Renouveau du droit d’auteur
REPÈRES
Les droits traditionnels (civil, commercial, pénal), conçus pour appréhender le monde matériel, sont inaptes à cerner l’immatériel. Il était naturel, avec le développement du numérique, de se tourner vers le droit de la propriété intellectuelle.
REPÈRES
Les droits traditionnels (civil, commercial, pénal), conçus pour appréhender le monde matériel, sont inaptes à cerner l’immatériel. Il était naturel, avec le développement du numérique, de se tourner vers le droit de la propriété intellectuelle.
Mais le droit des obtentions végétales ou celui des marques n’étaient guère plus opérants. En revanche, le droit des brevets a été sollicité puis écarté : en Europe, ses réponses sont insuffisantes. Restait le droit d’auteur.
Le droit d’auteur, sous la poussée du numérique, est devenu stratégique
Le développement du numérique confirme et amplifie l’importance prise aujourd’hui par le droit d’auteur, mais aussi les contradictions qu’il recèle, à l’image des problématiques de la société de l’information en construction. Les fortunes ne sont plus matérielles mais immatérielles, tout comme les principales capitalisations boursières. La valeur des industries, du pétrole, de l’immobilier, renvoie à un monde passé, comparée à la valorisation des activités de l’intelligence artificielle, des logiciels, moteurs de recherche ou réseaux relationnels.
Plasticité du droit d’auteur
Conçu pour régir la création dans les beaux-arts et belles-lettres, le droit d’auteur est-il un outil adapté à la gestion des nouvelles richesses et de la nouvelle économie numérique ? En quelques années, sous l’impact des évolutions technologiques, il a confirmé sa remarquable plasticité, se révélant capable d’intégrer la plupart des nouveaux objets et nouvelles formes de création (logiciel, base de données, création assistée par ordinateur, etc.) comme des nouveaux modes d’exploitation. Suite logique de sa longue histoire qui lui a fait accueillir photographie, phonogramme, radio, cinéma, Minitel, câble et satellite, etc.
Jeux vidéo
Les créations multimédias, comme les jeux vidéo dont le régime juridique fait encore l’objet de controverses et d’une mission parlementaire (œuvre audiovisuelle ou logicielle, globale ou composite?), illustrent tout à la fois l’utilité de recourir au droit d’auteur et la nécessité d’en réévaluer constamment la pertinence.
Cette modernité du droit d’auteur ne doit cependant pas dissimuler les mutations parfois profondes des principes sur lesquels il repose et l’âpreté des controverses entre spécialistes, au sein des organisations professionnelles ou des conférences économiques mondiales (Gatt puis OMC). Il en est ainsi de l’applicabilité des qualifications juridiques traditionnelles aux nouveaux objets.
On conçoit que l’originalité, condition de la protection, donc l’exigence que l’œuvre exprime la personnalité de son auteur, soit d’application délicate pour un logiciel de comptabilité ou pour un modèle numérique de terrain (cartographie), lesquels par nature ne souffrent guère la fantaisie du créateur.
On peut encore s’interroger sur la pertinence des modes de protection, la durée de cette protection (soixante-dix ans après la mort de l’auteur), la nécessité ou non de réorganiser l’attribution des droits (entre l’auteur et l’entreprise), mais aussi les modes d’exercice des droits (individuel ou collectif par des sociétés de gestion collective comme la Sacem, Société civile des auteurs compositeurs et éditeurs de musique).
Adaptation technique et logique économico-politique
Ce processus de réévaluation résulte des nouvelles revendications générées par l’évolution des moyens de création et de communication. Il ne s’agit pas de simples ajustements techniques, mais le plus souvent de choix sociaux et économiques qui structurent le devenir de secteurs entiers et de la société, comme l’illustre la controverse relative à la musique sur Internet.
Le droit d’auteur se colore d’une logique de droit de la concurrence
Le droit d’auteur, sous la poussée du numérique, est devenu stratégique par sa place au cœur de l’économie de la société mondiale de la communication (vecteurs et contenus), secteur majeur aujourd’hui. Il révèle donc le conflit des grandes logiques de la société de l’information, et y participe : garantir une protection, mais assurer la circulation, favoriser l’accès le plus large au contenu, mais permettre la rémunération des créateurs et des investisseurs. Protéger la création afin de l’encourager en reconnaissant des droits privatifs – un monopole d’exploitation – qui permettent au titulaire de gérer le fruit de son travail, de son investissement, mais ne pas faire obstacle à la circulation des idées, de la culture.
Telle est la confrontation majeure car elle touche au conflit de deux revendications tout aussi légitimes que contradictoires. Cette confrontation n’est pas nouvelle. C’est sa vigueur qui l’est : explosive et subversive sous la pression du numérique qui, en offrant des multitudes de possibilités d’utilisation des œuvres (copie, partage, recréation), bouscule les schémas traditionnels d’organisation et de responsabilité dans la chaîne de la valeur. Les nouveaux moyens d’appropriation et de réexploitation des créations relèvent de l’invisible, du volatil et du mondial.
Deux phénomènes parmi les plus récents sont à relever : l’irruption du consommateur comme exploitant et l’apparition de nouveaux opérateurs puissants dont l’intervention n’a pas pour objet la logique de la création et ne s’inscrit pas dans cette logique.
Consommateur et exploitant
Le premier phénomène de crise naît du fait que le consommateur devient exploitant à raison de sa capacité technique à reproduire une œuvre et à la diffuser. C’est l’aboutissement d’un processus ancien de déplacement des fonctions dans la communication. Le numérique l’a accéléré et amplifié. Le monde de visibilité dans lequel les pôles d’exploitation, bien que s’étant multipliés (du monopole de la radiodiffusion aux radios privées, par exemple) demeureraient identifiables, permettait un équilibre entre les protagonistes par des négociations et des contrôles.
Copier, partager
La copie et le « partage » (ne devrait-on pas plutôt écrire « diffusion »?) sur les réseaux sociaux sont devenus des modes d’exploitation.
D’où le dilemme, interdire et sanctionner ou légaliser, sous réserve dans ce dernier cas de ne pas assécher les ressources actuelles des secteurs concernés (musique, cinéma, bientôt livres). Cette problématique a déjà été rencontrée avec l’apparition des magnétophones et magnétoscopes. La copie était licite au titre de la copie privée, dans des conditions d’un usage strictement individuel ou familial. Mais la multiplication des machines individuelles, et donc des copies, a produit un tel impact sur l’économie des secteurs sonores et audiovisuels que l’instauration d’une ressource de substitution aux ventes a été nécessaire : la rémunération pour copie privée, assise sur chaque support vendu. La copie privée, de gratuite, est devenue payante
Avec le numérique, le monde devient « flou » en raison de la multiplication et de l’atomisation des « communicants », rendant du fait de l’effet de masse quasi impossibles les relations contractuelles et de contrôle. Même la gestion collective des droits, qui s’est substituée à la gestion individuelle lorsque le titulaire des droits ne peut plus les gérer lui-même en raison de la multiplicité des exploitants et des œuvres exploitées, n’apporte pas la solution : imagine-t-on les diverses sociétés de gestion collective conclure des contrats avec les millions d’internautes ? Les schémas traditionnels de gestion sont nécessairement à repenser.
Le « partage » sur les réseaux sociaux possède un caractère public et collectif qui exclut l’application du régime de l’exception pour copie privée. L’autorisation légalement requise n’est pas obtenue, la juste rémunération des titulaires de droits en contrepartie n’est pas versée. Le sinistre économique est considérable. Les tentatives de contrôle du phénomène comme celles visant à reconstruire un mode de distribution classique fondé sur de grands exploitants se révèlent lentes et laborieuses, voire improbables. Certains s’interrogent sur leur compatibilité avec la logique même d’Internet et la culture d’une grande partie des internautes, que les pouvoirs publics et les intermédiaires techniques ont laissé se développer au nom de l’objectif de croissance d’Internet.
Parmi d’autres solutions est apparue une licence générale, en contrepartie d’une rémunération forfaitaire prélevée à la source. Combattue puis réapparue avec des modalités aménagées, elle viserait à couvrir certaines pratiques que les dispositifs légaux traditionnels ne peuvent appréhender, pour des raisons juridiques mais surtout économiques, en contrepartie d’une nouvelle ressource compensatrice. Certaines licences légales, instaurées il y a trente ans pour divers secteurs (phonogrammes utilisés par les radios, télévisions et discothèques, ou la rémunération pour copie privée, notamment), s’inscrivent dans la logique d’une telle évolution.
Nouveaux acteurs
Second phénomène perturbateur, l’arrivée de nouveaux entrants sur le marché. Ils sont étrangers à la création et détiennent une puissance économique sans commune mesure avec les opérateurs traditionnels de la création. Le contenu, musique ou audiovisuel, voire livre, photo, etc., n’est qu’un produit d’appel pour vendre de la technologie, hard ou soft, et des services, le cas échéant financés par de la publicité. Le prix du contenu, le titre de musique par exemple, n’est alors pas fixé sur le marché de la musique mais sur celui des télécoms ou sur le prix au mille de la revente d’adresses et de profils. Le poids économique respectif des opérateurs des marchés aval et amont ne peut qu’entraîner une domination des industriels sur les créateurs et les investisseurs dans la création.
Richesse du numérique et vertu du droit d’auteur
Les États-Unis ont connu la même problématique entre les studios d’Hollywood et les câblo-opérateurs, lesquels ont eu le dernier mot. Un tel système est paupérisant pour la création. Cette nouvelle confrontation présente le risque grave de dévalorisation des contenus aboutissant à un assèchement du financement de la création et à une menace pour la diversité culturelle. Le besoin de régulation est nécessaire. Le droit d’auteur, qui est un droit distributif de la titularité des droits et des ressources d’exploitation des œuvres, se colore de plus en plus d’une logique de droit de la concurrence. L’internationalisation ajoute à l’incertitude. Le droit d’auteur applicable est-il celui du pays d’installation de l’opérateur, professionnel ou non, du pays de réception ? Problématique bien connue et traitée par les conventions internationales fondatrices de la propriété littéraire et artistique. Mais les solutions demeurent-elles adaptées au numérique et à l’influence des traités économiques ? Ce d’autant que les deux familles de droit, le copyright et le droit d’auteur, sont à l’origine très différentes. La première repose sur une conception utilitariste et économique, mettant l’entreprise et l’exploitation des droits au cœur du système. La seconde est fondée sur l’humanisme, elle place la personne de l’auteur au cœur des droits.
Un rapprochement est cependant amorcé et, si des différences importantes demeurent, le numérique et l’économique sont facteurs d’harmonisation des réponses aux besoins. Le numérique a modifié les conditions de production et d’exploitation de la création. Dans certains secteurs, il a transformé l’échange en provoquant des impacts considérables : déprofessionnalisation et atomisation des exploitations ou utilisations, dématérialisation, globalisation géographique et technique ainsi que des pratiques. Un défi pour toute la chaîne de valeur et une responsabilité commune, y compris des utilisateurs, pour évaluer la pertinence des dispositifs légaux au regard des équilibres économiques et culturels que la société entend se fixer.
Jusqu’où protéger ?
Quels sont les objets protégés, leur usage doit-il être soumis à autorisation préalable ou considéré comme acquis a priori afin de faciliter les pratiques, avec ou sans rémunération en contrepartie ? Tel ou tel intervenant dans le processus technique est-il exploitant des œuvres (FAI, agrégateurs, moteurs de recherche) et donc tenu à des obligations juridiques et financières corrélatives ? L’internaute partageant sa playlist avec ses « amis », à la mode Facebook, devient-il un distributeur de contenu ou fait-il un usage entrant dans l’exception légale du cercle de famille – mais quels critères retenir pour apporter une réponse (le nombre, la qualité de ses « amis »?) et quels modes de contrôle pour prévenir la fraude ? Les processus techniques et économiques de l’informatique en nuage (cloud computing) font s’interroger sur la réalisation de copies, de nature privée ou non, d’une communication au public ou non, et sur le rôle et donc les obligations des divers intermédiaires au regard du droit d’auteur (une quinzaine d’années de contentieux ont été nécessaires avant de connaître la réponse pour la câblodistribution).
2 Commentaires
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Renouveau du droit d’auteur ou renouveau de ses usages ?
Merci pour cet article très intéressant.
Pour pousser l’analyse, on pourrait distinguer deux contextes économiques, le B2C et le B2B dont les ressorts sont très différents.
Pour le B2C, c’est l’idéal de l’accès à la connaissance pour tous : c’est une valeur sociale.
Dans le B2B, il s’agit pour une personne privée de créer une valeur financière (profits) par l’exploitation de propriétés littéraires et artistiques propres ou de tiers.
Si on peut souhaiter un renouveau de la régulation dans le B2C, dans le B2B, la liberté contractuelle devrait être la premier principe pour adresser le numérique.
Quand aux véhicules juridiques, il serait opportun de considérer les Creative Commons ou les licences Libres Savoirs ParisTech.
Le renouveau du droit d’auteur ne serait-il pas alors : un plus strict respect du Code de la propriété intellectuelle (avec notamment les exceptions aux droits d’auteur L 122–5) et en contrepartie l’usage généralisé et éclairé des contrats Creative Commons ou Libres Savoirs ParisTech ?
Renouveau du droit d’auteur
Une question n’est pas posée : La protection a‑t-elle un effet réel sur la création ?
Pour comparaison, une théorie mathématique ou un algorithme n’est pas brevetable. Ainsi les créateurs des algorithmes de chiffrement modernes (clé publique/clé privé) ne perçoivent aucune rémunération pour leur invention pourtant utilisé dans tous les échanges electroniques.