Renaissances
Mélodies : Hahn, Fauré, Byrd
Dans la mollesse délicieusement coupable d’un après-midi de la fin de l’été, quoi de plus reposant que des mélodies qui n’ont d’autre prétention que de nous être agréables ? On n’en finit pas de redécouvrir celles de Reynaldo Hahn, ce Proust de la musique, et aussi celles de Fauré.
L’excellent baryton Mario Hacquard – voix typique de l’école française, chaude et claire, parfaitement en situation avec ces poèmes fin de siècle – accompagné par Claude Collet, a enregistré1 une vingtaine de ces mélodies parmi les moins connues.
De Hahn, écoutez Néère extraite des Études latines (Leconte de Lisle), néoclassique, exquisément décadente ; de Fauré, Ô mort, poussière d’étoiles (Charles Van Lerberghe), proche de l’atonalité et qui annonce, curieusement, Billy Strayhorn.
Les pièces pour clavier de William Byrd (1540−1623), compositeur prébaroque de la tardive Renaissance anglaise, sont de véritables mélodies. Jean-Luc Ho joue au clavecin ou à l’orgue ces pièces issues soit de chansons populaires soit de la liturgie2, qui révèlent une musique tour à tour légère ou austère, beaucoup moins connue que celles de l’Italie ou de la France de la même époque.
Chostakovitch par lui-même, Weinberg
Il n’existe peut-être pas de musique plus personnelle, plus liée à l’existence – difficile – du compositeur que celle de Chostakovitch.
C’est là ce qui fait tout le prix de l’interprétation de ses oeuvres par Chostakovitch lui-même au piano, dont on réédite aujourd’hui des enregistrements de 1958–1959, peu de temps avant qu’atteint par la maladie, il cesse de jouer3 : les deux Concertos pour piano (dont le Concerto pour piano, trompette et cordes), avec l’Orchestre national dirigé par André Cluytens ; la Sonate pour violoncelle et piano avec Mstislav Rostropovitch ; et une série de pièces pour piano : Trois Pièces fantastiques, et huit des vingt-quatre Préludes et Fugues.
Ce qui frappe dès l’abord, c’est la parfaite technique de l’exécutant – Chostakovitch était d’abord pianiste – et le style : piano lumineux et percutant, comme Bartok et Prokofiev. Ces enregistrements superbes, clairs et émouvants illustrent mieux que le ferait une confession la vie du compositeur : le 1er Concerto, la Sonate, les Trois Pièces fantastiques sont de l’époque la plus dure du stalinisme, où Chostakovitch était en permanence sur le fil du rasoir ; tandis que le 2e Concerto est l’œuvre apaisée et sereine d’un homme qui a échappé au danger et qui peut vivre, enfin. Deux très grands disques.
Chostakovitch fut le mentor, le protecteur et l’ami de Weinberg (1919- 1996), immigré en Union soviétique en 1939, et dont la rencontre avec Chostakovitch fut pour Weinberg, dit-il, une « re-naissance ».
On commence à peine à découvrir en Occident Weinberg, qui aura été un des trois compositeurs russes majeurs du XXe siècle, le troisième étant Prokofiev. Parmi ses vingt-deux symphonies et neuf concertos, un disque récent présente sa 4e Symphonie et son Concerto pour violon, par l’Orchestre philharmonique de Varsovie dirigé par Jacek Kaspszyk, avec Ilya Gringolts en soliste4.
Œuvres tonales, qui s’inspirent à la fois de Mahler et Prokofiev, et cependant très originales : musique puissante et remarquablement orchestrée, aux thèmes lyriques, aux harmonies subtiles, avec une dimension tragique permanente, qui fut celle de la vie de Weinberg.
Contemporains (très audibles)
James Horner (1953−2015), compositeur de musique de films à Hollywood, a écrit, sous le nom de Pas de deux, un double concerto pour violon, violoncelle et orchestre, que viennent d’enregistrer Mari et Hakon Samuelsen et le Royal Liverpool Orchestra dirigé par Vasily Petrenko5.
À l’instar de Korngold jadis, Horner a entrepris d’écrire une oeuvre « classique » dans le style de sa musique de films. Le résultat est une pièce lyrique, agréable et bien écrite, séduisante bien que quelque peu invertébrée.
Sur le même disque, des pièces d’Arvo Pärt, de Giovanni Sollima, de Ludovico Einaudi, toutes sur le principe de la musique plus ou moins répétitive, lyriques, agréables et quasi hypnotiques.
Dans la foultitude des compositeurs d’aujourd’hui, Karol Beffa émerge comme l’un des plus prometteurs, et le plus séduisant des contemporains français. Sa Suite pour clavier, dans l’esprit de Couperin (« la Volubile », « la Ténébreuse », « la Déjantée ») est une petite merveille de musicalité et de concision, avec des clins d’oeil à Stravinski et Gershwin.
Elle a été enregistrée par Vanessa Benelli Mosell6 avec les Trois Mouvements de Petrouchka de Stravinski, joués à la fois avec brio et couleur, jeu heureusement pas trop percutant contrairement à certains interprètes.
Enfin, sur le même disque, huit Klavierstücke de Stockhausen, petits météores qui ont le mérite de la brièveté. Stockhausen aura été un créateur prolifique du XXe siècle à qui on doit des oeuvres aussi marquantes – et émouvantes – que Hymnen et Stimmung. Dans un moment un peu creux de la création musicale, on peut espérer que sa musique connaisse, enfin, une véritable renaissance.
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1. 1 CD Polymnie.
2. 1 CD Accent tonique.
3. 2 CD Warner.
4. 1 CD Warner.
5. 1 CD Mercury.
6. 1 CD Decca.