Relocaliser pour redynamiser la production nationale
Renforcer la production nationale et soutenir l’implantation de certaines industries en France paraît plus que jamais nécessaire. Il en va de notre souveraineté économique mais aussi de notre capacité à résorber les fractures qui freinent les dynamiques territoriales. Différentes actions peuvent être menées de front pour relocaliser et industrialiser intelligemment. Elles ont pour point commun de tendre vers la construction d’écosystèmes innovants et résilients, propres à favoriser le décollage de zones dévitalisées.
« Il nous faut produire davantage en France, sur notre sol. » Le Président de la République, Emmanuel Macron, a lancé le mot d’ordre dès mars 2020. Quelques mois plus tard, Bercy dévoilait son plan France Relance. S’y est ajouté un fonds d’accélération des investissements industriels dans les territoires. Les moyens mis en place par les pouvoirs publics répondent à plusieurs objectifs. Il s’agit d’abord de défendre notre autonomie stratégique afin de mieux maîtriser les dépendances que la crise sanitaire a mises en évidence.
La même logique de subvention publique est à l’œuvre à l’échelon continental, notamment au travers des projets importants d’intérêt européen commun (PIIEC), qui visent à consolider l’indépendance industrielle des pays de l’Union dans des secteurs comme celui des semi-conducteurs. Par ailleurs, l’évolution négative des chiffres du commerce extérieur – à l’exception notable des services, qui ont enregistré un excédent record en 2021 – pousse la France à renforcer son appareil productif exportateur.
Le Haut-Commissariat au Plan a d’ailleurs récemment analysé les postes déficitaires où des actions de filière sont susceptibles d’être engagées. Rapatrier des productions sur notre sol ou créer ex nihilo de nouvelles fabrications s’inscrit enfin dans une logique d’aménagement et de redynamisation des territoires. Plus particulièrement ceux qui se situent en dehors des grandes aires urbaines.
Flécher les mesures de soutien dans les territoires où elles sont nécessaires
Le constat est largement documenté : au cours des dernières décennies, les zones rurales, les périphéries urbaines et les villes moyennes n’ont pas suivi le même rythme de développement que les grandes métropoles. Beaucoup d’entre elles présentent aujourd’hui des signes de déclassement et de détérioration de la cohésion sociale. La population vieillit, le pouvoir d’achat stagne voire s’érode, les filières de formation et les perspectives d’emploi locales sont rares, l’ascenseur social est en panne et les risques de mobilité sociale descendante plus marqués qu’ailleurs ; un tableau bien souvent complété par les restructurations affectant la fonction publique, à l’image des sites militaires, des tribunaux d’instance ou encore des maternités qui ferment leurs portes.
Parce qu’elles sont la source de nombreux dysfonctionnements économiques et sociaux, il est urgent de réduire les fractures entre les zones les plus dynamiques et les autres. Cela passe par la mise en place d’une véritable politique de revitalisation en faveur des secondes. Les outils de réindustrialisation évoqués plus haut peuvent bien sûr être mis au service d’une telle politique. Mais, pour que ces mesures publiques ruissellent jusqu’aux collectivités qui en ont le plus besoin, la priorité est de veiller à leur cohérence d’ensemble, en les articulant entre elles et en coordonnant leur déploiement avec les acteurs territoriaux. Sans quoi elles ont les plus grandes chances de ne bénéficier qu’aux métropoles et à certains profils d’entreprise – généralement les plus grandes.
Conscient du danger, l’État, sous l’attention vigilante du Medef, a fait en sorte que toutes les ETI et PME puissent accéder aux subventions et appels à projets prévus pour encourager la relocalisation. Il veille aussi à assurer à ses programmes une déclinaison territoriale aussi large que possible.
REPÈRES
Mi-2020, Bercy a publié une liste de 31 entreprises destinées à bénéficier, dans le cadre du plan France Relance, de 140 millions d’euros de subventions pour relocaliser ou produire sur le territoire national, dans cinq domaines stratégiques : santé, électronique, agroalimentaire, télécommunications 5G, intrants utilisés par l’industrie (chimie, matériaux, matières premières…). Depuis lors, le soutien direct aux investissements productifs s’est encore amplifié. Un appel à projets a permis de porter l’enveloppe dédiée à la relocalisation dans les secteurs critiques à 850 millions d’euros. S’y ajoute un fonds d’accélération des investissements industriels dans les territoires. Déployé dans le cadre du programme Territoires d’industrie et doté de 950 millions d’euros, ce dispositif a déjà servi de tremplin à 246 projets de relocalisation industrielle.
Relever le défi de la compétitivité
Bien cibler la stratégie de réindustrialisation signifie, également, mettre l’accent sur les maillons de la chaîne de valeur les plus pertinents en termes de souveraineté économique. Laurent Giovachini rapporte ainsi, dans son ouvrage Les Nouveaux Chemins de la croissance, un résultat calculé par le cabinet de conseil Accenture. Si 15 à 20 % des importations pour lesquelles la France est vulnérable et compétitive étaient relocalisées, 25 milliards d’euros de valeur ajoutée supplémentaires pourraient être créés !
Pour lui, par ailleurs coprésident de la commission Souveraineté et sécurité économiques du Medef, une des clés du succès est la participation accrue des entreprises et des organisations professionnelles qui les représentent à la gouvernance des structures de développement régional. Nul n’est mieux placé que les entrepreneurs pour apprécier les conditions de viabilité des projets mis à l’étude dans le cadre de ces instances, et pour les concrétiser le cas échéant. Bref, il n’y a pas qu’à l’échelon national que le partenariat entre la puissance publique et les acteurs économiques est indispensable.
« Pour faire rimer relocalisation et redynamisation, il faut aussi relever le défi de la compétitivité. »
Pour faire rimer relocalisation et redynamisation, il faut aussi relever le défi de la compétitivité. Autrement dit, corriger l’écart entre les conditions dans lesquelles s’exercent les activités productives en France et celles dans les pays où les délocalisations ont eu lieu. Certains observateurs préconisent une diminution des impôts applicables à la production des biens et services. D’autres proposent de revoir à la baisse les charges pesant sur les salaires. Chacun sait que le niveau de détérioration des finances publiques contribue à limiter les marges de manœuvre. Pour autant, on ne peut que plaider pour une amélioration de l’environnement fiscal et social dans lequel évoluent les entreprises. Et cela, qu’elles soient françaises ou non…
Les investissements internationaux sont essentiels à la relance et une initiative comme Choose France a pour vocation de les encourager. Ce qui ne veut pas dire qu’il faille renoncer à tout contrôle sur les appétits des compagnies étrangères. La politique d’attractivité ne doit pas s’accomplir aux dépens de notre souveraineté. Le renforcement ces dernières années du dispositif français de contrôle des investissements étrangers répond à cet objectif.
Un choc d’attractivité afin d’attirer les talents
Promulguée en décembre 2020, la loi d’accélération et de simplification de l’action publique (dite ASAP) vise notamment à faciliter la mise en œuvre d’une politique industrielle, en accélérant les implantations et les extensions. Ce texte a introduit différentes procédures administratives simplifiées. Il appartient aujourd’hui aux porteurs de projet d’y recourir pour dépolluer, rénover, réhabiliter et numériser leurs sites, et ainsi les adapter aux exigences de la réindustrialisation à l’heure de la transition écologique et numérique.
Un autre enjeu de l’adaptation est la création d’emplois à haute valeur ajoutée. D’après une étude commandée à l’Institut Sapiens par la Fédération Syntec, il s’agit là d’un outil puissant pour générer activité et croissance, éléments constitutifs de la prospérité des territoires. Par leur nature, en effet, ces emplois participent au dynamisme local et génèrent d’importantes externalités positives.
Le développement local de ces emplois est, pour une bonne part, conditionné par l’émergence d’écosystèmes suffisamment attractifs pour attirer les spécialistes du numérique – qui seront en première ligne pour réaliser l’usine 4.0 – ou de l’ingénierie environnementale ; car la réindustrialisation sera verte ou ne sera pas. Cela implique d’optimiser le maillage territorial des équipements et des infrastructures : qu’il s’agisse d’infrastructures télécoms de dernière génération (fibre optique et 5G), de réseaux de transports propres à faciliter les mobilités ou encore de services éducatifs et culturels.
En corollaire, il serait utile d’articuler la politique de relocalisation avec la déconcentration des services de l’État. Le gouvernement s’est mis en mouvement en engageant un plan de transfert de quatre mille fonctionnaires dans les régions. Des villes moyennes comme Agen, Angoulême, Carpentras, Dieppe ou Nevers font ainsi partie des cinquante communes désignées pour accueillir 2 500 agents de la direction générale des Finances publiques d’ici 2026.
Des forces et faiblesses à cartographier
À quoi ressemblera la France réindustrialisée de demain ? La vision idéale fait coexister des entrepreneurs privés multipliant les projets et incités à le faire par un contexte favorable ; des territoires périphériques et ruraux signant un retour en grâce après une longue période passée dans l’ombre des grandes aires urbaines ; un État à la fois stratège et investisseur qui, dans les domaines de spécialisation que nous aurons choisis, saura donner de la visibilité, montrer la bonne direction et aimanter les initiatives privées vers des enjeux d’intérêt général. L’un des grands instruments de cet engagement à long terme sera le plan France 2030 lancé en 2021, qui poursuit les engagements des programmes d’investissements d’avenir (PIA) et repose sur une dotation de 54 milliards d’euros.
“La réindustrialisation sera verte ou ne sera pas.”
Pour redonner à notre pays un élan général, il importe aussi de le doter d’instruments capables d’anticiper et de limiter l’impact des crises, dont les circonstances actuelles laissent à penser qu’elles pourraient se succéder à intervalles rapprochés. Une approche bénéfique serait de dresser et d’actualiser régulièrement un état des lieux de nos dépendances, qui pourrait par exemple prendre la forme d’un livre blanc de souveraineté. Les observateurs et décideurs publics y dresseraient une cartographie globale et transversale des besoins, faiblesses et atouts nationaux, ainsi qu’une fixation de priorités de positionnement, s’agissant des technologies critiques que la France ou l’Europe se doit de maîtriser pour affronter la concurrence internationale.
À partir de cet exercice, il serait possible de formaliser des orientations précises en matière de produits à fabriquer sur notre territoire, d’alternatives à développer le cas échéant, de stocks à préserver ou à reconstituer, mais aussi de compétences et de moyens de formation à programmer, et surtout de moyens financiers à planifier. Visualiser et tenir en main tous les aspects du développement des industries clés dans les territoires : telles sont les promesses d’innovation et de résilience offertes par cette approche prospective.