Réinventer l’école
Le modèle de l’école de la République
Le modèle de l’école de la République
L’école de la République a été conçue en opposition à celle de l’Ancien Régime, mais les deux modèles partageaient des notions clés qui s’effacent. Les enseignants, comme les prêtres, étaient définis par une vocation. Comme les églises, les écoles étaient des sanctuaires protégés de passions humaines (l’argent, le sexe ou le pouvoir). Comme dans l’Église, on demandait aux élèves une soumission à l’autorité pour leur permettre d’accéder à une liberté et une autonomie. La République, comme l’Ancien Régime, cherchait à former des élites, la première les sélectionnant sur la base du mérite, le second sur la base de la naissance. Mais ils ne s’adressaient, après le niveau du certificat d’études, qu’à une minorité d’élèves. Sauf pour cette minorité, on n’attendait pas de ses diplômes sa place dans la société. La pression sociale sur l’école n’était donc pas très forte : elle était d’abord un lieu d’apprentissage des connaissances de base.
La dérive ségrégationniste
Mais les principes d’égalité des chances et de sélection au mérite ont fait progressivement de l’école la voie de l’intégration sociale, et de la performance scolaire le discriminant légitime. Les diplômes sont devenus de plus en plus indispensables pour obtenir un emploi socialement valorisé.
Les groupes sociaux utilisent leurs atouts pour aider leurs enfants
La compétition scolaire s’est accentuée et les groupes sociaux se sont mis à utiliser leurs atouts pour aider leurs enfants. Les populations aisées paient des compléments de cours à leurs enfants et se débrouillent pour les scolariser dans les meilleures écoles. Les enseignants tirent profit de leur connaissance du système pour guider leurs enfants.
Même si ces groupes sociaux sont d’accord avec l’idéal démocratique de l’école, ils n’ont plus, dans la réalité, aucune contrainte qui les oblige à laisser de la place à d’autres. L’ouverture sociale est donc dévolue à leur seule courtoisie. Or, quand il s’agit de l’avenir des enfants, la courtoisie…
Les familles qui n’appartiennent pas aux milieux précédents ont intériorisé cette situation. Dans une vaste partie du territoire on finit par ne plus voir les voies de succès quand elles existent : 21 départements n’ont plus envoyé d’élèves en classes préparatoires depuis vingt-cinq ans, alors qu’il y a plus de places dans les écoles d’ingénieurs qu’il n’y a d’élèves dans les prépas.
Créer des dispositifs de passage et donner confiance
Lutter contre ces mécanismes d’exclusion par l’école suppose donc d’agir selon deux dimensions. D’une part en redonnant confiance à ceux des milieux défavorisés, en les convainquant que les portes ne sont pas fermées pour ceux qui ont du talent. D’autre part inventer des dispositifs de passage efficaces et légitimes, ce qui ne va pas sans mal comme le montre l’expérience de Sciences Po.
Pour mener à bien ce programme, certains ne voient que la Révolution alors que d’autres s’ingénient à tester des aménagements qu’ils s’attachent ensuite à diffuser. Il leur faut souvent une énergie et une persévérance extraordinaires pour surmonter les obstacles de toute nature qu’ils rencontrent, voire supporter l’incompréhension ou l’hostilité autour d’eux. Notre pays va donc encore garder un certain temps la même structure scolaire fondamentale et les avancées seront le fruit de l’implication de pionniers, comme ceux auxquels ce colloque a donné la parole.
Le problème d’exclusion posé par ce dossier relève de l’histoire particulière de la société française. Les autres pays ont souvent des conceptions très différentes de l’école. Pourtant, je ne peux m’empêcher de relever que la palme d’or au Festival de Cannes a été décernée en 2008 à Entre les murs, film sur la vie dans une école parisienne d’aujourd’hui, par un jury international et présidé par un Américain. Cette distinction suggère que nos problèmes ont aussi un caractère universel.
1. François Dubet, « L’avenir de l’école est-il derrière nous ? », Études en mai 2008.