Renaissance mondiale du nucléaire : quelles places pour la Russie ? Deuxième partie
Dans la deuxième partie, on décrit la situation russe, son organisation actuelle et les mesures prises ou envisagées par ses dirigeants pour atteindre les objectifs retenus et surmonter le défi industriel qu’ils représentent.
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L’organisation de l’industrie nucléaire civile russe
Un « raccourci » de l’histoire du nucléaire civil
L’industrie nucléaire civile s’est construite progressivement dès la fin de la Dernière Guerre mondiale et s’est pour un temps largement confondue avec les activités militaires. Elle a pris assez rapidement (à partir de 1953) une place à part, même si elle demeure encore aujourd’hui étroitement imbriquée dans ce qu’il convient d’appeler « le complexe nucléaire ». À cet égard, il est tout à fait passionnant de lire la thèse de doctorat de M. N. Vasilieva, éditée en 1999 par l’Institut d’histoire de l’industrie et qui s’intitule Soleils rouges, l’ambition nucléaire soviétique – essai sur l’évolution des systèmes de prise de décision dans le nucléaire soviétique (russe).
Les installations du site (carte 3)
On en retiendra seulement ici, que le nucléaire a depuis plus de soixante ans représenté une priorité politique, que des moyens considérables ont été régulièrement mis en œuvre, que des équipes très complètes et motivées de savants, ingénieurs et techniciens ont obtenu très vite de manière autarcique des résultats marquants puisque pour le nucléaire civil, le 27 juin 1954, sous la direction de l’académicien Igor V. Kourtchatov, la centrale de 5 MW d’Obninsk a été la première au monde à être couplée à un réseau électrique (précédant Calder Hall en 1956 au Royaume-Uni et Shippingport aux États-Unis couplée au réseau en 1957).
L’accident de Tchernobyl, le 26 avril 1986, a stoppé pour de longues années les nouveaux programmes presque partout dans le monde, également en Union soviétique puis dans la Fédération de Russie.
Des mesures correctives ont été prises sur les tranches RBMK, les performances d’exploitation se sont améliorées (kd, coefficient de disponibilité, au-delà de 75 %) et l’on a pu entreprendre la finition d’un certain nombre de tranches VVER en cours d’achèvement dont la construction avait été arrêtée ou ralentie.
Aujourd’hui le parc russe en exploitation comporte 31 réacteurs pour une puissance totale installée de 23,2 GW dans 10 centrales (11 RBMK ; 15 VVER ; 1 tranche à neutrons rapides de 600 MW ; 4 petits réacteurs mixtes de 12 MW chacun à Bilibino).
C’est aussi des installations du cycle couvrant, nous détaillerons ces points un peu plus loin, tant l’amont du cycle, extraction d’uranium, conversion, enrichissement et fabrication de combustibles, que de manière incomplète l’aval du cycle avec quelques capacités de retraitement pour les combustibles des VVER (cf. carte n° 3).
C’est enfin une présence importante hors de la Russie avec d’une part, environ 40 réacteurs en service, d’une puissance totale de 30 GW (pratiquement tous VVER) en Finlande et dans les pays de l’Est et d’autre part, 5 réacteurs VVER en construction en Chine, Iran et Inde (cf. carte n° 4) pour une puissance d’environ 5 GW.
L’organisation actuelle du nucléaire civil
Réacteurs de technologie russe à l’étranger (carte 4)
Au centre du dispositif, on trouve Rosatom, l’Agence fédérale à l’énergie atomique créée lors de la réforme administrative de mars 2004. Cette agence fédérale dépend du Premier Ministre et succède au Minatom, le ministère de l’Énergie atomique qui aura duré de 1992 à 2003, lui-même successeur du ministère dit des Constructions moyennes, le Minsredmach. Globalement Rosatom a les mêmes attributions que les précédents ministères ; il recouvre les activités civiles et militaires à l’exception de celles relatives à la Sûreté nucléaire ; il est organisé en plusieurs départements et s’appuie sur un Collège des Directeurs réunissant régulièrement les responsables des organisations qui lui sont rattachées ainsi que ceux des ministères ou organisations ayant à connaître du nucléaire civil.
On notera que les activités de sûreté nucléaire confiées au Rostekhnadzor (aux attributions plus larges) dépendent directement du Premier Ministre ; de grands efforts ont été faits dans tous les domaines pour améliorer la sûreté nucléaire des installations existantes et l’organisation conduisant à des résultats équivalents à ceux des autres opérateurs de centrales.
L’effectif total est estimé à 450 000 personnes dont 250 000 pour le secteur industriel ; s’agissant du nucléaire civil, il comprend les activités de recherche, d’ingénierie, d’exploitation des centrales nucléaires, d’amont et aval du cycle incluant les grands centres de Sibérie, dénommés combinats, ainsi que les activités de fabrication et de maintenance.
Le tableau n° 2 essaie de rassembler les principaux éléments constitutifs de cette organisation.
On distingue successivement :
• la recherche où plusieurs types d’organismes sont impliqués dans la R & D nucléaire : l’Académie des sciences de Russie, essentiellement pour ce qui concerne la recherche fondamentale, la physique théorique, les études sur les propriétés de la matière où l’on estime que 30 à 40 % de l’effectif total de 60 000 personnes environ sont impliqués dans les instituts de recherche fondamentale liés au nucléaire ; l’Institut Kourtchatov, initiateur de l’énergie atomique en Russie, dépendant maintenant directement du ministère de l’Éducation et de la Recherche, a un effectif d’environ 7 500 personnes sur une dizaine de sites ; les instituts du Rosatom avec 50 000 personnes estimées sur une dizaine de sites dont l’IPPE d’Obninsk, physique et énergétique, le VNIIM pour les matériaux inorganiques et le RIAR pour les rapides. Enfin, il convient de mentionner IBRAE, institut de l’Académie des sciences hautement spécialisé pour les questions de sûreté nucléaire (environ 400 p.) créé après Tchernobyl ;
• l’ingénierie : on distinguera les ingénieries du cycle du combustible comme GSPI à Moscou et VNIPIET à Saint-Pétersbourg et celles du réacteur, ingénieries « constructeurs » comme Guidopress (VVER) et NIKIET (RBMK ; sous-marins) et les instituts de conception générale « projets », architectes-ensembliers comme les AEP, Atomenergoproekt de Moscou, Saint-Pétersbourg et Nijni-Novgorod. On fera une place à part à Atomstroyexport, architecte-ensemblier des centrales à l’exportation, revenu récemment sous le contrôle de l’État ;
• l’exploitation : elle est du ressort de Rosenergatom, REA ; cette entité de 50 000 personnes rassemble depuis plusieurs années l’ensemble des centrales en exploitation ainsi que l’institut VNIIAES et les Atomenergoemont, dédiés à la maintenance. Avec ses 31 tranches en service, il s’agit de fait du deuxième exploitant mondial après Électricité de France ;
• les activités de l’amont du cycle très dynamiques sont essentiellement couvertes par TVEL (compagnie d’environ 50 000 p. créée en 1996) pour ce qui concerne les mines avec une production de 3 000 t/an et la fabrication (17 % du marché mondial) (Elektrostal près de Moscou ; Novossibirsk, Chepetsk) ; les grands combinats (ayant par ailleurs d’autres missions) de Sibérie (Seversk, Angarsk, Zelenogorsk, Novouralsk) sont en charge de l’enrichissement et de la conversion, la commercialisation étant assurée par Tenex ;
• les activités de l’aval du cycle sont à ce stade assez limitées ; les Russes sont favorables au retraitement, mais la seule usine en fonctionnement, RT‑1, usine de Mayak à Tcheliabinsk retraite des volumes rarement supérieurs à 150 t/an, pour les seuls combustibles VVER-440 pour une capacité théorique de 400 t/an.
Des installations d’entreposage sont envisagées dans la région de Krasnoïarsk en complément des entreposages sur site de même que des programmes plus ambitieux pour ce qui concerne la gestion des déchets et le stockage à long terme.
• la fabrication : elle repose principalement d’une part sur les usines d’Ijora à Saint-Pétersbourg, dépendant à ce jour d’OMZ, pour la fabrication des cuves, des tuyauteries primaires et une bonne partie de l’îlot nucléaire, d’autre part sur Silovye Machiny, pour les principaux équipements du circuit secondaire, notamment les groupes turboalternateurs. D’autres fournisseurs, comme l’usine ZIO-Podolsk pour la fourniture des GW et des échangeurs du circuit secondaire, OMZ-Spetstal, producteur d’aciers spéciaux, également Skoda JS, en République tchèque, ont contribué à la construction de plus de quatre-vingts réacteurs dans les années passées. L’objectif actuel est de restructurer et renforcer cet ensemble qui se voit capable de réaliser deux tranches par an (mais qui réalise actuellement en moyenne, export compris, moins d’une demi-tranche par an) au sein d’un bloc « construction des centrales » pour répondre efficacement à la croissance attendue des programmes.
Les programmes de développement
Une confirmation vigoureuse des programmes définis en 2000–2001
Intérieur d’une usine d’enrichissement |
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BELOYARSK |
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NOVOVORONEJ |
KALININE |
En 2000 et 2001, la stratégie énergétique atomique russe a été définie par deux documents : la Stratégie énergétique de la Russie jusqu’en 2020 (approuvée par le gouvernement de Russie) et la Stratégie du développement de l’énergie atomique de la Russie dans la première moitié du XXIe siècle qui en découle.
Ces documents, le deuxième notamment, tracent une perspective claire des étapes à suivre sur une longue période et développent avec force les arguments non seulement en faveur du nucléaire à court et moyen terme, mais aussi en faveur des réacteurs dits de quatrième génération, essentiellement à base de réacteurs à neutrons rapides de manière à pouvoir, grâce à un mix « eau légère-neutrons rapides », atteindre en Russie des capacités installées de l’ordre de 200 GW en 2100 tout en disposant de ressources en matières fissiles suffisantes (on rappellera simplement ici que les réacteurs à neutrons rapides permettent d’obtenir avec un mix U‑Pu une énergie de l’ordre de cinquante fois supérieure à celle obtenue à partir des réacteurs à eau légère utilisant l’uranium enrichi).
Les objectifs, à l’horizon 2010 par exemple, n’ont été certes que pour partie mis en œuvre, mais, dans un contexte qui, comme nous l’avons rappelé au début de cet article, n’était pas favorable au nucléaire il y a moins de deux ans. Il nous semble donc devoir être souligné que, dans l’intervalle, la Russie a réalisé un bon nombre d’actions ; au rang desquelles, la mise en service de Kalinine 3 et le lancement du réacteur à neutrons rapides BN-800, l’extension de durée de vie de plusieurs réacteurs (RBMK et VVER), l’amélioration significative de la sûreté, des coefficients de disponibilité, la poursuite des chantiers à l’exportation ainsi que de nombreux projets dans le domaine des réacteurs avancés et un « premier train » de mesures d’organisation et de restructuration des entreprises dépendant de Rosatom.
Ces points nous paraissent devoir être rappelés, car, lors de nos visites il y a déjà deux ans, quelque temps après la perte durement ressentie du contrat pour la Finlande au profit d’Areva, nous avons été frappés par le dynamisme et un certain enthousiasme des équipes rencontrées. Aussi nous semble-t-il également que les impulsions nouvelles données par le nouveau chef de Rosatom, S. Kiriyenko, correspondent en fait à une attente et que les changements nécessaires qu’impliquent les programmes envisagés seront dans l’ensemble bien compris et exécutés pour autant que les financements appropriés soient dégagés au fur et à mesure des besoins, ce à quoi tente de répondre le Programme fédéral sectoriel (PFS) nucléaire jusqu’en 2015 tel qu’adopté par le gouvernement le 6 octobre 2006.
Les grandes lignes des programmes de développement
Nous reprendrons ci-après les éléments qui nous paraissent les plus marquants des annonces officielles et interviews faites par les responsables russes, que l’on peut retrouver facilement dans les synthèses de la presse ainsi que dans les actes des conférences internationales comme celle à Londres déjà citée, de la World Nuclear Association en septembre 2006.
Mais auparavant nous voudrions rappeler que l’ensemble industriel, conçu et partiellement mis en place à l’époque soviétique, était destiné, pour une capacité totale installée de 100 GW (prévue atteinte en l’an 2000), à la totalité de l’URSS et des pays du bloc de l’Est et qu’il avait par ailleurs, nous l’avons déjà noté, de très nombreux segments communs avec le domaine militaire. De ce fait, l’ensemble des tâches n’était pas réalisé par la Russie qui, par exemple pour ce qui concerne le cycle du combustible, avait concentré l’enrichissement de l’uranium sur son territoire, la production des crayons et des assemblages de combustibles, le retraitement, la gestion des déchets de haute activité et la flotte nucléaire civile. En revanche n’étaient effectués en Russie que 40 % de l’extraction et du traitement du minerai d’uranium (le reste étant réparti entre la Tchécoslovaquie, l’Ukraine, le Kazakhstan et l’Asie centrale) et 20 % de la production de pastille de combustible (les 80 % restants étant produits au Kazakhstan).
Dans ce contexte, les mesures prioritaires du programme de développement sont de nature organisationnelle et financière, de nature technique et de nature industrielle. Elles concernent la Russie, les pays de la CEI et autant ceux avec qui la Russie a eu, dans les années passées, des relations fortes que ceux avec qui elle a développé des relations de coopération dans le domaine nucléaire.
Nous distinguerons et commenterons ci-dessous cinq points.
• Tout d’abord ce qui touche à la séparation des secteurs militaire et civil ainsi qu’au travail législatif et réglementaire à réaliser pour régler les droits de propriété tant des entités légales que des actifs et diverses catégories de matières.
On conçoit bien que ce travail de clarification est essentiel pour aboutir à une répartition plus claire des responsabilités et à une meilleure efficacité, mais aussi à une clarification des tarifications et des financements, budgétaires comme à partir de capitaux privés. Il s’agit là d’un travail difficile, et de longue haleine, car beaucoup d’activités sont imbriquées ; de nombreuses évolutions sont attendues y compris au niveau des structures, mais il paraît clair que le degré de privatisation sera limité, l’État voulant conserver la maîtrise.
• En second lieu, l’amont du cycle. Comme on l’a vu, c’est un secteur dynamique où le concept envisagé est de créer une « compagnie minière intégrée », intégrant, entre autres, les actifs respectifs de TVEL et de TENEX.
Au plan des objectifs « business », on voudrait souligner ce qui relève de l’activité minière et de l’enrichissement, la chaîne industrielle de fabrication dans son ensemble ne nécessitant pas de grands besoins de modernisation.
S’il est bien connu que la production actuelle d’uranium naturel en Russie (environ 3 000 t/an) ne correspond pas à la consommation (10 000 t/an) même avec l’apport du Kazakhstan (également 3 000 t/an), des mesures concrètes ont été mises en œuvre pour la reprise de l’exploration tant en Russie qu’avec d’autres pays limitrophes, le Kazakhstan notamment, pour atteindre au moins 12 000 t/an d’ici 2015.
Au total, les Russes estiment ne pas avoir de problèmes d’approvisionnement jusqu’en 2040, ce qui permettra de faire le lien avec les programmes de réacteurs à neutrons rapides de petite taille.
S’agissant de l’enrichissement, la capacité russe, estimée à 21 millions d’UTS, à partir de petites centrifugeuses (cf. photo n° 1), est supérieure à 40 % de la capacité mondiale et constitue d’ores et déjà un atout pour la vente de services d’enrichissement à l’exportation ; dans ce domaine, la Russie cherche à faire lever les restrictions commerciales mises en place au début des années quatre-vingt-dix et, en préparation de l’après 2013, date de cessation de l’HEU-deal (transformation de 500 t d’uranium hautement enrichi, HEU, en uranium faiblement enrichi LEU) à pouvoir établir des relations directes aux USA avec les utilities (cf. l’interview de S. Kiriyenko dans l’édition de septembre 2006 de Nukem Market Report intitulée : What Russia wants from the US). On notera enfin que la Russie a proposé, lors de la 50e session de la conférence générale de l’AIEA, de créer, à Angarsk, un centre international d’enrichissement afin de fournir du combustible nucléaire à tous les pays en voie de développement qui respectent leurs obligations dans le domaine de la non-prolifération des armes nucléaires.
• S’agissant des réacteurs, nous voudrions tout d’abord mettre l’accent sur les choix techniques et revenir sur les programmes.
La nouveauté au plan technique est le choix, pour le futur proche, de lancer une filière standardisée de réacteurs à eau pressurisée. Le choix s’est porté sur un projet dénommé AES 2006 dont la base est celle d’un réacteur à eau pressurisée de type VVER 1 000 dont la puissance serait portée à 1 150–1 200 MW et qui serait certifié d’ici deux ans. Conçu pour une série d’au moins 10 tranches, sa première mise en service devrait intervenir en 2012 sur le site de Novovoronej‑2.
Les choix antérieurs pour BN-800 et le développement des petits et moyens réacteurs (KLT-40, réacteur sur barge et VBR-300) ont été confirmés. La mise en service du réacteur à neutrons rapides BN-800 est programmée pour 2012 et celle de KLT-40 en 2009 pour une installation sur barge à Arkhangelsk ; pour le plus long terme, on notera que la Russie, à côté des réacteurs à neutrons rapides (tranche de référence 1 800 MW refroidie au sodium ?), prévoit de développer un Réacteur à haute température refroidi au gaz pour la production de chaleur. Rappelons également que la Russie avait lancé l’initiative INPRO pour les réacteurs de Génération 4, initiative reprise ultérieurement dans le cadre de l’AIEA. Par ailleurs il est prévu que la Russie devienne prochainement membre du GIF (Generation for Initiative Forum).
Les programmes annoncés et budgétés pour les années à venir, outre BN-800 à Beloyarsk (voir photo n° 2) concernent Rostov‑2 (1 GW mis en service en 2009), Kalinine 4 (1 GW mis en service en 2011, cf. photo n° 3) et Novovoronej (au moins 1 GW en 2012, photo n° 4). Il est prévu de mettre en service au moins 2 GW/an à partir de 2013, puis davantage ultérieurement dans la mesure du possible.
• En quatrième point, s’agissant toujours des réacteurs, les programmes envisagés constituent un véritable défi industriel même si les financements appropriés sont dégagés.
À ce stade, ce défi concerne peu l’exploitation, même s’il paraît vraisemblable que l’organisation de Rosenergatom soit appelée à évoluer ; il concerne davantage les ingénieries, Guidopress et Atomenergoproekt dont le rôle sera déterminant pour la qualité du design et la tenue des délais ; il concerne enfin ce que nous appelons le « tissu industriel ».
La définition d’un bloc « construction des centrales » semble être la solution en cours de gestation, lequel bloc ferait partie d’un ensemble intégré verticalement comportant par ailleurs l’amont du cycle et l’exploitation.
Quelle que soit la solution retenue, la réussite des programmes dépend à l’évidence d’une bonne maîtrise et d’une bonne articulation entre les différents centres chargés de la conception, la fabrication et la construction. C’est dans ce contexte que doivent être replacées les diverses annonces de reprise de contrôle de tout ou partie d’entreprises comme OMZ ou Silovye Machiny ainsi que l’intention de rétablir des partenariats actifs avec certaines entreprises d’Ukraine (pour les turbines) ou de République tchèque (Skoda par exemple).
Ces programmes ambitieux, auxquels il conviendrait d’ajouter des objectifs du même ordre de prise de commande hors de la Russie, supposent non seulement des financements et la mise en place d’une bonne architecture industrielle, ils supposent également de mobiliser, dans des délais courts, des équipes suffisamment nombreuses et compétentes pour des activités complexes qui n’auront pas été réalisées depuis plus de vingt ans.
• Le dernier point concerne l’aval du cycle, où la Russie n’a pas jusqu’à présent consacré autant d’efforts que dans les secteurs précédents même si elle s’est toujours montrée favorable au retraitement. Sans développer trop en détail ce point, il apparaît que la Russie a, dans ce domaine également, une volonté de développer les programmes de gestion des combustibles usés pour les divers types de combustible, incluant en particulier la construction d’un entreposage à sec pour les combustibles des RBMK et lancer après 2010, à Jeleznogorsk, dans la région de Krasnoïarsk, en Sibérie, la construction d’un complexe pilote de retraitement des combustibles usés VVER.
Ce dernier projet serait un élément clé du Centre international pour le retraitement des combustibles usés (International Nuclear Fuel Cycle Center), concept assez similaire à celui développé début 2006 par les États-Unis avec GNEP, dont l’un des objectifs est de contribuer de manière acceptable au déploiement aussi large que possible de l’énergie nucléaire civile.
En conclusion,
il est clair que la Russie entend développer la production d’électricité nucléaire en Russie même et jouer un rôle important à l’exportation sur les « marchés ouverts ». Les dirigeants russes mettent d’ores et déjà en œuvre, sur l’ensemble du cycle, une série cohérente de mesures aux plans technique et industriel, juridique et financier, organisationnel, en vue d’obtenir des résultats concrets dès les premières années de la prochaine décennie et atteindre un rythme de croisière à 2 ou 3 GW/an à partir de 2015
C’est, peut-on dire, une bonne nouvelle pour les divers programmes nucléaires de par le monde, dont la plupart ne sont pas encore entrés dans la phase de mise en œuvre même si celle-ci paraît inéluctable compte tenu de la croissance attendue des besoins en électricité à l’horizon 2030 et de la nécessité de remplacer nombre d’installations vieillissantes.
Pour ce qui concerne la mise en œuvre elle-même, la Russie continuera vraisemblablement, comme par le passé, à compter sur ses propres forces ; elle n’interviendra sans doute pas de manière significative, en Amérique du Nord, dans l’ex-Europe des Quinze, au Japon ou en Corée du Sud à l’exception peut-être des services d’enrichissement de l’uranium ou de fabrication du combustible ; en revanche, elle sera sans doute présente sur les autres « marchés ».
Cette question avait été posée au représentant d’un grand constructeur américain lors du Colloque Platts-Nucleonics Week des 8 et 9 mai à Paris sur le financement des investissements nucléaires. Il avait répondu : « Nous connaissons déjà assez bien les Russes ; dans le monde des affaires, nous pouvons être, selon les affaires, en situation de partenaire, de compétiteur ou de fournisseur. Pour le futur, cela sera sans doute les trois à la fois. »