Rencontre autour des microtubules : un projet inédit qui mêle l’art et la recherche médicale
Siem van der Laan, CEO de MT-act, et Henri Heidsieck, réalisateur et illustrateur, se sont retrouvés autour des microtubules, un projet innovant et inédit qui allie art et recherche médicale. Ils nous en disent plus dans cet entretien croisé.
MT-act s’inscrit dans la continuité de votre parcours académique et de vos recherches. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Siem van der Laan : Je suis titulaire d’un master en biologie de la pharmacie de l’Université de Leiden que j’ai complété avec une thèse en neurobiologie, dans le cadre de laquelle j’ai principalement travaillé sur le thème de la neuroendocrinologie.
J’ai ensuite fait un post-doctorat à l’Institut de génétique humaine à Montpellier où je me suis plus particulièrement intéressé aux microtubules, et notamment la compréhension du comportement du cytosquelette dans le vivant.
À partir de là, j’ai créé MT-act, qui se concentre sur les microtubules (MT), avec pour ambition de développer des candidats-médicaments visant à rectifier les dysfonctionnements des microtubules dans certaines pathologies.
Au cœur de votre positionnement, on retrouve cette question de l’innovation moléculaire. Pouvez-vous nous en dire plus ?
S.V.D.L : Dans les années 80 et 90, l’industrie pharmaceutique s’est intéressée aux microtubules pour apporter des solutions à des problèmes ou des enjeux de santé publique. Le CNRS a notamment développé une molécule qui agit sur les microtubules afin de bloquer le cycle cellulaire pour application comme traitement contre le cancer. Cette molécule est aujourd’hui une des chimiothérapies la plus utilisée et la plus abordable pour traiter différentes typologies de cancer. Néanmoins, ce traitement vient à un prix élevé pour les patients dû aux effets secondaires. En raison de leur instabilité dynamique, les microtubules présents dans le cytoplasme présentent une capacité remarquable à s’ajuster aux contraintes physiques ou chimiques externes. Fort de ce constat, MT-act a pris le contre-pied du positionnement de l’industrie pharmaceutique, qui consiste à essayer d’agir avec des molécules directement sur les microtubules, en se concentrant sur le système enzymatique de maintenance des microtubules.
Dans cette démarche, quels sont les enjeux que vous adressez ?
S.V.D.L : Les molécules développées par l’industrie pharmaceutique à ce jour impactent négativement l’instabilité dynamique des microtubules. Notre enjeu est donc d’arriver à agir ou à corriger les défauts des microtubules, sans impacter l’instabilité dynamique du système.
Nous avons ainsi développé des molécules capables d’agir sur ce système afin de corriger notamment des défauts de rigidification. Grâce à cette innovation, nous ciblons les maladies liées à l’âge qui sont causées par la rigidité ou le dysfonctionnement du système des microtubules dans les cellules.
MT-act a ainsi lancé 4 programmes. Aujourd’hui, notre programme le plus avancé est en cardiologie. Avec l’âge le cardiomyocyte (les cellules qui composent le cœur) se rigidifie ce qui peut entraîner des insuffisances cardiaques. Or, chez les personnes qui sont plus enclines à développer une rigidification du microtubule, le cardiomyocyte va également avoir tendance à se rigidifier. Avec notre molécule, nous essayons donc d’agir sur le système de maintenance des microtubules afin de redonner de la plasticité et une meilleure relaxation au cardiomyocyte, et ainsi prévenir ou guérir les insuffisances cardiaques.
Nous avons dé-risquer le développement pré-clinique de notre molécule et recherchons, en parallèle, des financements pour avancer sur les prochaines étapes.
Il y a également un pendant artistique au projet de MT-act, MT-art qui est le fruit de votre rencontre avec Henri Heidsieck. Dites-nous en plus.
S.V.D.L : En travaillant sur les microtubules, nous nous sommes rendus compte qu’il y avait une inspiration florale très forte autour de la terminologie scientifique utilisée pour décrire ces microtubules. Au laboratoire, afin de décrire la richesse d’un microtubule, on s’intéresse à ses branchements ou branches. On parle également d’arborisation et de la taille de la pousse du microtubule. Le dessin et les illustrations peuvent rendre ces dimensions et ces notions plus facilement appréhendables par chacun d’entre nous. C’est ce volet que nous explorons aujourd’hui en collaboration avec Henri.
Henri Heidsieck : J’ai eu une première partie de carrière de réalisateur de films d’animation. Aujourd’hui, je suis dessinateur et illustrateur dans les domaines de l’imaginaire. Je suis donc plus un « rêveur éveillé » qu’un scientifique ! D’ailleurs, quand j’ai fait la connaissance de Siem et ses équipes, je n’avais jamais entendu parler de microtubules ! Mais cela a été passionnant de les écouter me parler de leurs recherches, sur la dégénérescence des cellules cardiaques ou encore la maladie d’Alzheimer.
La connexion avec leurs recherches a été immédiate. Quelques semaines après ce premier échange, Siem m’a proposé de laisser aller en toute liberté mon imagination autour de leur travail. Et autour de ces microtubules, j’ai en effet découvert un monde merveilleux où je pouvais véritablement laisser libre cours à mon imagination.
Quelles sont les ambitions de cette initiative assez inédite dans le monde de la recherche ?
S.V.D.L : Si MT-art est à la croisée de deux mondes totalement différents, l’art et la science, cette synergie entre le monde scientifique et le monde de l’art nous permet de lancer de nouvelles pistes de réflexion et de soulever des hypothèses nouvelles. Parmi celles-ci, on retrouve notamment l’idée que le microtubule est la base moléculaire de la conscience, un axe de travail qui nous passionne tous deux profondément. D’ailleurs, nous préparons actuellement un livre illustré qui va permettre de donner vie à cette démarche artistique et scientifique.