René BLOCH (43), la passion de la France
Lors de son passage à de multiples postes, l’ingénieur général du génie maritime René Bloch a incarné une passion absolue et exigeante pour la France et sa défense.
Si la différence d’âge et l’ampleur de la marque qu’il a laissée n’interdisaient pas l’usage d’une telle expression, je dirais que l’ingénieur général du génie maritime René Bloch, disparu le 3 décembre 2016, était mon ami.
Je l’ai rencontré des dizaines de fois alors que j’étais affecté à Londres et qu’il était devenu, encore ingénieur en chef, directeur des affaires internationales de la Délégation ministérielle pour l’armement.
Je l’ai revu pour la dernière fois il y a un peu plus d’un an.
DE LA LIBÉRATION AU GÉNIE MARITIME
Né en 1923, ancien des lycées Fustel-de- Coulanges de Strasbourg, Janson-de-Sailly de Paris et Bugeaud d’Alger, il faisait partie de la promotion 1943, ayant passé le concours à Alger. Il n’est bien évidemment pas entré directement à l’École et a participé aux combats conduisant à la libération de l’Italie (au cours desquels il fut blessé), puis de la France.
« Un free French accueilli fraîchement à l’École »
Je l’ai entendu décrire l’accueil, plus que mitigé, qui fut d’abord fait aux free French, comme il aimait à se nommer, lors de leur entrée effective à l’École, en septembre 1945.
Jeune ingénieur du génie maritime, et « GM aéro », ancien donc de l’École nationale supérieure d’aéronautique (Supaéro), il avait moins de trente ans quand, en 1952, il fut nommé à la tête de la section « Marine » du Service technique aéronautique, le STAé.
BLOCH ET L’« ATLANTIC »
Son action, dans cette position, est principalement marquée par son rôle en tant que responsable de l’avion de patrouille maritime Atlantic. Cet avion correspondait à un programme OTAN et a été acheté par les Marines française, allemande, néerlandaise et italienne (87 exemplaires au total).
Il est cité comme exemple car les caractéristiques techniques, les prix et les délais ont été tenus, ce qui n’est pas si fréquent. Il est clair que l’intelligence et l’énergie déployées par René Bloch ainsi que ses qualités de négociateur, aidées par sa connaissance parfaite de plusieurs langues, dont l’anglais et l’allemand, ont été un ingrédient majeur de ce succès.
Il m’a même été rapporté que, bien avant l’arrivée des calculettes, il savait utiliser, en réunion, une calculatrice mécanique qui lui donnait un avantage technique sur ses interlocuteurs.
On sait que le programme a ensuite eu un successeur franco-français, l’Atlantique 2, qui vole toujours sous les couleurs de la Marine française.
UN NOVATEUR DANS LE DOMAINE INTERNATIONAL
Il ne faudrait cependant pas réduire le rôle de René Bloch à la direction de ce programme. Il est intervenu dans d’autres programmes aéronautiques internationaux comme le Jaguar, le Concorde ou l’avion avorté AFVG (pour Anglo-French Variable Geometry).
« Il tint à conserver l’uniforme et les traditions du génie maritime »
Il est l’un des premiers à s’être fait l’avocat de la méthode qui consiste, pour le développement et la réalisation d’un programme en coopération internationale, à pousser (ou à contraindre) les industriels concernés à créer une structure (on dirait aujourd’hui une joint-venture) capable de recevoir un contrat de maîtrise d’œuvre, avec les responsabilités qui en découlent, et de sous-traiter au mieux à ses participants, sans s’astreindre à un « juste retour » tatillon et contre-productif.
Ce fut la SEPECAT entre British Aircraft Corporation (BAC) et Breguet pour l’avion Jaguar, et RR-TM entre Rolls- Royce et Turbomeca pour son moteur ADOUR.
DIRECTEUR DES AFFAIRES INTERNATIONALES
Sa nomination comme directeur des affaires internationales, en 1965, montre son adhésion à la nouvelle organisation de la Délégation ministérielle pour l’armement, avec la transformation du DEE (Département expansion exportation) en direction de plein exercice, disposant d’une organisation par pays et non par « milieu » (Air, Terre, Mer).
On imagine que les directions justement dites « de milieu » n’ont pas forcément apprécié ce qu’elles considéraient, à juste titre d’ailleurs, comme une diminutio capitis, cela au moment où d’autres responsabilités leur étaient enlevées dans le domaine des engins avec la création de la Direction des engins (DEN), en matière de programmes et de politique industrielle avec la création de la Direction des programmes et affaires industrielles (DPAI) et pour la gestion des personnels avec celle de la Direction des personnels et des affaires générales (DPAG).
Il y a maintenu une politique équilibrée entre coopération bilatérale (notamment avec le Royaume-Uni et l’Allemagne), coopération multilatérale dans l’OTAN et soutien des exportations.
Il approuverait mon souci de noter, à ce stade, que cette adhésion ne s’étendait pas à la décision de fusionner les corps d’origine des futurs ingénieurs de l’armement en un corps unique et de faire donc disparaître celui des ingénieurs du génie maritime, dont il tint à conserver l’uniforme et les traditions.
AU SERVICE DE LA DISSUASION
En tant que directeur du CEL, de 1969 à 1981, René Bloch joua un rôle central dans le développement de la « Force de frappe ».
© DGA ESSAIS DE MISSILES
En 1969, sa nomination comme directeur du Centre d’essais des Landes (le CEL) qu’il dirigera jusqu’en 1981, le conduisit à jouer un rôle central dans le développement de ce que l’on nommait alors la « Force de frappe » et dont il était, et est toujours resté, un ardent défenseur.
Il aimait à dire que ce que l’on appelle aujourd’hui la dissuasion était « l’assurance- vie du pays ». Un pays dont il avait vécu la quasi-disparition de la scène internationale en juin 1940.
Il m’a fait visiter le CEL en 1979 et j’ai pu constater l’ampleur et la qualité des équipements qu’il avait contribué à y faire installer. Il savait tenir les budgets ; il savait aussi les obtenir ! Toujours président de la commission en charge de l’Atlantic, il en profitait pour faire la promotion du CEL (où elle se réunissait) auprès des participants étrangers.
Il n’a d’ailleurs pas laissé seulement au CEL le souvenir d’un grand patron, mais aussi celui d’un bon patron, capable d’y créer et d’y développer une atmosphère positive avec la création d’installations sportives, d’événements, de clubs et d’associations et même d’une crèche.
Il y a laissé l’empreinte d’un grand directeur, même si les relations qu’il entretenait avec les syndicats n’étaient pas toujours empreintes de sérénité.
S’il a quitté le CEL en 1981, une année charnière de la vie politique française, il est resté, en deuxième section depuis 1985, un observateur avisé de la politique de défense et un défenseur des principes qui la fondent depuis 1958.
Il a notamment été président de l’Académie de marine de 1998 à 2000. Il est souvent intervenu auprès de ses nombreuses relations, issues de l’épopée gaulliste, dont l’influence, cependant, déclinait avec le temps.
Intelligent, hyperactif, efficace, artisan infatigable de notre appareil de défense, désireux d’aboutir au point d’indisposer parfois ceux que son énergie inquiétait, il a été un grand serviteur de l’État.