Renouveler le financement des filières industrielles
Dans la plupart des filières industrielles, les grands donneurs d’ordre ont externalisé plus de 80 % de la valeur ajoutée de conception et de production auprès d’un grand nombre de fournisseurs ou sous-traitants spécialisés.
Or, la grande majorité de ces fournisseurs sont des PME-ETI (plus de 2 000 en rang 1 pour Airbus à titre d’exemple) dont la capacité à financer, par anticipation, les études, les investissements, les achats, les stocks nécessaires à la fourniture des pièces et équipements, est évidemment critique pour sécuriser la supply chain dans son ensemble.
REPÈRES
La supply chain finance couvre le financement du BFR (« besoin en fonds de roulement »), la sécurisation des échanges internationaux entre les partenaires et une circulation plus rapide et plus sûre du cash-flow, grâce notamment aux nouvelles technologies et à la dématérialisation.
Cet article est limité à la gestion du BFR et aux nouvelles solutions de financement.
Des besoins de financement mal couverts
Malheureusement, du fait des nouveaux ratios prudentiels exigés pour les banques (Bâle III), les conditions d’accès au crédit bancaire pour les PME-ETI n’ont cessé de se durcir ces dernières années, conduisant à un « gap » de financement (besoins non couverts) significatif, notamment sur les besoins à court ou moyen terme.
Ce « gap » de financement non seulement bride la croissance des filières, mais constitue un facteur de risque majeur de rupture des supply chains.
Alternatives financières
D’où l’émergence récente de nouvelles formes de financement alternatives au crédit bancaire (s’agissant du cycle d’exploitation, nous excluons ici le financement en equity) et destinées aux PME-ETI, telles que les fonds de prêt à l’économie lancés en 2013 avec le soutien des pouvoirs publics.
“ Le gap de financement est un facteur de risque majeur ”
C’est aussi la raison qui justifie le formidable essor de la supply chain finance en France mais aussi en Europe, avec des initiatives regroupant les grandes entreprises, les PME-ETI, les pouvoirs publics, les investisseurs institutionnels (banques, assurances, fonds), les prestataires logistiques, les éditeurs de plateformes technologiques, etc.
Nous nous limiterons ici aux solutions de financement collaboratif du BFR entre partenaires d’une même supply chain : solutions dites de post-shipment (après la livraison et la facturation des produits), essentiellement l’affacturage inversé, et solutions dites de pre-shipment (avant la livraison des produits), dont le financement des commandes et des stocks.
Affacturage inversé
La technique n’est pas nouvelle en soi, et existe depuis longtemps dans d’autres pays d’Europe, notamment l’Espagne, qui a été précurseur. Connue sous le nom de reverse factoring, elle fonctionne comme de l’affacturage, avec la différence que le schéma de financement est organisé par un donneur d’ordre pour le compte de ses fournisseurs directs.
“ L’accès au crédit doit être facile, rapide et low-cost ”
Les fournisseurs peuvent ainsi bénéficier d’un taux d’escompte d’autant plus intéressant que le profil du donneur d’ordre est considéré comme sans risque. De nombreux programmes de ce type ont vu le jour depuis trois ans, dans des secteurs variés : grande distribution, énergie, télécoms, automobile, aéronautique, etc.
Cette solution est intéressante pour toutes les parties prenantes de la supply chain : les fournisseurs réduisent leur BFR (poste clients) en bénéficiant de taux de financement plus attractifs que l’affacturage classique et ils bénéficient d’une meilleure visibilité et prévisibilité du cash-flow ; les donneurs d’ordre ne dégradent pas leur propre BFR et améliorent leur relation fournisseurs.
Financement des commandes et des stocks
Les solutions de financement des commandes (fermes et prévisionnelles) et des stocks constituent une réponse particulièrement bien adaptées aux PME-ETI en manque de liquidités, malgré la visibilité de leur carnet de commandes.
C’est typiquement le cas aujourd’hui de la filière aéronautique, compte tenu de la visibilité du carnet de commandes d’Airbus (plus de neuf ans de production) et des augmentations de cadences programmées. En soi, il ne s’agit pas d’une innovation si l’on considère que les banques (surtout anglo-saxonnes) l’ont pratiqué dans le passé pour des montants de commandes ou de stocks importants (avec des programmes spécifiques de titrisation) et pour des entreprises financièrement très solides.
UNE SOLUTION LIMITÉE
L’affacturage inversé a ses propres limites. Il est difficile d’élargir la solution de financement aux fournisseurs de rang 2 et supérieurs car ils ne facturent pas directement le donneur d’ordre (le risque sur la créance étant celui du donneur d’ordre uniquement).
Cela exclut donc beaucoup de PME de la filière. Et même pour les fournisseurs directs (rang 1) du donneur d’ordre, il ne résout pas leurs besoins de financement amont (commandes, stocks).
Il s’agit en fait d’une ligne de crédit engagée sur le donneur d’ordre, et qui est donc susceptible de dégrader les ratios financiers ou d’impacter les arbitrages d’allocation des ressources financières.
Mais les enjeux ne sont plus les mêmes car il s’agit ici de financer le BFR de PME-ETI dans des conditions où l’accès au crédit doit être facile, rapide et low-cost ; où les montants sont relatifs par rapport aux opérations historiques de titrisation de stocks – de quelques centaines de milliers à quelques millions d’euros – ; où n’y a en général aucune notation pour les entreprises concernées ; enfin, où il s’agit plutôt de financer un flux de commandes plutôt qu’un contrat ou une commande ferme.
C’est pourquoi, la conception et la mise en oeuvre de ce type de financement exigent d’innover dans trois domaines. Le premier est le risque de crédit, qui doit être appréhendé comme un risque systémique de supply chain de filière et non plus comme un risque statistique de défaillance d’entreprise.
Le deuxième est celui de l’organisation du partage d’information et de la collaboration entre donneurs d’ordre et PME fournisseurs, élément clé pour optimiser le BFR et gérer le risque de financement : cela nécessite le développement d’agence de notation de la supply chain, intégrant performance financière et opérationnelle.
Enfin, le troisième est l’utilisation des nouvelles plateformes technologiques pour faciliter la mise en relation des parties prenantes (entreprises, financeurs, etc.) avec une offre intégrée de financement du BFR.
Des développements prometteurs
Au carrefour de la finance, des opérations et de la gestion des risques, la supply chain finance est non seulement en plein développement dans les entreprises, mais c’est aussi une discipline qui émerge avec un succès fulgurant dans les plus grandes universités internationales. Gageons qu’il en sera bientôt de même chez nous.