Relocaliser pour développer une industrie dans les territoires

Relocaliser pour redynamiser la production nationale

Dossier : L'Industrie de la connaissanceMagazine N°775 Mai 2022Par Stéphanie TISON

Ren­for­cer la pro­duc­tion natio­nale et sou­te­nir l’implantation de cer­taines indus­tries en France paraît plus que jamais néces­saire. Il en va de notre sou­ve­rai­ne­té éco­no­mique mais aus­si de notre capa­ci­té à résor­ber les frac­tures qui freinent les dyna­miques ter­ri­to­riales. Dif­fé­rentes actions peuvent être menées de front pour relo­ca­li­ser et indus­tria­li­ser intel­li­gem­ment. Elles ont pour point com­mun de tendre vers la construc­tion d’écosystèmes inno­vants et rési­lients, propres à favo­ri­ser le décol­lage de zones dévitalisées.

« Il nous faut pro­duire davan­tage en France, sur notre sol. » Le Pré­sident de la Répu­blique, Emma­nuel Macron, a lan­cé le mot d’ordre dès mars 2020. Quelques mois plus tard, Ber­cy dévoi­lait son plan France Relance. S’y est ajou­té un fonds d’accélération des inves­tis­se­ments indus­triels dans les ter­ri­toires. Les moyens mis en place par les pou­voirs publics répondent à plu­sieurs objec­tifs. Il s’agit d’abord de défendre notre auto­no­mie stra­té­gique afin de mieux maî­tri­ser les dépen­dances que la crise sani­taire a mises en évidence.

La même logique de sub­ven­tion publique est à l’œuvre à l’échelon conti­nen­tal, notam­ment au tra­vers des pro­jets impor­tants d’intérêt euro­péen com­mun (PIIEC), qui visent à conso­li­der l’indépendance indus­trielle des pays de l’Union dans des sec­teurs comme celui des semi-conduc­teurs. Par ailleurs, l’évolution néga­tive des chiffres du com­merce exté­rieur – à l’exception notable des ser­vices, qui ont enre­gis­tré un excé­dent record en 2021 – pousse la France à ren­for­cer son appa­reil pro­duc­tif exportateur.

Le Haut-Com­mis­sa­riat au Plan a d’ailleurs récem­ment ana­ly­sé les postes défi­ci­taires où des actions de filière sont sus­cep­tibles d’être enga­gées. Rapa­trier des pro­duc­tions sur notre sol ou créer ex nihi­lo de nou­velles fabri­ca­tions s’inscrit enfin dans une logique d’aménagement et de redy­na­mi­sa­tion des ter­ri­toires. Plus par­ti­cu­liè­re­ment ceux qui se situent en dehors des grandes aires urbaines.

Flécher les mesures de soutien dans les territoires où elles sont nécessaires

Le constat est lar­ge­ment docu­men­té : au cours des der­nières décen­nies, les zones rurales, les péri­phé­ries urbaines et les villes moyennes n’ont pas sui­vi le même rythme de déve­lop­pe­ment que les grandes métro­poles. Beau­coup d’entre elles pré­sentent aujourd’hui des signes de déclas­se­ment et de dété­rio­ra­tion de la cohé­sion sociale. La popu­la­tion vieillit, le pou­voir d’achat stagne voire s’érode, les filières de for­ma­tion et les pers­pec­tives d’emploi locales sont rares, l’ascenseur social est en panne et les risques de mobi­li­té sociale des­cen­dante plus mar­qués qu’ailleurs ; un tableau bien sou­vent com­plé­té par les restruc­tu­ra­tions affec­tant la fonc­tion publique, à l’image des sites mili­taires, des tri­bu­naux d’instance ou encore des mater­ni­tés qui ferment leurs portes.

Parce qu’elles sont la source de nom­breux dys­fonctionnements éco­no­miques et sociaux, il est urgent de réduire les frac­tures entre les zones les plus dyna­miques et les autres. Cela passe par la mise en place d’une véri­table poli­tique de revi­ta­li­sa­tion en faveur des secondes. Les outils de réin­dus­tria­li­sa­tion évo­qués plus haut peuvent bien sûr être mis au ser­vice d’une telle poli­tique. Mais, pour que ces mesures publiques ruis­sellent jusqu’aux col­lec­ti­vi­tés qui en ont le plus besoin, la prio­ri­té est de veiller à leur cohé­rence d’ensemble, en les arti­cu­lant entre elles et en coor­don­nant leur déploie­ment avec les acteurs ter­ri­to­riaux. Sans quoi elles ont les plus grandes chances de ne béné­fi­cier qu’aux métro­poles et à cer­tains pro­fils d’entreprise – géné­ra­le­ment les plus grandes.

Conscient du dan­ger, l’État, sous l’attention vigi­lante du Medef, a fait en sorte que toutes les ETI et PME puissent accé­der aux sub­ven­tions et appels à pro­jets pré­vus pour encou­ra­ger la relo­ca­li­sa­tion. Il veille aus­si à assu­rer à ses pro­grammes une décli­nai­son ter­ri­to­riale aus­si large que possible.


REPÈRES

Mi-2020, Ber­cy a publié une liste de 31 entre­prises des­ti­nées à béné­fi­cier, dans le cadre du plan France Relance, de 140 mil­lions d’euros de sub­ven­tions pour relo­ca­li­ser ou pro­duire sur le ter­ri­toire natio­nal, dans cinq domaines stra­té­giques : san­té, élec­tro­nique, agroa­li­men­taire, télé­com­mu­ni­ca­tions 5G, intrants uti­li­sés par l’industrie (chi­mie, maté­riaux, matières pre­mières…). Depuis lors, le sou­tien direct aux inves­tis­se­ments pro­duc­tifs s’est encore ampli­fié. Un appel à pro­jets a per­mis de por­ter l’enveloppe dédiée à la relo­ca­li­sa­tion dans les sec­teurs cri­tiques à 850 mil­lions d’euros. S’y ajoute un fonds d’accélération des inves­tis­se­ments indus­triels dans les ter­ri­toires. Déployé dans le cadre du pro­gramme Ter­ri­toires d’industrie et doté de 950 mil­lions d’euros, ce dis­po­si­tif a déjà ser­vi de trem­plin à 246 pro­jets de relo­ca­li­sa­tion industrielle. 


Relever le défi de la compétitivité

Bien cibler la stra­té­gie de réin­dus­tria­li­sa­tion signi­fie, éga­le­ment, mettre l’accent sur les maillons de la chaîne de valeur les plus per­ti­nents en termes de sou­ve­rai­ne­té éco­no­mique. Laurent Gio­va­chi­ni rap­porte ain­si, dans son ouvrage Les Nou­veaux Che­mins de la crois­sance, un résul­tat cal­cu­lé par le cabi­net de conseil Accen­ture. Si 15 à 20 % des impor­ta­tions pour les­quelles la France est vul­né­rable et com­pé­ti­tive étaient relo­ca­li­sées, 25 mil­liards d’euros de valeur ajou­tée sup­plé­men­taires pour­raient être créés !

Pour lui, par ailleurs copré­sident de la com­mis­sion Sou­ve­rai­ne­té et sécu­ri­té éco­no­miques du Medef, une des clés du suc­cès est la par­ti­ci­pa­tion accrue des entre­prises et des orga­ni­sa­tions pro­fes­sion­nelles qui les repré­sentent à la gou­ver­nance des struc­tures de déve­lop­pe­ment régio­nal. Nul n’est mieux pla­cé que les entre­pre­neurs pour appré­cier les condi­tions de via­bi­li­té des pro­jets mis à l’étude dans le cadre de ces ins­tances, et pour les concré­ti­ser le cas échéant. Bref, il n’y a pas qu’à l’échelon natio­nal que le par­te­na­riat entre la puis­sance publique et les acteurs éco­no­miques est indispensable.

« Pour faire rimer relocalisation et redynamisation, il faut aussi relever le défi de la compétitivité. »

Pour faire rimer relo­ca­li­sa­tion et redy­na­mi­sa­tion, il faut aus­si rele­ver le défi de la com­pé­ti­ti­vi­té. Autre­ment dit, cor­ri­ger l’écart entre les condi­tions dans les­quelles s’exercent les acti­vi­tés pro­duc­tives en France et celles dans les pays où les délo­ca­li­sa­tions ont eu lieu. Cer­tains obser­va­teurs pré­co­nisent une dimi­nu­tion des impôts appli­cables à la pro­duc­tion des biens et ser­vices. D’autres pro­posent de revoir à la baisse les charges pesant sur les salaires. Cha­cun sait que le niveau de dété­rio­ra­tion des finances publiques contri­bue à limi­ter les marges de manœuvre. Pour autant, on ne peut que plai­der pour une amé­lio­ra­tion de l’environnement fis­cal et social dans lequel évo­luent les entre­prises. Et cela, qu’elles soient fran­çaises ou non…

Les inves­tis­se­ments inter­na­tio­naux sont essen­tiels à la relance et une ini­tia­tive comme Choose France a pour voca­tion de les encou­ra­ger. Ce qui ne veut pas dire qu’il faille renon­cer à tout contrôle sur les appé­tits des com­pa­gnies étran­gères. La poli­tique d’attractivité ne doit pas s’accomplir aux dépens de notre sou­ve­rai­ne­té. Le ren­for­ce­ment ces der­nières années du dis­po­si­tif fran­çais de contrôle des inves­tis­se­ments étran­gers répond à cet objectif.

Un choc d’attractivité afin d’attirer les talents

Pro­mul­guée en décembre 2020, la loi d’accélération et de sim­pli­fi­ca­tion de l’action publique (dite ASAP) vise notam­ment à faci­li­ter la mise en œuvre d’une poli­tique indus­trielle, en accé­lé­rant les implan­ta­tions et les exten­sions. Ce texte a intro­duit dif­fé­rentes pro­cé­dures admi­nis­tra­tives sim­pli­fiées. Il appar­tient aujourd’hui aux por­teurs de pro­jet d’y recou­rir pour dépol­luer, réno­ver, réha­bi­li­ter et numé­ri­ser leurs sites, et ain­si les adap­ter aux exi­gences de la réin­dus­tria­li­sa­tion à l’heure de la tran­si­tion éco­lo­gique et numérique. 

Un autre enjeu de l’adaptation est la créa­tion d’emplois à haute valeur ajou­tée. D’après une étude com­man­dée à l’Institut Sapiens par la Fédé­ra­tion Syn­tec, il s’agit là d’un outil puis­sant pour géné­rer acti­vi­té et crois­sance, élé­ments consti­tu­tifs de la pros­pé­ri­té des ter­ri­toires. Par leur nature, en effet, ces emplois par­ti­cipent au dyna­misme local et génèrent d’importantes exter­na­li­tés positives. 

Le déve­lop­pe­ment local de ces emplois est, pour une bonne part, condi­tion­né par l’émergence d’écosystèmes suf­fi­sam­ment attrac­tifs pour atti­rer les spé­cia­listes du numé­rique – qui seront en pre­mière ligne pour réa­li­ser l’usine 4.0 – ou de l’ingénierie envi­ron­ne­men­tale ; car la réin­dus­tria­li­sa­tion sera verte ou ne sera pas. Cela implique d’optimiser le maillage ter­ri­to­rial des équipe­ments et des infra­struc­tures : qu’il s’agisse d’infra­structures télé­coms de der­nière géné­ra­tion (fibre optique et 5G), de réseaux de trans­ports propres à faci­li­ter les mobi­li­tés ou encore de ser­vices édu­ca­tifs et culturels.

En corol­laire, il serait utile d’articuler la poli­tique de relo­ca­li­sa­tion avec la décon­cen­tra­tion des ser­vices de l’État. Le gou­ver­ne­ment s’est mis en mou­ve­ment en enga­geant un plan de trans­fert de quatre mille fonc­tion­naires dans les régions. Des villes moyennes comme Agen, Angou­lême, Car­pen­tras, Dieppe ou Nevers font ain­si par­tie des cin­quante com­munes dési­gnées pour accueillir 2 500 agents de la direc­tion géné­rale des Finances publiques d’ici 2026.

Des forces et faiblesses à cartographier

À quoi res­sem­ble­ra la France réin­dus­tria­li­sée de demain ? La vision idéale fait coexis­ter des entre­pre­neurs pri­vés mul­ti­pliant les pro­jets et inci­tés à le faire par un contexte favo­rable ; des ter­ri­toires péri­phé­riques et ruraux signant un retour en grâce après une longue période pas­sée dans l’ombre des grandes aires urbaines ; un État à la fois stra­tège et inves­tis­seur qui, dans les domaines de spé­cia­li­sa­tion que nous aurons choi­sis, sau­ra don­ner de la visi­bi­li­té, mon­trer la bonne direc­tion et aiman­ter les ini­tia­tives pri­vées vers des enjeux d’intérêt géné­ral. L’un des grands ins­tru­ments de cet enga­ge­ment à long terme sera le plan France 2030 lan­cé en 2021, qui pour­suit les enga­ge­ments des pro­grammes d’investis­sements d’avenir (PIA) et repose sur une dota­tion de 54 mil­liards d’euros.

“La réindustrialisation sera verte ou ne sera pas.”

Pour redon­ner à notre pays un élan géné­ral, il importe aus­si de le doter d’instruments capables d’anticiper et de limi­ter l’impact des crises, dont les cir­cons­tances actuelles laissent à pen­ser qu’elles pour­raient se suc­cé­der à inter­valles rap­pro­chés. Une approche béné­fique serait de dres­ser et d’actualiser régu­liè­re­ment un état des lieux de nos dépen­dances, qui pour­rait par exemple prendre la forme d’un livre blanc de sou­ve­rai­ne­té. Les obser­va­teurs et déci­deurs publics y dres­se­raient une car­to­gra­phie glo­bale et trans­ver­sale des besoins, fai­blesses et atouts natio­naux, ain­si qu’une fixa­tion de prio­ri­tés de posi­tion­ne­ment, s’agissant des tech­no­lo­gies cri­tiques que la France ou l’Europe se doit de maî­tri­ser pour affron­ter la concur­rence internationale.

À par­tir de cet exer­cice, il serait pos­sible de for­ma­li­ser des orien­ta­tions pré­cises en matière de pro­duits à fabri­quer sur notre ter­ri­toire, d’alternatives à déve­lop­per le cas échéant, de stocks à pré­ser­ver ou à recons­ti­tuer, mais aus­si de com­pé­tences et de moyens de for­ma­tion à pro­gram­mer, et sur­tout de moyens finan­ciers à pla­ni­fier. Visua­li­ser et tenir en main tous les aspects du déve­lop­pe­ment des indus­tries clés dans les ter­ri­toires : telles sont les pro­messes d’innovation et de rési­lience offertes par cette approche prospective.

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