Relations économiques France-Brésil : une dynamique globale forte, malgré quelques sujets sensibles
Le premier constat est d´observer que globalement la relation bilatérale économique France-Brésil se porte bien, même si elle peut certainement encore gagner en dynamisme. Jacques Chirac avait dit aux chefs d’entreprises français lors de son passage à Brasilia en mai 2006 : « Le moment est venu pour la France de franchir une nouvelle étape dans ses relations économiques avec le Brésil. Il est encore possible de prendre des parts de marché significatives du marché brésilien. Mais il faut désormais que les entreprises ne perdent plus de temps. »
Une croissance régulière des échanges commerciaux bilatéraux depuis 2003, mais qui restent néanmoins à un niveau assez modeste
Le Brésil est le 30e client et le 31e fournisseur de la France au premier semestre 2006. Cette position n’est pas cohérente avec le fait que le Brésil ait été choisi parmi les 25 pays prioritaires pour la France en termes de commerce extérieur.
Après la reprise soutenue des exportations françaises en 2004 et 2005, il est vrai pour une bonne part due à des commandes d’Airbus par la TAM, nous assistons depuis 2006 à un léger tassement de la part de marché française au Brésil : les achats en provenance de France se sont élevés pour le Brésil à 3,3 % au premier semestre 2006 contre 3,7 % en 2005. La Chine a quant à elle gagné des parts de marché en passant de 4e à 2e place en tant que fournisseur du Brésil entre 2005 et 2006.
Une remarquable densité de la présence des entreprises françaises au Brésil
Trente-sept représentants du CAC40 sont présents de façon durable au Brésil, certains depuis plus d’un siècle. Tous les grands secteurs sont représentés, excepté le BTP. La France est remontée en 2006 à la place de 4e investisseur au Brésil, ce qui lui confère une place de choix. Les investissements productifs français au Brésil sont robustes et se distribuent dans de nombreux secteurs d’activité. Pour un aperçu plus précis, voir l’encadré numéro 1 sur les investissements productifs français.
Nous assistons par ailleurs à une reprise très intéressante de mouvements de fusions-acquisitions entre la France et le Brésil en 2006 et 2007. Parmi les opérations les plus remarquées nous avons relevé :
en 2006
• Thalès : la prise de prise de contrôle d’Omnisys Engenharia accompagnée simultanément de la sortie du capital de l’avionneur Embraer (2,2 %) ;
• EADS Astrium : l’achat de 42 % de la société Equatorial Sistemas, accompagné d’un investissement de 5 MUS$ destiné à lancer de nouveaux produits ;
• Lafarge : le rachat pour 100 MR$ de la société brésilienne Cimento Davi SA, détentrice d’une capacité de production de 500 000 tonnes de ciment ;
• Laboratoires Pierre Fabre : le rachat de 70 % du Brésilien Darrow Laboratorios spécialisés dans les produits d’oncologie et dermo-cosmétique ;
• Accor : prise de contrôle intégral de l’activité de titres de services Ticket Serviços pour 200 millions d’euros rachetés aux groupes Espirito Santo et Brookfield (anciennement Brascan). Ceux-ci possédaient respectivement 10 % et 40 % de cette société.
en 2007
• le Groupe Louis Dreyfus a pris le contrôle de quatre unités industrielles du groupe sucro-alcoolier GTM Grupo Tavares de Melo pour 800 MR$ ;
• la Société Générale, après avoir acquis la Banco Pecunia en 2006, rachète le Banco Cacique pour 850 MR$, l’un des acteurs de premier plan sur le marché brésilien du crédit à la consommation.
Des perspectives qui continuent d’être globalement attractives pour les entreprises françaises…
Liste non exhaustive d’investissements productifs français annoncés au Brésil en 2006 et 2007
Automobile
• Renault annonce un programme d’investissements de 60 MUS$ pour lancer de nouveaux modèles en 2006 (Mégane Sedan et Mégane Grand Tour) et en outre 240 MUS$ pour lancer cinq nouveaux modèles entre 2007 et 2009. L’objectif est d’augmenter l’utilisation des capacités installées de 30 à 90 % et d’atteindre une part de marché de 5,7 %, contre 2,9 % en 2006.
• Citroën annonce un programme d’investissement de 100 MUS$ d’ici à 2010 pour lancer quatre nouveaux modèles et atteindre 4,8 % de part de marché.
• Michelin annonce en août 2006 un investissement de 50 MUS$ pour accroître les capacités de production en pneus à haute performance et en câbles métalliques dans ses usines d’Itatiaia.
Énergie
• Tractebel (Groupe Suez) annonce 230 MR$ d’investissements en 2006 destinés aux usines d’Estreito et de São Salvador.
• Alstom investit pour construire une usine de composants pour générateurs hydrauliques dans la région de Porto Velho, stratégiquement située à proximité des futures usines hydroélectriques de Belo Monte et du Rio Madeira.
Autres secteurs industriels
• Air Liquide annonce un investissement de R$ 320 millions sur trois ans, dont 100 MR$ en 2007, pour créer deux nouvelles usines et pour moderniser l’usine de São Paulo.
• Essilor annonce 15 MUS$ pour amplifier la fabrication de verres antireflets à Manaus et installer un centre de finition à Belo Horizonte.
• Rhodia investit 6 MUS$ pour accroître sa production de fils textiles destinés à l’industrie pneumatique à Santo André, ainsi que 3 MUS$ dans les silices pour l’unité de Paulinia.
• Onduline, une PME française, investit 42 MR$ pour construire une usine de fabrication de tuiles ondulées à base de cellulose-bitume à Juiz de Fora dans le Minas Gerais.
Distribution
• Carrefour annonce un investissement annuel de 200 millions d’euros pour réaliser l’expansion de son réseau – soit treize nouveaux hypermarchés dès 2006.
• Le Groupe CBD leader de la grande distribution au Brésil, détenu à 50 % par Casino, annonce un investissement de 1,5 milliard de R$ en janvier 2006 visant sur deux ans l’ouverture de jusqu’à 80 nouveaux points de vente, dont 16 à 20 hypermarchés.
• La Fnac, ouvre en 2006 son septième magasin brésilien à São Paulo (Shopping Morumbi).
• Leroy Merlin ouvre son treizième magasin brésilien à São José dos Campos en décembre 2006.
Services
• Arval, filiale de location automobile du Groupe BNP Paribas, annonce un investissement de 360 MR$ pour l’acquisition de 5000 véhicules destinés à la location.
• Accor Hotels – 50 MR$ destinés à rénover les unités Ibis entre 2007 et 2010.
Source : Bradesco – Département de recherche et études économiques/Veille Crescendo.
La macroéconomie du Brésil est désormais plus stable avec une inflation maîtrisée à environ 3 % l’an et une dette externe en forte baisse.
L’économie brésilienne est de plus en plus insérée dans la mondialisation avec des entreprises fortement tournées vers l’exportation. Une rupture culturelle s’est opérée au virage du xxie siècle, les entrepreneurs brésiliens ont découvert que le marché brésilien ne se suffisait plus à lui-même, contrairement à ce qu’ils avaient longtemps pensé.
Le Brésil est considéré comme une « nouvelle frontière énergétique » grâce aux développements extraordinaires sur les biocarburants : une nouvelle usine de canne à sucre sera inaugurée mensuellement d’ici à 2011.
Une nécessité de relance urgente des investissements dans les domaines de l’infrastructure, énergie, transports, assainissement notamment, va ouvrir des opportunités de premier plan.
« L’investment grade », en vue à l’horizon 2008–2009, va abaisser de façon conséquente le coût de l’argent au Brésil, encore très élevé : le taux de base bancaire est actuellement de 12,75 %.
La base industrielle du Brésil, la plus dense d’Amérique latine, offre des possibilités différenciées d’acquisition et de partenariat dans de nombreux secteurs.
La remarquable et très prometteuse coopération entre les établissements d’enseignement supérieurs français et brésiliens, notamment à travers les doubles diplômes, va permettre à terme de créer un flux continu de cadres biculturels de très haut niveau au service de la communauté d’affaires franco-brésilienne.
Double diplôme franco-brésilien : une solution gagnante au service d’une exigence multiculturelle croissante
Nés en l’an 2000, les programmes de double diplôme ont été mis en place entre les grandes écoles françaises et les universités brésiliennes pour permettre aux meilleurs étudiants d’intégrer un établissement étranger partenaire pour une durée déterminée et d’y effectuer une partie de leurs études. À l’issue de ce cursus, l’étudiant est diplômé des deux institutions.
Aujourd’hui 70 doubles diplômes ont été mis en place concernant d’une part 13 institutions brésiliennes et 38 françaises. On y retrouve les établissements d’excellence des deux pays avec une concentration forte d’école d’ingénieurs et quelques écoles de management. Pour plus de détails consultez le rapport élaboré par le Cendotec disponible sur : http://www.cendotec.org.br/pdf/doublediplome.pdf
Les avantages de la formule sont importants pour les employeurs, entreprises françaises présentes au Brésil ou entreprises brésiliennes ou étrangères ayant des intérêts économiques en France :
• il s’agit d’une formation d’excellence, puisqu’il y a une forte sélection en amont,
• elle forme des étudiants ayant démontré un effort important d’adaptation à une biculture,
• des stages pratiques dans les deux pays contribuent à compléter la formation par une connaissance du monde de l’entreprise dans différents contextes culturels,
• elle permet de tirer le meilleur des spécificités de la formation des deux pays,
• elle constitue une solution alternative à bon rapport qualité-coût par rapport par exemple à des solutions traditionnelles d’expatriation de jeunes cadres,
• elle peut compléter utilement d’autres dispositifs existants : stage à l’étranger, VIE, etc. Il s’agit d’un produit encore très jeune puisque les premiers doubles diplômes ont été délivrés en 2004, mais qui possède un énorme champ d’expansion.
Nous avons interviewé de façon anonyme quelques étudiants ingénieurs brésiliens double diplômés récemment rentrés afin de recueillir leurs impressions sur leur expérience :
« Je suis revenu au Brésil avec une meilleure connaissance de moi-même. J’ai dû apprendre à vivre en France avec des personnes très différentes, ce qui enseigne la modestie. Cela m’a ouvert l’esprit et je sens aujourd’hui que je suis devenu plus exigeant mais aussi j’ai appris à valoriser les bonnes choses dans mon pays. »
« L’enseignement généraliste dans les grandes écoles françaises est une formation très complémentaire à celle dispensée au Brésil qui est plus technique et spécialisée. J’ai trouvé très positif l’apprentissage en France des langues, des sciences humaines et du sport. »
« Les écoles d’ingénieur françaises sont proches des entreprises et c’est très important pour le cursus de l’élève ingénieur. J’ai pu faire mon stage en Italie. Par ailleurs j’ai profité de mon séjour en France pour connaître 17 pays européens, une opportunité que je n’aurais jamais eu autrement. »
« Le double diplôme m’a ouvert la voie de l’entreprenariat. Aujourd’hui je suis devenu le représentant au Brésil d’une entreprise française de technologie. »
« Les entreprises françaises se développent fortement au Brésil et c’est un réel différentiel d’obtenir le double diplôme franco-brésilien. »
Source : chiffres : Cendotec/Entretiens – Crescendo.
Même si le revers de la médaille ne doit pas être négligé
La croissance économique est jugée comme timide, voire asthmatique par certains, – 2,9 % en 2006, si on la compare aux autres grands pays émergents. Certains oublient parfois que le Brésil a déjà connu une exceptionnelle phase de croissance accélérée entre 1900 et 1975, contrairement à l’Inde et la Chine et que son profil est plus proche de celui d’un « brown field » que d’un « green field ».
Des infrastructures vieillissantes, souvent insuffisantes et généralement mal entretenues, pénalisent l’efficience des processus logistiques des entreprises.
Des carences importantes au niveau de la qualité de l’éducation de base entraînent bien souvent des besoins de formation complémentaire des équipes opérationnelles.
Un nouveau plan de développement de l’éducation, dit PDE, vient d’être lancé en février 2007, affichant une volonté nouvelle du gouvernement Lula de s’attaquer de front à ce problème historique.
Une bureaucratie et des règlements administratifs souvent pesants ralentissent la vitesse d’exécution.
Une fiscalité croissante comme conséquence d’un État qui croît depuis vingt ans de façon continue en termes de dépenses : à terme, des réformes plus douloureuses semblent incontournables. Néanmoins aucune initiative précise n’a été annoncée au niveau législatif.
Le réal est entré dans une phase d’appréciation durable face au dollar américain, créant quelques défis supplémentaires aux exportateurs les moins compétitifs.
Une informalité importante de l’économie (estimée à 40 % du PIB) et des pratiques parfois déloyales en termes de concurrence et de fraude ou copie illégale de produits.
La visite de Madame Lagarde du 1er au 6 février 2007 au Brésil a permis de réaffirmer l’intérêt la France envers l’économie brésilienne et d’ouvrir certaines perspectives d’avenir
La promotion des intérêts des entreprises françaises était à l’ordre du jour de ce déplacement du ministre français du Commerce extérieur en particulier pour les secteurs de l’énergie, du ferroviaire et de l’aéronautique. L’un des thèmes de choix était de voir comment les entreprises françaises pourraient contribuer au PAC, Plan d’accélération de la croissance tout juste sorti du four par le gouvernement Lula II. Madame Lagarde était accompagnée d’une délégation d’une vingtaine de chefs d’entreprise, dont Anne Lauvergeon, d’Areva, avec laquelle elle a visité les installations nucléaires d’Angra. Alstom a également été à l’honneur à l’occasion d’une visite de son unité de production ferroviaire à São Paulo.
Les sujets source de divergence bilatérale ont été également abordés, et en premier lieu celui qui obnubile véritablement la presse brésilienne et qui continue d’empoisonner les relations bilatérales franco-brésiliennes : le dossier agricole de Doha. Madame Lagarde a eu l’occasion de clarifier que la position de la France est sous-tendue par la vision d’une probable pénurie alimentaire à l’horizon 2030 dans le monde et en conséquence par la décision stratégique de préservation des positions françaises agricoles.
De concret, nous retiendrons du séjour de Madame Lagarde :
. l’annonce du lancement au Brésil des activités de l’AFD – Agence française de développement, à partir du premier semestre 2007. Cet instrument aura l’avantage de proposer des prêts à long terme (15−20 ans) sur des problématiques de type développement durable, préservation de la biodiversité, santé, etc. ;
. la volonté de promouvoir le territoire français auprès des investisseurs brésiliens. Madame Lagarde a rendu visite à la banque BNDES et aux entreprises brésiliennes Petrobrás, CVRD et Embraer ;
. la signature de trois accords de coopération dans les domaines suivants :
– protection réciproque de la propriété intellectuelle entre les deux INPI,
– nanotechnologies et recherche entre Suframa et Minatec,
– promotion croisée des partenariats technologiques entre Apex et Ubi France ;
. l’obtention d’un contrat significatif par Areva au Brésil :
– Areva a décroché, à travers Areva Renewable Energy, le plus gros contrat turn-key de cette nouvelle division, orienté vers la construction de quatre usines électriques alimentée par de la biomasse ;
– par ailleurs, les possibilités de relance du programme nucléaire civil brésilien interrompu depuis 1986 ont été évoquées avec les autorités brésiliennes.
Conclusions
Le Brésil est un pays qui a assumé les vertus de la sagesse en termes de gestion de son économie et a décidé de tourner le dos aux expériences hétérodoxes du passé. Le secret du succès des entreprises françaises se trouve donc de plus en plus dans la bonne appréhension des données microéconomiques et non plus seulement des variables macros.
Les histoires de succès enviables des groupes français présents au Brésil depuis plusieurs décennies nous rappellent que le Brésil est un pays où les stratégies gagnantes sont celles construites sur le long terme, voire le très long terme.
Par ailleurs, le Brésil n’est pas la Chine : c’est un pays qui possède une profonde culture des affaires et de l’industrie, et qui partage avec nous la culture latine. Le droit d’inspiration napoléonienne fonctionne depuis longtemps au Brésil, malgré des imperfections et des lourdeurs sur le plan pratique. Les retours sur investissement font bien souvent la différence comme aime à le montrer l’Apex, Agence brésilienne de promotion des exportations.
Le « jeu de ceinture », à savoir la flexibilité et la cordialité locale feront que, malgré les tracasseries administratives qui pourront se présenter, les partenaires brésiliens auront toujours le souci de trouver une façon ingénieuse et sympathique pour simplifier la vie de leurs interlocuteurs. « À la fin tout se termine bien » et « Dieu est brésilien » sont des dictons brésiliens, qui illustrent l’optimisme résolu de ce peuple.