Rencontre autour des microtubules : un projet inédit qui mêle l’art et la recherche médicale

Dossier : Vie des entreprises - HealthtechMagazine N°793 Mars 2024
Par Semi van der LAAN
Par Henri HEIDSIECK

Siem van der Laan, CEO de MT-act, et Hen­ri Heid­sieck, réa­li­sa­teur et illus­tra­teur, se sont retrou­vés autour des micro­tu­bules, un pro­jet inno­vant et inédit qui allie art et recherche médi­cale. Ils nous en disent plus dans cet entre­tien croisé.

MT-act s’inscrit dans la continuité de votre parcours académique et de vos recherches. Pouvez-vous nous en dire plus ? 

Siem van der Laan : Je suis titu­laire d’un mas­ter en bio­lo­gie de la phar­ma­cie de l’Université de Lei­den que j’ai com­plé­té avec une thèse en neu­ro­bio­lo­gie, dans le cadre de laquelle j’ai prin­ci­pa­le­ment tra­vaillé sur le thème de la neuroendocrinologie. 

J’ai ensuite fait un post-doc­to­rat à l’Institut de géné­tique humaine à Mont­pel­lier où je me suis plus par­ti­cu­liè­re­ment inté­res­sé aux micro­tu­bules, et notam­ment la com­pré­hen­sion du com­por­te­ment du cytos­que­lette dans le vivant. 

À par­tir de là, j’ai créé MT-act, qui se concentre sur les micro­tu­bules (MT), avec pour ambi­tion de déve­lop­per des can­di­dats-médi­ca­ments visant à rec­ti­fier les dys­fonc­tion­ne­ments des micro­tu­bules dans cer­taines pathologies. 

Au cœur de votre positionnement, on retrouve cette question de l’innovation moléculaire. Pouvez-vous nous en dire plus ?

S.V.D.L : Dans les années 80 et 90, l’industrie phar­ma­ceu­tique s’est inté­res­sée aux micro­tu­bules pour appor­ter des solu­tions à des pro­blèmes ou des enjeux de san­té publique. Le CNRS a notam­ment déve­lop­pé une molé­cule qui agit sur les micro­tu­bules afin de blo­quer le cycle cel­lu­laire pour appli­ca­tion comme trai­te­ment contre le can­cer. Cette molé­cule est aujourd’hui une des chi­mio­thé­ra­pies la plus uti­li­sée et la plus abor­dable pour trai­ter dif­fé­rentes typo­lo­gies de can­cer. Néan­moins, ce trai­te­ment vient à un prix éle­vé pour les patients dû aux effets secon­daires. En rai­son de leur insta­bi­li­té dyna­mique, les micro­tu­bules pré­sents dans le cyto­plasme pré­sentent une capa­ci­té remar­quable à s’ajuster aux contraintes phy­siques ou chi­miques externes. Fort de ce constat, MT-act a pris le contre-pied du posi­tion­ne­ment de l’industrie phar­ma­ceu­tique, qui consiste à essayer d’agir avec des molé­cules direc­te­ment sur les micro­tu­bules, en se concen­trant sur le sys­tème enzy­ma­tique de main­te­nance des microtubules.

« Ce des­sin est le résul­tat de mes pre­mières décou­vertes me plon­geant dans la nature qui m’environne je regar­dais tout scru­tant la moindre écorce, la moindre racine ! J’ai cher­ché à avoir un autre regard auprès des arbres, des feuillages et des mousses sans oublier les fleurs. J’avais en tête les images incroyables de l’univers des micro­tu­bules, j’ai com­men­cé à com­prendre quel plai­sir j’avais à voir appa­raître ces simi­li­tudes, cette forme de réso­nance entre la nature qui nous entoure et ces micro-orga­nismes de notre corps humain. L’arbre par sa forme, son tronc, ses ramures, ses réseaux de petites branches, ses feuilles et leurs struc­tures sans oublier son reflet dans le monde sou­ter­rain se retrouve dans le fonc­tion­ne­ment du monde des micro­tu­bules ! J’ai vou­lu mon­trer que les deux uni­vers sont liés, indis­so­ciables. On ne peut les divi­ser, la nature fait par­tie de notre vie jusque dans les plus petits orga­nismes… »
Hen­ri Heidsieck

Dans cette démarche, quels sont les enjeux que vous adressez ?

S.V.D.L : Les molé­cules déve­lop­pées par l’industrie phar­ma­ceu­tique à ce jour impactent néga­ti­ve­ment l’instabilité dyna­mique des micro­tu­bules. Notre enjeu est donc d’arriver à agir ou à cor­ri­ger les défauts des micro­tu­bules, sans impac­ter l’instabilité dyna­mique du système.

Nous avons ain­si déve­lop­pé des molé­cules capables d’agir sur ce sys­tème afin de cor­ri­ger notam­ment des défauts de rigi­di­fi­ca­tion. Grâce à cette inno­va­tion, nous ciblons les mala­dies liées à l’âge qui sont cau­sées par la rigi­di­té ou le dys­fonc­tion­ne­ment du sys­tème des micro­tu­bules dans les cellules. 

MT-act a ain­si lan­cé 4 pro­grammes. Aujourd’hui, notre pro­gramme le plus avan­cé est en car­dio­lo­gie. Avec l’âge le car­dio­myo­cyte (les cel­lules qui com­posent le cœur) se rigi­di­fie ce qui peut entraî­ner des insuf­fi­sances car­diaques. Or, chez les per­sonnes qui sont plus enclines à déve­lop­per une rigi­di­fi­ca­tion du micro­tu­bule, le car­dio­myo­cyte va éga­le­ment avoir ten­dance à se rigi­di­fier. Avec notre molé­cule, nous essayons donc d’agir sur le sys­tème de main­te­nance des micro­tu­bules afin de redon­ner de la plas­ti­ci­té et une meilleure relaxa­tion au car­dio­myo­cyte, et ain­si pré­ve­nir ou gué­rir les insuf­fi­sances cardiaques.

Nous avons dé-ris­quer le déve­lop­pe­ment pré-cli­nique de notre molé­cule et recher­chons, en paral­lèle, des finan­ce­ments pour avan­cer sur les pro­chaines étapes.

« La nature est une source inépui­sable d’analogies dans le monde de la flore. Ce des­sin est une com­bi­nai­son gra­phique des élé­ments et des images que m’ont four­nies les micro­scopes ! Les mou­ve­ments inces­sants des micro­tu­bules (champs de blé dans le vent), la pro­fon­deur des pay­sages cel­lu­laires (pla­teaux céve­nols), les spi­rales qui ne s’arrêtent jamais four­nis­sant cette élec­tri­ci­té indis­pen­sable !
Et enfin, le cer­veau, l’intelligence de la nature, les feuilles de hêtre et leurs ner­vures sym­bo­li­sant les cir­cuits neu­ro­naux. Quand je fais un des­sin, mon envie est sou­vent d’emmener le spec­ta­teur plus loin, vers autre chose que le seul des­sin, c’est là où l’on peut se retrou­ver avec un cher­cheur, comme Siem ! »
Hen­ri Heidsieck

Il y a également un pendant artistique au projet de MT-act, MT-art qui est le fruit de votre rencontre avec Henri Heidsieck. Dites-nous en plus.

S.V.D.L : En tra­vaillant sur les micro­tu­bules, nous nous sommes ren­dus compte qu’il y avait une ins­pi­ra­tion flo­rale très forte autour de la ter­mi­no­lo­gie scien­ti­fique uti­li­sée pour décrire ces micro­tu­bules. Au labo­ra­toire, afin de décrire la richesse d’un micro­tu­bule, on s’intéresse à ses bran­che­ments ou branches. On parle éga­le­ment d’arborisation et de la taille de la pousse du micro­tu­bule. Le des­sin et les illus­tra­tions peuvent rendre ces dimen­sions et ces notions plus faci­le­ment appré­hen­dables par cha­cun d’entre nous. C’est ce volet que nous explo­rons aujourd’hui en col­la­bo­ra­tion avec Henri.

Hen­ri Heid­sieck : J’ai eu une pre­mière par­tie de car­rière de réa­li­sa­teur de films d’animation. Aujourd’hui, je suis des­si­na­teur et illus­tra­teur dans les domaines de l’imaginaire. Je suis donc plus un « rêveur éveillé » qu’un scien­ti­fique ! D’ailleurs, quand j’ai fait la connais­sance de Siem et ses équipes, je n’avais jamais enten­du par­ler de micro­tu­bules ! Mais cela a été pas­sion­nant de les écou­ter me par­ler de leurs recherches, sur la dégé­né­res­cence des cel­lules car­diaques ou encore la mala­die d’Alzheimer.

La connexion avec leurs recherches a été immé­diate. Quelques semaines après ce pre­mier échange, Siem m’a pro­po­sé de lais­ser aller en toute liber­té mon ima­gi­na­tion autour de leur tra­vail. Et autour de ces micro­tu­bules, j’ai en effet décou­vert un monde mer­veilleux où je pou­vais véri­ta­ble­ment lais­ser libre cours à mon imagination.

Quelles sont les ambitions de cette initiative assez inédite dans le monde de la recherche ?

S.V.D.L : Si MT-art est à la croi­sée de deux mondes tota­le­ment dif­fé­rents, l’art et la science, cette syner­gie entre le monde scien­ti­fique et le monde de l’art nous per­met de lan­cer de nou­velles pistes de réflexion et de sou­le­ver des hypo­thèses nou­velles. Par­mi celles-ci, on retrouve notam­ment l’idée que le micro­tu­bule est la base molé­cu­laire de la conscience, un axe de tra­vail qui nous pas­sionne tous deux pro­fon­dé­ment. D’ailleurs, nous pré­pa­rons actuel­le­ment un livre illus­tré qui va per­mettre de don­ner vie à cette démarche artis­tique et scientifique.

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