai un der­nier élé­ment, puisque j’ai le plai­sir d’écrire dans la revue des anciens élèves de l’École poly­tech­nique. Après avoir bien insis­té sur les aspects de moti­va­tion, voire moraux, de la ges­tion de l’eau, je ne puis que rap­pe­ler l’importance de l’innovation et du pro­grès tech­no­lo­gique comme pré­sen­tant des solu­tions aux pro­blèmes ren­con­trés. La moti­va­tion et le finan­ce­ment ne suf­fisent pas : il faut une bonne techno­logie. C’est pour­quoi la commu­nauté poly­techni­cienne a une res­pon­sa­bi­li­té par­ti­cu­lière, celle de conti­nuer sans relâche à objec­ti­ver scientifique­ment les débats par­fois pas­sion­nés sur le sujet de l’eau et à pro­po­ser des solu­tions et des inno­va­tions technologiques. 

La poli­tique de l’eau n’est pas une poli­tique du temps jadis. Ce n’est pas la poli­tique du temps pas­sé, ni seule­ment celle du temps pré­sent : c’est la poli­tique du temps qui vient. Et c’est la poli­tique du temps long. Tous les avan­tages de la créa­ti­vi­té et de la soli­da­ri­té humaine doivent être mobi­li­sés au ser­vice de cette politique. 

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