Réhumanisons les politiques de l’eau
Les politiques de l’eau ont une incidence considérable sur la vie de nos concitoyens, mais ces derniers sont aussi responsables de leur mise en œuvre. Il faut développer la responsabilité des citoyens dans la gestion qualitative et quantitative de l’eau, ce qui veut dire réhumaniser ces politiques.
En tant qu’élu d’un département viticole, je ne puis que me faire le relai de l’importance de l’eau dans notre vie quotidienne. Le vin, après tout, c’est essentiellement de l’eau avec un peu d’alcool. Mes responsabilités diverses au cours d’une longue carrière politique m’ont amené à être à de nombreuses reprises en relation avec le domaine de l’eau de façon directe, en tant qu’administrateur de Voies navigables de France ou encore comme ministre de l’Agriculture. J’ai pu ainsi observer les diverses évolutions européennes et nationales des politiques de l’eau, dans un effort permanent d’adaptation aux grands enjeux de cet élément fondamental pour notre économie et tout simplement notre santé.
Impliquer l’humain
Les outils politiques au service de l’eau sont de plus en plus robustes et sophistiqués. La gouvernance des politiques de l’eau est ainsi abordée au travers du présent dossier dans toutes ses dimensions : du local à l’européen et même à l’extracommunautaire. Les collectivités locales, soit directement soit réunies en syndicat, les agences de l’eau, les organisations internationales jouent un rôle fondamental. Les parties prenantes de la vie économique et sociale se sont aussi organisées. Pour compléter ce dispositif complexe et riche, j’aimerais développer un plaidoyer sur la nécessité d’impliquer l’humain dans la gestion des politiques de l’eau, c’est-à-dire mettre nos concitoyens en situation de responsabilité. Certes, les femmes et hommes politiques ont un rôle de représentation à jouer, et d’impulsion. Celui-ci, pour être indispensable, n’est cependant pas suffisant. Il est important que chaque personne joue son rôle dans la gestion tant de la qualité que de la quantité d’eau.
Propriétaires et usagers
Historiquement, le droit de l’eau a toujours existé, impliquant « la base », faisant une large place aux communautés, aux utilisateurs et aux propriétaires, réunis soit dans des syndicats, soit dans des coopératives. C’est le concept de « tenure », que nous essayons de remettre au goût du jour dans le think tank que je préside. La question de la propriété des rivières et de l’eau, et des droits et devoirs qui y sont attachés, suppose une articulation très étroite entre la propriété publique et la propriété privée. On ne peut pas gérer l’eau sans impliquer les propriétaires qui doivent mettre en œuvre des politiques.
“Mieux vaut une adhésion volontaire et partenariale.”
Mais il faut aller plus loin. On doit aussi informer et motiver les usagers quotidiens de l’eau, pour qu’ils intègrent les contraintes de gestion en matière par exemple d’eaux usées ou d’arrosage. Mieux vaut une adhésion volontaire et partenariale, plutôt que des prescriptions réglementaires, parfois obscures, peu connues et souvent moins efficaces. De nombreuses initiatives en France ont été portées à la connaissance du public au cours des années récentes. Le think tank que je préside tente de dégager des projets pilotes afin de servir d’exemple dans cette prise de conscience.
Un projet exemplaire
J’aimerais mentionner le projet ORBIA, sur la rivière de l’Orge, qui est un affluent de la Seine dans l’Essonne. Ce projet est original parce qu’il est d’initiative citoyenne. Il vise à réunir propriétaires, riverains et collectivités locales pour rétablir la continuité écologique (c’est-à-dire la possibilité pour les poissons d’aller et venir dans la rivière sans obstacle et pour les sédiments d’être évacués librement).
Ce projet vise aussi à ménager et développer la richesse patrimoniale que représentent les moulins séculaires placés sur la rivière. Il s’attaque à un sujet très préoccupant en Île-de-France, mais aussi hélas très présent ailleurs en France et dans le monde, avec l’intention de dépolluer les terrains et friches industrielles et les nappes phréatiques. Il vise enfin à améliorer le cadre de vie, notamment à ouvrir l’accès de la rivière au public. La tâche est complexe du fait de la multitude des acteurs impliqués. L’examen de nos projets pilotes m’amène à trois considérations.
Question de long terme
Tout d’abord, ces projets sont toujours des projets de long terme, qui dépassent les cycles politiques, et même l’échéance de la vie humaine. Il est important de construire une stabilité institutionnelle et émotionnelle dans l’adhésion à la rivière et à l’exigence d’une eau propre et harmonieusement répartie. La politique de l’eau est une politique du temps long. En ce sens, c’est une politique qui n’est pas politicienne.
Question de coût
Ensuite, les politiques de l’eau peuvent être très coûteuses. L’entretien de l’eau, des rivières et des nappes phréatiques trop souvent oubliées, la prévention des pollutions, voire le traitement des pollutions historiques, ont souvent un coût élevé. Je crois qu’il ne faut pas cacher cet aspect ; il est important que nos citoyens aient conscience du coût de l’eau. Mais cet argument ne peut pas être utilisé pour justifier l’inaction. L’argument du coût trop élevé ne suffit pas pour justifier une abstention de gestion de l’eau.
Question d’adhésion
Enfin, une des façons de corriger ce qui pourrait paraître comme un élément bloquant, du point de vue économique ou financier, c’est de renforcer l’adhésion et l’implication individuelle. Si chaque personne a connaissance des principes de gestion de l’eau qui s’appliquent à son territoire, les intègre dans son comportement parce qu’ils lui semblent évidents et naturels, qu’elle a le sentiment que ses intérêts propres et l’intérêt général sont bien en phase et qu’elle prend des initiatives pertinentes et éclairées en ce sens en étant encouragée à le faire, alors la mobilisation est générale et le combat peut être gagné. En revanche, si des pratiques financières ou réglementaires perçues comme punitives, menaçantes ou excessivement précautionneuses sont mises en place, on risque grandement d’avoir une inefficacité de l’action collective.
Dimension symbolique et technologie
C’est pourquoi la dimension symbolique qui s’applique à la politique de l’eau doit être présente à l’esprit des femmes et des hommes politiques, des responsables de plaidoyer, des acteurs économiques, des propriétaires et des usagers. L’eau est un bien commun exigeant et redoutable. L’eau nous accompagne et nous fait vivre. Mais elle peut nous détruire. C’est important que la responsabilité de chacun soit bien claire dans nos esprits, pour que le travail en commun puisse se réaliser efficacement.
J’ajouterai un dernier élément, puisque j’ai le plaisir d’écrire dans la revue des anciens élèves de l’École polytechnique. Après avoir bien insisté sur les aspects de motivation, voire moraux, de la gestion de l’eau, je ne puis que rappeler l’importance de l’innovation et du progrès technologique comme présentant des solutions aux problèmes rencontrés. La motivation et le financement ne suffisent pas : il faut une bonne technologie. C’est pourquoi la communauté polytechnicienne a une responsabilité particulière, celle de continuer sans relâche à objectiver scientifiquement les débats parfois passionnés sur le sujet de l’eau et à proposer des solutions et des innovations technologiques.
La politique de l’eau n’est pas une politique du temps jadis. Ce n’est pas la politique du temps passé, ni seulement celle du temps présent : c’est la politique du temps qui vient. Et c’est la politique du temps long. Tous les avantages de la créativité et de la solidarité humaine doivent être mobilisés au service de cette politique.