Rencontre avec le Binet Moonlight : l’association LGBTI à polytechnique
Alexandre (X21), Pauline (X21) et Étienne (X21), membres du binet Moonlight, l’association LGBTI à l’École polytechnique, racontent son évolution depuis sa création et témoignent de l’expérience d’inclusion de la communauté LGBTI à l’École polytechnique.
Depuis quand le binet Moonlight existe ?
Alexandre : Le binet existe depuis 2003, à cette époque il s’appelait XY pour le livre XY de l’identité masculine d’Élisabeth Badinter, mais ce nom n’était pas actuel et ne faisait pas l’unanimité.
Pauline : Nos prédécesseurs ont choisi le nom Moonlight, en hommage au film Moonlight : L’Histoire d’une vie écrit et réalisé par Barry Jenkins en 2016. Aujourd’hui existe aussi l’association LGBTQX, créée par les Bachelors, avec laquelle nous partageons les valeurs et certains événements comme la Pride qui aura lieu au mois de mai.
Comment les anciens sont-ils arrivés à la création de ce binet ?
Pauline : Quand le binet a été créé, ses membres n’étaient pas publics. Il fallait demander au président pour rejoindre le groupe. Le fait que l’accès pouvait être interprété comme un coming out avait créé une énorme pression sociale.
Alexandre : La blague à l’époque de la Manif pour tous était de se moquer d’une personne en déclarant sur Sigma (anciennement Frankiz, Sigma est le site des élèves qui permet de se tenir informé des événements ayant lieu à l’École) qu’elle était intéressée par XY.
Comment interagissez-vous avec la communauté des étudiants polytechniciens ?
Pauline : Personnellement je gère la présence du binet dans l’IK. Je coordonne les publications de celles et ceux qui veulent y écrire chaque semaine. Le but est de parler de culture queer au sens large, avec parfois des témoignages personnels.
Alexandre : Le binet est actif dans plusieurs domaines. Nous organisons des projections de film et nous nous retrouvons régulièrement au local, par exemple avant les StyX. Nous avons aussi des activités plus militantes : par exemple en décembre, à la faveur de la journée mondiale de la lutte contre le Sida, nous avons collaboré avec le Sidaction en organisant une collecte de dons et en distribuant des préservatifs sur le campus. Pour la campagne Kès, nous avons aussi réalisé un stand, avec une exposition de photos, des quizz et un espace maquillage.
Quel est le message que vous voulez transmettre ?
Alexandre : Le but principal est de faire connaître la communauté queer à l’X. Nous existons et cela n’est pas toujours évident.
Pauline : Le binet a été créé pour offrir un safe space. C’est moins militant par rapport à d’autres binets comme XoF, mais nous parlons de thématiques importantes comme les LGBT-phobies.
Étienne : Le message est que chacun et chacune puisse faire ce qu’il ou elle veut : une personne ne doit pas se sentir obligée de faire son coming out. Nous offrons un endroit pour pouvoir s’exprimer : celles et ceux qui veulent être queer à l’École doivent se sentir en sécurité. Moonlight n’est pas réservé aux personnes queer : tout le monde peut rejoindre le binet.
Est-ce qu’il y a des cas de discrimination à l’X ?
Alexandre : Il faut faire la différence entre plusieurs niveaux de discrimination. Aujourd’hui la violence physique est rare, alors qu’on peut se confronter à des blagues douteuses qui sont blessantes. Il y a eu des propos homophobes à La Courtine et pendant les stages militaires. Il ne s’agissait pas d’insultes directes, mais plutôt d’un climat d’intolérance. À l’École, il peut y avoir une réprobation sociale sourde. Souvent, il y a un phénomène d’autocensure qui se met en place : on a plus de mal à sortir, à être démonstratif avec une personne du même sexe.
“Souvent, il y a un phénomène d’autocensure qui se met en place : on a plus de mal à sortir, à être démonstratif avec une personne du même sexe.”
Étienne : La Courtine n’est pas un lieu très propice à l’expression de son identité. La plupart des gens la cachent à ce moment-là, alors qu’ils n’auraient pas de problèmes à la montrer ailleurs.
Pauline : La discrimination peut surgir dans d’autres occasions : il y a des gens qui n’osent pas draguer en soirée par peur, alors que les personnes hétérosexuelles ne se posent pas la question.
Est-ce qu’il est facile d’exprimer son identité à l’X ?
Alexandre : L’aspect vestimentaire est très important. À l’X, comme dans d’autres grandes écoles, les vêtements typiques sont les jeans et les sweats – souvent aux couleurs d’un binet ou d’une prépa –, nous trouvons rarement des styles extravagants. Normalement les règles sont claires : interdiction de se colorer les cheveux et pas de cheveux longs pour les hommes.
Pauline : Avant j’étais à l’université et pour moi la différence est flagrante.
Étienne : Cela dépend aussi des sections, il y a des sections sportives où les règles sont vraiment strictes.
Est-il facile de faire son coming out à l’École ?
Étienne : Personnellement je n’ai pas fait de véritable annonce officielle, j’en ai parlé tranquillement avec des camarades de section et j’ai trouvé des personnes à l’écoute.
Pauline : Faire son coming out à l’X pour une personne queer, ce n’est pas faire une grande annonce : c’est qu’elle sente qu’elle peut assumer son orientation ou son identité tout le temps, devant tout le monde sans se poser de question.
Alexandre : Je pense aussi que ce n’est pas dans la culture à l’École de mettre en avant ses convictions personnelles et d’exprimer ses sentiments intimes, il y a une certaine pudeur. Cela ne va pas forcément dans le sens du coming out.
Est-ce que l’accès à un haut niveau d’études facilite l’acceptation comme membre de la communauté LGBTI aujourd’hui ?
Alexandre : Il y a une grande différence entre les grandes écoles et l’université. À l’X nous habitons ensemble 24 h / 24 et nous sommes beaucoup en contact les uns, les unes, avec les autres. À l’université, on construit son cercle d’amis, on n’a pas de groupe par défaut : cela peut être plus facile de trouver un groupe qui nous accepte. Faire des études permet aussi de s’émanciper, de choisir où l’on travaille, de déménager : cela donne une certaine liberté, on prend moins de risques si son coming out est mal reçu.
Étienne : C’est vrai que, l’X étant un environnement strictement composé par des jeunes, il peut évoluer très vite. Il y a seulement cinq ans, la situation était complètement différente. L’École reste un cadre conservateur par rapport à d’autres établissements dans l’enseignement supérieur, mais progressiste par rapport à la société.
Merci à Aurélien Genin du Binet Photo pour l’image de couverture.