Renforcer les liens entre les X et l’hôpital, une évidence avec la pandémie ?
Face à une situation sanitaire inédite et pour affronter la vague épidémique Covid-19 du printemps 2020, une large cohorte citoyenne s’est portée volontaire pour renforcer le système hospitalier francilien. Ces volontaires, nos hôpitaux ne les comptent d’habitude pas dans leurs rangs, tout du moins pas si nombreux. Parmi eux, la communauté polytechnicienne s’est mobilisée. Pour la grande majorité le milieu hospitalier fut une découverte et la source de nombreux étonnements. En dehors de cet engouement indispensable mais éphémère, les liens professionnels entre les X et notre système de santé sont plutôt rares et ceux-ci gagneraient à être massivement renforcés. L’impact potentiel des X au sein des hôpitaux nous semble considérable et porteur de sens. Comment pourrions-nous dès aujourd’hui apporter plus à ce secteur indispensable de la société ?
À quelques exceptions près, l’ampleur de la pandémie de Covid-19 n’a pas été anticipée, et les acteurs en charge du bon fonctionnement de notre système de santé ont été bouleversés par cet inattendu. Au début de la vague française en mars, ces mêmes acteurs se sont aperçus que nos hôpitaux ne seraient pas de taille à encaisser un afflux massif de patients, par manque de moyens humains et matériels. De fait, cette pénurie s’est révélée d’autant plus intolérable qu’elle mettait en danger non seulement la santé et la vie des malades, mais aussi celles des soignants. Pour parer à cela, le confinement a été appliqué et, outre ses effets atténuateurs sur la pandémie, il a provoqué une prise de conscience rapide et violente de la situation sanitaire, et notamment de la détresse des hôpitaux. De nombreux citoyens ont alors choisi de mettre à disposition leur temps et leur énergie. Il y avait donc concomitamment une demande : des « bras » pour aider les hôpitaux à surmonter la vague qui s’annonçait, et une offre, des « bonnes volontés » de milliers de citoyens confinés et souhaitant contribuer.
Un réseau social pour recruter efficacement des bénévoles non-soignants
C’est pour apparier les deux que nous, Aude et Louise, avons eu l’idée de monter une nouvelle plate-forme agile dédiée au recrutement de volontaires non-soignants pour l’AP-HP. Il s’agit d’une plate-forme numérique (basée sur le réseau social d’entreprise Slack) pour fédérer des renforts et soulager l’ensemble du dispositif de soins. Un enjeu majeur résidait dans la correspondance entre les besoins extrêmement variés de l’AP-HP et les compétences et envies des volontaires. Le lancement de cette plate-forme a été fait en s’appuyant résolument sur la communauté polytechnicienne, qui s’est mobilisée pour cette initiative et l’a relayée efficacement dans son réseau. Alors que la plate-forme a été ouverte le 19 mars, le cap des 10 000 inscrits a été atteint avant la fin du mois. Cette réussite tint dans plusieurs facteurs. Tout d’abord la rapidité : la mise en place a pu s’affranchir des contraintes administratives habituelles qui auraient ralenti le processus. Ensuite l’affluence : l’urgence de la crise permit de rapidement mobiliser des milliers de volontaires autour d’un objectif commun, faire face ensemble. Enfin la liberté : beaucoup d’autonomie fut donnée aux hôpitaux pour bénéficier de cette ressource (en temps normal l’AP-HP ne fait intervenir des bénévoles que dans un cadre associatif).
De nombreuses barrières sont ainsi tombées grâce à cette double confiance accordée à de bonnes idées et aux volontaires. Cette présomption de confiance fut indispensable au succès. Nous avons donc piloté une petite équipe d’une dizaine de modérateurs (dont Raphaël Bouganne et Elise Amblard, de la promo 2012) qui a coordonné la mise en place d’environ 150 missions au profit d’une vingtaine d’hôpitaux de l’AP-HP, en mobilisant plus de 1 200 volontaires. Les missions réalisées sont très variées : distribution de repas pour les soignants, manutention dans les lingeries, mise en place de la logistique et gestion du parc véhicules pour Covisan, développement informatique pour la Task Force Data, etc. L’impact de cette plate-forme a été décisif. Cela a permis non seulement aux individus de soutenir l’hôpital, mais aussi, à plus large échelle, de toucher des initiatives collectives, des réseaux et des entreprises, qui sont venus proposer eux-mêmes des solutions à l’hôpital.
L’inclusion de patients dans la base de données Covid-ICU confiée à des X
En parallèle avec cette action, Éric Maury, président de la Société de réanimation de langue française et professeur des universités-praticien hospitalier à l’hôpital Saint-Antoine, a sollicité l’École polytechnique fin mars. Les réanimateurs français ont en effet mis en place un protocole de recueil national des informations cliniques des patients en réanimation. Ce catalogue devrait permettre de définir les facteurs de risque ainsi que ceux d’une évolution défavorable et d’identifier les thérapeutiques les plus actives contre cette maladie encore largement incomprise. Le recueil est effectué dans une base de données nationale souvent incompatible avec les systèmes d’information de chaque hôpital. L’inclusion des patients dans la base étant extrêmement chronophage (trois heures à l’admission et environ une heure par jour ensuite), cela ne pouvait être réalisé par les services de réanimation, débordés, même si cette réalisation était essentielle.
Malgré le manque de connaissances médicales, la formation scientifique des X permettait de répondre à l’appel avec des « têtes bien faites » capables de comprendre et faire vite et bien. Cela fut crucial pour agir en confiance et avec efficacité dans les services de réanimation. Au cœur de notre mission d’intérêt général, la réponse à cette sollicitation fut coordonnée par la direction du cabinet de l’École en lien avec les promotions en scolarité ainsi que par un appel aux jeunes anciens.
Deux élèves de la promotion 2018 (Jacques Fries et Margaux Levé) ont d’abord participé à une phase test début avril à l’hôpital Saint-Antoine. Cette phase test a permis de calibrer les besoins et le dispositif a ensuite été étendu à 25 hôpitaux d’Île-de-France. Ce sont au total 60 volontaires (dont 53 X) qui ont contribué à ce recueil et nous les en remercions. Certains poursuivent encore aujourd’hui leur volontariat sur d’autres missions et contribuent à soutenir la recherche clinique.
Les X ont une forte plus-value à apporter à l’hôpital
Au-delà de ces initiatives solidaires, nous sommes convaincus que les X pourraient contribuer de façon cruciale au secteur hospitalier, que ce soit dans l’organisation, l’innovation, la science des données, les dispositifs connectés ou bien d’autres. En effet, non seulement ce secteur est porteur de sens, mais il s’agit aussi d’un écosystème très riche, aux enjeux importants et stimulants intellectuellement, en période de crise comme hors crise. La capacité des X à résoudre des problèmes complexes est donc un atout majeur et différenciant et ils y tiendraient toute leur place. Il nous semble que les opportunités existent mais qu’elles ne sont pas encore bien identifiées et restent peu relayées. Pour donner un exemple, le département Web Innovation Données de l’AP-HP, où travaillent Elisa Salamanca (2009) et Romain Bey (2010), gère l’Entrepôt de données de santé, véritable outil big data pour la recherche clinique et lieu idéal où exprimer ses compétences scientifiques. Une issue heureuse de cette crise serait donc une implication bien plus importante des X au service des patients et de l’hôpital.