Rendre le modèle français lisible et attractif à l’international
REPÈRES
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Du fait de leur histoire, les formations d’ingénieurs en France dont tout le monde reconnaît la qualité ont un double défi à relever : d’une part, retrouver une plus grande lisibilité internationale dans un monde aujourd’hui dominé par le modèle américain, d’autre part, défendre un processus pédagogique original, tout en le complétant par d’autres parcours pour élargir le vivier des étudiants pouvant entreprendre des études en ingénierie. C’est ce défi qu’a voulu relever la Commission mise en place en 2008 par le Conseil général des Mines et la Conférence de directeurs des formations d’ingénieurs, sous la présidence du professeur Robert Chabbal .
Avec la Révolution industrielle, trois traditions émergèrent en Europe pour former les nouveaux cadres. La tradition anglaise, très traditionnelle, reposant sur le jugement par les pairs. La tradition française issue de l’École royale du génie de Charleville-Mézières, qui, à la Révolution, donna naissance à la fois à l’École polytechnique et à l’École normale supérieure.
Une origine italienne
Le mot « ingénieur » est d’origine italienne. Au XVe siècle, il désignait les spécialistes des fortifications et des sièges militaires. Cette profession fut illustrée aussi bien par Léonard de Vinci que par Vauban.
Elle inspira toutes les formations françaises d’ingénieurs du XIXe siècle et fut le modèle dominant en Europe à cette époque. Enfin, la tradition allemande, fondée sur la rénovation de l’université de Berlin, entreprise au début du XIXe siècle par Wilhelm von Humboldt, à la demande de la reine Louise de Prusse, pour résister à l’influence française. C’est ce modèle que les Américains adoptèrent et diffusèrent au cours du XXe siècle en le modifiant substantiellement, avec la sortie professionnelle majoritaire des étudiants à la fin du premier cycle universitaire de quatre années, le célèbre Bachelor qui distingue les étudiants graduate des autres.
Des formations originales
La Commission présidée par Robert Chabbal s’est d’abord attachée à souligner l’originalité des formations en ingénierie dans l’enseignement supérieur qui repose sur le triptyque formation-recherche-transfert.
Avec la Révolution industrielle, trois traditions émergèrent en Europe pour former les ingénieurs
En matière de formation, le cycle des études d’ingénieurs se caractérise par des équilibres qui varient selon que l’on observe les Grandes Écoles françaises ou les facultés américaines d’ingénierie. Mais ces équilibres (connaissances- compétences transversales, formations théoriques-mise en situation, enseignements généralistes-enseignements spécialisés) les distinguent nettement de ceux des enseignements disciplinaires des facultés des sciences dans le monde entier.]
Entreprises partenaires
En matière de recherche, l’accent est surtout mis sur la recherche partenariale, avec des entreprises, ce qui n’exclut ni les recherches amont ni le développement de l’innovation, même si le coeur du métier de l’ingénieur est de maîtriser le développement des procédés nouveaux et leur changement d’échelle ( scale up ).
En matière de transfert, qui constitue une des missions essentielles des ingénieurs, les voies à privilégier pour dynamiser les relations avec les entreprises passent par le développement de la formation continue destinée à leur personnel et de services d’analyses et d’expertises à leur profit.
Évaluations
Cette réflexion a conduit la Commission à s’intéresser tout particulièrement à l’évaluation des formations d’ingénieurs en préconisant des évaluations « gigognes » réalisées par des missions d’auditeurs composées de manière équilibrée de scientifiques, d’enseignants et de professionnels. Ces évaluations doivent d’abord s’attacher à vérifier que les équilibres qui caractérisent les formations d’ingénieurs sont bien respectés, avant d’en analyser les différents volets. Ce qui conduit à mener d’abord des évaluations collectives avant de procéder aux évaluations individuelles.
Modèle universitaire international
Les universités étrangères sont en général construites sur le modèle humboldtien
Pour améliorer la visibilité internationale des formations françaises d’ingénieurs, la Commission s’est penchée sur l’organisation de l’enseignement supérieur à l’étranger. Elle a constaté que les universités étrangères sont en général construites sur le modèle humboldtien , de type confédéral, autour de 8 à 10 ensembles principaux : les humanités, les sciences sociales et humaines, les sciences « dures « , la technologie-ingénierie, le management, les sciences de l’éducation, la santé et le droit.
Le graphique ci-dessous synthétise les travaux de l’OCDE : à noter les situations particulières de la France dans le domaine des sciences et de la Finlande dans celui des technologies. Dans certains pays, notamment USA et Allemagne, il existe de grandes universités technologiques. En Allemagne, ces universités sont les héritières des Technischen Hochschulen créées au XIXe siècle sur le modèle français.
Trois dynamiques
La Commission s’est interrogée sur les grandes dynamiques qui transforment l’enseignement supérieur dans le monde et en a repéré trois.
Tout d’abord, la mondialisation de ces activités est d’abord une métropolisation. De manière un peu surprenante, le développement des réseaux Internet n’a pas freiné le rassemblement des équipes sur les grandes agglomérations.
Il y a sans doute de multiples raisons à ce phénomène. Mais certaines semblent émerger. Dans la recherche moderne l’informel et l’imprévu dans les rencontres et les échanges continuent de jouer un grand rôle. Par ailleurs en enseignement il faut être capable pour être attractif d’offrir des cursus très diversifiés. Tout cela favorise les ensembles importants pouvant de surcroît « amortir » des équipements scientifiques très sophistiqués (et donc très coûteux).
Bien entendu cette évolution est favorisée par les responsables de ses grandes agglomérations, à travers, par exemple, la création de campus ou de technopoles.
Convergences et systèmes enseignement-recherche-transferts intégrés
L’attrait culturel
Les cadres de l’enseignement, de la recherche et leurs familles sont en général très cultivés et recherchent des services que seules de grandes agglomérations peuvent offrir, ne serait-ce que pour l’éducation de leurs enfants.
Deuxième dynamique : la convergence des technologies. L’exemple le plus frappant aujourd’hui est bien sûr celui des nanotechnologies. Mais les travaux de la Commission ont bien montré que l’avenir des principaux champs disciplinaires en ingénierie ne réside plus en leur sein mais dans leurs interfaces avec les autres disciplines, à commencer par les autres disciplines technologiques, que ce soit en recherche, en enseignement ou en innovation.
Modèle confédéral
Cela conduit la Commission à défendre le schéma d’une université confédérale, fondée sur le principe de subsidiarité de manière à répondre aux contraintes propres à chacune de ses composantes. Cependant quand les ensembles technologiques atteignent une taille qui les rend visibles au plan international, comme c’est le cas de ParisTech , l’option d’une université technologique n’est pas à exclure.
Collegiums d’ingénierie
Huit champs de formation
Dans la majorité des cas, cette université confédérale, dont les actuels Pôles de recherche et d’enseignement supérieur, constitue des ébauches, pourrait être organisée autour de trois champs académiques (sciences, lettres, sciences sociales et humaines) et cinq champs professionnalisants (médecine, droit, management, ingénierie, éducation). Chacun de ces champs est fondé sur une identité forte et doit bénéficier d’une large autonomie pour le recrutement de son personnel et de ses étudiants ainsi que pour sa gestion.
Dans cette perspective, la Commission propose, non pas d’intégrer les formations d’ingénieurs qui partagent une culture commune, même si leurs modèles pédagogiques différent, dans une faculté d’ingénierie, mais de les rassembler dans ce qu’elle a dénommé un collegium . Sans toucher à l’identité des institutions participantes, cela permettrait d’améliorer la visibilité de l’ensemble, tout en répondant à des attentes souvent exprimées par les autorités locales.
La mise en place du collegium donnerait lieu à la signature d’une charte définissant les missions mises en commun en son sein ainsi que les modalités de son fonctionnement (conseil de surveillance, collège des directeurs, directoire présidé par un doyen).
Cette proposition inspire aujourd’hui un certain nombre d’initiatives universitaires.
L’option d’une université technologique n’est pas à exclure
Meilleure lisibilité internationale
En conclusion, ce n’est pas parce que le modèle français des formations d’ingénieurs n’est pas devenu, malgré ses qualités propres, le standard international qu’il faut « jeter le bébé avec l’eau du bain » ! Il est tout à fait possible de le rendre plus visible à l’international, tout en conservant son originalité et en le complétant pour élargir l’accès aux formations d’ingénieurs et tirer le meilleur parti des expériences des autres systèmes étrangers de formation à l’ingénierie.
La répartition des rôles
Dans l’organisation proposée par la Commission, les Écoles participantes resteraient les institutions de base. Le collegium serait mandaté pour remplir, avec le concours de ses membres et à leur service, les missions déléguées suivantes : des actions mutualisées (relations extérieures, communication, nouveaux projets de formation et de recherche) et des missions stratégiques concernant les contrats quadriennaux, les politiques de recrutement des enseignants et l’ingénierie de formation.
Il représenterait les formations d’ingénieurs aujourd’hui dans le PRES, demain dans l’université confédérale.
Commentaire
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ex délégué aux Rel. Internationales, Syntec-Ingénierie
J’ai trouvé cet article très instructif et équilibré. Mais un mot me gêne, c’est celui d’ingénierie. Comme dans le rapport Chabbal, il a son premier sens d’ensemble des sciences de l’ingénieur, peu ou prou. Rapport Chabbal qui, page 7, parle du « métier de l’ingénierie déjà défini … ». Mais je n’ai pas trouvé de définition dans ce rapport. Un métier qui, en revanche, apparaît clairement dans un autre rapport … sur l’ingénierie aussi, précisément, mais dans son second sens, le « Rapport sur l’ingénierie » remis en mars 2011 à Eric Besson par Emmanuel Sartorius du CGIET. Un rapport pas très optimiste sur l’ingénierie française d’ailleurs.
Il me semble qu’il eut été bon, dans le rapport Chabbal comme dans l’article, d’évoquer les deux sens du mot « ingénierie », comme d’ailleurs du mot « engineering » dont il est issu (francisation de mots anglais, Georges Pompidou, années 70). Ensemble (« en vrac », en quelque sorte) des sciences de l’ingénieur d’un côté, ensemble des sciences de l’ingénieur élargies au management, organisées dans le temps (processus) d’un projet bien particulier et dans l’espace des responsabilités contractuelles entre les deux principaux acteurs, de l’autre. Acteurs que nous appelons maîtres, d’ouvrage (client, partout ailleurs) et d’oeuvre (société d’ingénierie), intraduisibles en anglais, par ailleurs. Problème.