Tir de missile

René BLOCH (43), la passion de la France

Dossier : TrajectoiresMagazine N°723 Mars 2017Par : Alain CRÉMIEUX (55), ingénieur général de l’armement (2S)

Lors de son pas­sage à de mul­tiples postes, l’ingénieur géné­ral du génie mari­time René Bloch a incar­né une pas­sion abso­lue et exi­geante pour la France et sa défense. 

Si la dif­fé­rence d’âge et l’ampleur de la marque qu’il a lais­sée n’interdisaient pas l’usage d’une telle expres­sion, je dirais que l’ingénieur géné­ral du génie mari­time René Bloch, dis­pa­ru le 3 décembre 2016, était mon ami. 

Je l’ai ren­con­tré des dizaines de fois alors que j’étais affec­té à Londres et qu’il était deve­nu, encore ingé­nieur en chef, direc­teur des affaires inter­na­tio­nales de la Délé­ga­tion minis­té­rielle pour l’armement.

Je l’ai revu pour la der­nière fois il y a un peu plus d’un an. 

DE LA LIBÉRATION AU GÉNIE MARITIME

Né en 1923, ancien des lycées Fus­tel-de- Cou­langes de Stras­bourg, Jan­son-de-Sailly de Paris et Bugeaud d’Alger, il fai­sait par­tie de la pro­mo­tion 1943, ayant pas­sé le concours à Alger. Il n’est bien évi­dem­ment pas entré direc­te­ment à l’École et a par­ti­ci­pé aux com­bats condui­sant à la libé­ra­tion de l’Italie (au cours des­quels il fut bles­sé), puis de la France. 

« Un free French accueilli fraîchement à l’École »

Je l’ai enten­du décrire l’accueil, plus que miti­gé, qui fut d’abord fait aux free French, comme il aimait à se nom­mer, lors de leur entrée effec­tive à l’École, en sep­tembre 1945. 

Jeune ingé­nieur du génie mari­time, et « GM aéro », ancien donc de l’École natio­nale supé­rieure d’aéronautique (Supaé­ro), il avait moins de trente ans quand, en 1952, il fut nom­mé à la tête de la sec­tion « Marine » du Ser­vice tech­nique aéro­nau­tique, le STAé. 

BLOCH ET L’« ATLANTIC »

Son action, dans cette posi­tion, est prin­ci­pa­le­ment mar­quée par son rôle en tant que res­pon­sable de l’avion de patrouille mari­time Atlan­tic. Cet avion cor­res­pon­dait à un pro­gramme OTAN et a été ache­té par les Marines fran­çaise, alle­mande, néer­lan­daise et ita­lienne (87 exem­plaires au total). 

Il est cité comme exemple car les carac­té­ris­tiques tech­niques, les prix et les délais ont été tenus, ce qui n’est pas si fré­quent. Il est clair que l’intelligence et l’énergie déployées par René Bloch ain­si que ses qua­li­tés de négo­cia­teur, aidées par sa connais­sance par­faite de plu­sieurs langues, dont l’anglais et l’allemand, ont été un ingré­dient majeur de ce succès. 

Il m’a même été rap­por­té que, bien avant l’arrivée des cal­cu­lettes, il savait uti­li­ser, en réunion, une cal­cu­la­trice méca­nique qui lui don­nait un avan­tage tech­nique sur ses interlocuteurs. 

On sait que le pro­gramme a ensuite eu un suc­ces­seur fran­co-fran­çais, l’Atlan­tique 2, qui vole tou­jours sous les cou­leurs de la Marine française. 

UN NOVATEUR DANS LE DOMAINE INTERNATIONAL

Il ne fau­drait cepen­dant pas réduire le rôle de René Bloch à la direc­tion de ce pro­gramme. Il est inter­ve­nu dans d’autres pro­grammes aéro­nau­tiques inter­na­tio­naux comme le Jaguar, le Concorde ou l’avion avor­té AFVG (pour Anglo-French Variable Geo­me­try).

« Il tint à conserver l’uniforme et les traditions du génie maritime »

Il est l’un des pre­miers à s’être fait l’avocat de la méthode qui consiste, pour le déve­lop­pe­ment et la réa­li­sa­tion d’un pro­gramme en coopé­ra­tion inter­na­tio­nale, à pous­ser (ou à contraindre) les indus­triels concer­nés à créer une struc­ture (on dirait aujourd’hui une joint-ven­ture) capable de rece­voir un contrat de maî­trise d’œuvre, avec les res­pon­sa­bi­li­tés qui en découlent, et de sous-trai­ter au mieux à ses par­ti­ci­pants, sans s’astreindre à un « juste retour » tatillon et contre-productif. 

Ce fut la SEPECAT entre Bri­tish Air­craft Cor­po­ra­tion (BAC) et Bre­guet pour l’avion Jaguar, et RR-TM entre Rolls- Royce et Tur­bo­me­ca pour son moteur ADOUR. 

DIRECTEUR DES AFFAIRES INTERNATIONALES

Sa nomi­na­tion comme direc­teur des affaires inter­na­tio­nales, en 1965, montre son adhé­sion à la nou­velle orga­ni­sa­tion de la Délé­ga­tion minis­té­rielle pour l’armement, avec la trans­for­ma­tion du DEE (Dépar­te­ment expan­sion expor­ta­tion) en direc­tion de plein exer­cice, dis­po­sant d’une orga­ni­sa­tion par pays et non par « milieu » (Air, Terre, Mer). 

On ima­gine que les direc­tions jus­te­ment dites « de milieu » n’ont pas for­cé­ment appré­cié ce qu’elles consi­dé­raient, à juste titre d’ailleurs, comme une dimi­nu­tio capi­tis, cela au moment où d’autres res­pon­sa­bi­li­tés leur étaient enle­vées dans le domaine des engins avec la créa­tion de la Direc­tion des engins (DEN), en matière de pro­grammes et de poli­tique indus­trielle avec la créa­tion de la Direc­tion des pro­grammes et affaires indus­trielles (DPAI) et pour la ges­tion des per­son­nels avec celle de la Direc­tion des per­son­nels et des affaires géné­rales (DPAG).

Il y a main­te­nu une poli­tique équi­li­brée entre coopé­ra­tion bila­té­rale (notam­ment avec le Royaume-Uni et l’Allemagne), coopé­ra­tion mul­ti­la­té­rale dans l’OTAN et sou­tien des exportations. 

Il approu­ve­rait mon sou­ci de noter, à ce stade, que cette adhé­sion ne s’étendait pas à la déci­sion de fusion­ner les corps d’origine des futurs ingé­nieurs de l’armement en un corps unique et de faire donc dis­pa­raître celui des ingé­nieurs du génie mari­time, dont il tint à conser­ver l’uniforme et les traditions. 

AU SERVICE DE LA DISSUASION


En tant que direc­teur du CEL, de 1969 à 1981, René Bloch joua un rôle cen­tral dans le déve­lop­pe­ment de la « Force de frappe ».
© DGA ESSAIS DE MISSILES

En 1969, sa nomi­na­tion comme direc­teur du Centre d’essais des Landes (le CEL) qu’il diri­ge­ra jusqu’en 1981, le condui­sit à jouer un rôle cen­tral dans le déve­lop­pe­ment de ce que l’on nom­mait alors la « Force de frappe » et dont il était, et est tou­jours res­té, un ardent défenseur. 

Il aimait à dire que ce que l’on appelle aujourd’hui la dis­sua­sion était « l’assurance- vie du pays ». Un pays dont il avait vécu la qua­si-dis­pa­ri­tion de la scène inter­na­tio­nale en juin 1940. 

Il m’a fait visi­ter le CEL en 1979 et j’ai pu consta­ter l’ampleur et la qua­li­té des équi­pe­ments qu’il avait contri­bué à y faire ins­tal­ler. Il savait tenir les bud­gets ; il savait aus­si les obte­nir ! Tou­jours pré­sident de la com­mis­sion en charge de l’Atlan­tic, il en pro­fi­tait pour faire la pro­mo­tion du CEL (où elle se réunis­sait) auprès des par­ti­ci­pants étrangers. 

Il n’a d’ailleurs pas lais­sé seule­ment au CEL le sou­ve­nir d’un grand patron, mais aus­si celui d’un bon patron, capable d’y créer et d’y déve­lop­per une atmo­sphère posi­tive avec la créa­tion d’installations spor­tives, d’événements, de clubs et d’associations et même d’une crèche. 

Il y a lais­sé l’empreinte d’un grand direc­teur, même si les rela­tions qu’il entre­te­nait avec les syn­di­cats n’étaient pas tou­jours empreintes de sérénité. 

S’il a quit­té le CEL en 1981, une année char­nière de la vie poli­tique fran­çaise, il est res­té, en deuxième sec­tion depuis 1985, un obser­va­teur avi­sé de la poli­tique de défense et un défen­seur des prin­cipes qui la fondent depuis 1958. 

Il a notam­ment été pré­sident de l’Académie de marine de 1998 à 2000. Il est sou­vent inter­ve­nu auprès de ses nom­breuses rela­tions, issues de l’épopée gaul­liste, dont l’influence, cepen­dant, décli­nait avec le temps. 

Intel­li­gent, hyper­ac­tif, effi­cace, arti­san infa­ti­gable de notre appa­reil de défense, dési­reux d’aboutir au point d’indisposer par­fois ceux que son éner­gie inquié­tait, il a été un grand ser­vi­teur de l’État.

ATTACHÉ À LA FOI ISRAÉLITE

Il faut signaler son attachement à la foi israélite et l’esprit de tolérance qui l’animait. Il a tenu notamment à assister (et même à organiser) la cérémonie d’inauguration de la chapelle œcuménique du Centre d’essais des Landes, en présence des aumôniers des différentes religions.

Poster un commentaire