Rénovation du château de Montautre par un X, récit d’une passion
Initialement simple projet familial de résidence secondaire, l’acquisition du château de Montautre par la famille Lacaze s’est transformée en une aventure historique et culturelle au service de l’animation d’un territoire rural méconnu, au cœur du Limousin, à la frontière entre la Creuse et la Haute-Vienne.
Cela faisait à peine quinze minutes que nous étions arrivés à Montautre que nous échangions déjà entre nous, en bas du donjon, des regards évocateurs. Notre fille, mon épouse et moi, sommes conquis : voilà bien ce lieu à la fois humain, authentique et historique que l’on cherchait depuis longtemps.
Coup de foudre en Limousin
En effet, depuis plus d’un an, nous tournons en France, à visiter des demeures historiques de toutes espèces : manoirs, fermes fortifiées, petits châteaux. Et, ce jour-là, c’est un vrai coup de cœur. Le lieu est magique par son atmosphère, son isolement du monde et son authenticité ; magique aussi par sa capacité à satisfaire les attentes – jusque-là contradictoires – de chacun des membres de la famille : pour elle, un pôle de regroupement familial et amical à l’atmosphère intimiste ; pour lui, un site riche de ses vieilles pierres et de son histoire ; et pour les filles, un lieu où rassembler leurs (nombreux) amis sans risque de déranger le voisinage.
C’est donc ainsi que quelques mois plus tard le château de Montautre, XVe siècle, ce lieu qui ne satisfaisait aucun de nos critères de recherche (trop grand pour qu’on puisse le gérer, trop loin de Paris pour y accéder facilement, trop cher pour qu’on puisse l’acheter) devenait notre propriété et allait nous embarquer dans une passionnante aventure historique et humaine. Cette aventure s’est déroulée en deux étapes : apprivoiser Montautre et développer Montautre.
Repères
- 50 000 châteaux en France pour 35 000 communes.
1 000 châteaux sont en vente à chaque instant et 500 ventes sont conclues par an. - 1 000 châteaux sont classés monuments historiques et 5 000 châteaux sont inscrits à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques.
Apprivoiser Montautre : trop grand
Même si l’entretien des prés et bois du domaine peut être facilement externalisé, tous nos week-ends ne suffiront pas à s’occuper des jardins, ceux de la basse-cour et de la haute cour du château médiéval, et celui de la terrasse XVIIe. Il faut aussi une présence sur place, pour ne pas laisser sans occupant un lieu déjà isolé de tout (pas de construction à 1,5 km à la ronde). Non, Montautre n’est vraiment pas adapté à un usage de résidence secondaire, il faut y résider.
Après le coup de cœur, la raison reprend donc le dessus. Comprenant que la vente est en train de capoter, le vendeur – un Hollandais qui avait acheté le château en l’an 2000 aux descendants de la famille l’ayant occupé depuis le XVe siècle – nous propose une solution : le rêve de beaucoup de Hollandais est justement de devenir gestionnaire de château… en France ! Il y a même aux Pays-Bas un jeu de téléréalité qui y est consacré ! Mis en contact avec la filière, nous faisons affaire avec Kitty et Adri, un couple d’une soixantaine d’années, enchantés de quitter le plat pays pour rejoindre le Limousin. Nous pouvons les loger dans une aile des communs aménagée en appartement confortable avec trois chambres, où ils peuvent recevoir famille et amis. En échange, ils garantissent leur présence et l’entretien du domaine.
Finalement, pas trop grand.
Trop loin
Avant d’arriver à Montautre, nous avions fait de nombreux détours pour visiter six autres domaines en Poitou et en Charente… sans réaliser que ce parcours compliqué nous avait amenés dans un lieu situé à dix minutes de la gare SNCF de La Souterraine (dix trains par jour directs depuis Paris-Austerlitz, en 2 h 30) et à dix minutes de l’A20, autoroute gratuite, à trois heures de Paris.
Finalement, pas trop loin.
Trop cher
Le courant était bien passé avec les anciens propriétaires ; ils avaient compris que notre projet serait respectueux d’un lieu qu’ils aimaient beaucoup et auquel ils avaient consacré 18 ans de leur vie pour le rendre habitable : ils ont accepté de baisser le prix… et, à peine sorti du remboursement de l’emprunt de notre appartement parisien, on a replongé pour un emprunt sur 15 ans !
Finalement, encore un peu trop cher, mais on gère.
Développer Montautre : le saut
Quatre années passent à s’imprégner des lieux et de son environnement. Montautre, comme résidence secondaire, est idéal pour de longs week-ends, des rassemblements familiaux… et plus encore pour des confinements. Le printemps 2020 fut ainsi magnifique… pour nous !
Survient alors pour moi l’occasion (non recherchée !) de quitter l’automobile et de changer de vie après 33 années passionnantes et intenses dans le groupe Renault. Je fais le saut, même si Catherine, mon épouse, reconvertie récemment en tapissière d’ameublement, doit rester à Paris où sont à la fois son atelier et sa clientèle.
Une véritable enquête historique
L’agent immobilier nous avait bien parlé d’un site gallo-romain, et plusieurs pierres curieuses étaient bien visibles dans la basse-cour, mais on était loin d’imaginer les découvertes historiques successives qu’allait nous réserver le site du château de Montautre après son acquisition.
Situé en bordure d’un plateau, le lieu a été occupé dès le Néolithique, sans doute à cause de sa position dominante sur la vallée de la Semme et de la présence de trois sources naturelles qui jaillissent au pied du château. La découverte de nombreux silex dont flèches, racloirs et scies par le préhistorien local Roger Crédot, puis par deux étudiantes en archéologie qui travaillent sur notre site, atteste de la présence d’un village néolithique depuis au moins six mille ans.
Plus marquants encore sont les vestiges d’un monument gallo-romain important que la tradition rapporte comme étant un temple dédié à Mercure, sans que cela ait pu être confirmé. Les témoignages de cette époque sont en tout cas nombreux ; certains ont une origine antique avérée (meule, coffres funéraires, borne milliaire, stèle, beau morceau de corniche, pierres de petit appareil, tuiles plates, pièces de monnaie, haut de colonne…), d’autres sont encore au stade de vestiges antiques potentiels (colonnes monolithes, cuve de granit monumentale, pierres taillées diverses…). Les découvertes successives ont suscité l’intérêt de la DRAC (direction régionale des affaires culturelles) et de l’expert limougeaud Jean-Pierre Loustaud avec qui nous avons pu définir un programme de fouilles prévu à l’automne 2024.
« Les découvertes successives ont suscité l’intérêt de la DRAC avec qui nous avons pu définir un programme de fouilles prévu à l’automne 2024. »
En parallèle avec les investigations et découvertes néolithiques et gallo-romaines, je menais l’enquête pour retrouver les fameuses archives du château. Présentes au château et réputées encore intactes au début du XXe siècle, elles étaient propriété de l’unique famille, les Mondin de Montautre, qui a occupé le château en ligne directe du XVe siècle à l’an 2000. Après deux ans d’investigations multiples (archives départementales, offices notariaux, ventes aux enchères…) et plusieurs rebondissements, elles sont retrouvées, dans leur intégralité, en région parisienne chez un descendant des Mondin de Montautre. Il est tout à fait disposé à me rencontrer et à me prêter, sans m’avoir jamais rencontré, ses huit caisses d’archives du château et de sa famille pour que je les remporte à Montautre.
La rareté, la qualité de conservation, la cohérence et la complétude d’un tel volume d’archives démarrant en 1403 allaient être un formidable levier pour le développement d’une dynamique autour de Montautre.
Tout d’abord grâce à l’intérêt d’historiens et d’experts de toute sorte, passionnés par un fonds d’une telle rareté et ravis d’apporter leur expertise pour la numérisation aussi bien que pour l’étude paléographique et historique des documents.
Ensuite par un effet de notoriété de proche en proche. Les archives ont permis la construction d’une visite guidée particulièrement bien documentée, incarnée, avec des anecdotes de vie mais aussi des liens directs et explicites avec la grande histoire de France (au XVIe siècle, François Mondin de Montautre est monté à la cour de François Ier, Gabriel Mondin de Montautre a combattu sous les ordres du futur Henri III, à la fin du XVIIe siècle un autre François Mondin de Montautre a dirigé le régiment de Limoges pour Louis XIV).
Une entreprise de sauvetage et de restauration du patrimoine sous le signe de l’authenticité
Le couple américano-hollandais qui nous a précédés avait acheté à la famille historique qui n’avait plus fait de travaux depuis un siècle. Ils ont donc eu pour objectif de rendre le château habitable en y installant le chauffage et en y aménageant chambres et salles de bain.
Ce domaine avait une qualité rare, de plus en plus difficile à trouver : rien n’a été saccagé. Tout a été soigneusement préservé ou adapté au minimum, sans transformation lourde. Vieux planchers (XVIIe), sols en tomettes (XVe et XVIe), vitraux sertis au plomb, carreaux de vitre en verre coulé (XVIIIe), portes extérieures à clous retournés (XVIIe) et portes intérieures à clenche (XIXe) : tout respire l’authenticité même si, évidemment, quelques fausses notes étaient venues s’ajouter, plus ou moins adroitement, en réparations ultérieures.
Donc : préserver l’authenticité du site et ses matériaux anciens, car cela fait à la fois sa valeur historique et son charme, tout en corrigeant les petits anachronismes accumulés au fil des réparations de fortune ou entreprises de sauvetage.
La première opération d’ampleur est celle des menuiseries du logis seigneurial : remise en « conformité historique » de trois fenêtres sur la façade XVIIe avec petits carreaux en verre coulé, portail clouté avec double cinématique pour le châtelet d’entrée, porte cloutée avec judas pour la bibliothèque, vitraux losangés sertis au plomb pour la fenêtre à meneaux avec ses volets intérieurs, contrevents en châtaigner avec assemblage traditionnel sur la façade XVIIe.
“L’obtention rapide de labels de la Fondation du patrimoine nous a permis d’ouvrir une souscription publique.”
La seconde opération d’ampleur est vite apparue d’elle-même, et des plus urgentes : le mur de la chapelle était en train de s’écrouler, entraînant avec lui la partie nord du logis des gardes. La tourelle qui servait de sacristie était elle-même rapiécée de façon multiple, cimentée çà et là, et surtout étayée à la hâte : sauver l’ensemble était une priorité… qui est apparue lors d’un week-end Kès 84 !
Le château n’étant pas encore (c’est prévu dans trois ans environ) ni inscrit ni classé, nous ne pouvions bénéficier d’aucune subvention. L’obtention rapide de labels de la Fondation du patrimoine nous a permis, à défaut d’obtenir un financement (contrairement à la croyance bien établie), d’ouvrir une souscription publique. Notre objectif est que 20 % du montant des travaux de la seconde tranche soit financé par ses dons. Le reste sera à prendre sur nos économies, même si certains avantages fiscaux adoucissent un peu la facture.
Les projets ultérieurs, encore en réflexion, restent nombreux : restitution de la tour maîtresse du logis des gardes, ses machicoulis, son pignon et sa cheminée, tout en refaisant la toiture en ardoise de Travassac. Consolidation du châtelet d’entrée pour pouvoir retirer les tirants métalliques qui entretoisent le bâtiment, reconstruction du mur de soutènement de la terrasse XVIIe avec mise en place d’un drainage, restauration du donjon, de la magnifique chambre de la citadelle en son sommet, et retrait du ciment mis partiellement au sol, réouverture des meurtrières et restitution des enduits à la chaux, remise en eau du bassin et remise en service du lavoir et de la pêcherie…
Un outil d’animation du territoire
Montautre est totalement isolé sur son promontoire, en bordure de plateau, dominant l’ouest de la Creuse. Il est constitué du château au plan carré traditionnel (logis seigneurial et logis des gardes se font face, séparés par la haute cour), avec en amont des communs en U qui protègent une basse-cour. Le site est complété d’une ferme située à l’entrée du château (la métairie de la Porte) et d’un ancien moulin en contrebas, au niveau de la rivière. Il dépend de Fromental, une commune rurale de 500 habitants à la frontière de la Creuse et la Haute-Vienne dont le bourg est à plus de 5 km du château.
Évidemment, nous pensions que les Parisiens qui débarquent et achètent le château du coin seraient attendus au tournant. Or l’accueil a été formidable : de la secrétaire de mairie, première personne contactée, au maire, en passant par le conseil municipal, les habitants et voisins de la commune et des communes voisines, tout le monde nous a accueillis avec bienveillance et volonté de nous aider. De notre côté, l’ouverture aux associations, aux enfants de l’école du village, le repas annuel organisé pour les anciens métayers du domaine ont montré notre volonté de partager ce lieu avec lequel beaucoup d’habitants ont un lien affectif.
« Partager ce lieu avec lequel beaucoup d’habitants ont un lien affectif. »
La création dès notre arrivée d’une gazette diffusée par courriel, Le petit journal des amis de Montautre, a permis de fédérer une communauté informelle de tous ceux qui ont visité le château, en sont tombés amoureux et souhaitent rester informés de nos avancées archéologiques et historiques. Ce groupe, plus de 1 000 personnes aujourd’hui, forme clairement les supporters du « premier cercle », ceux qui ont été les premiers à répondre positivement à notre premier grand événement, une journée gauloise intitulée « Par Toutatis, les Gaulois sont à Montautre ».
Banquet gaulois, visite du site archéologique, ateliers d’artisans gaulois tenus par une association de reconstitution historique, conférence du grand expert local étaient au menu et nous avons dû afficher complet. Le succès de cette manifestation nous conduit à multiplier les initiatives : petits spectacles dans la salle des gardes, escape game, concert en extérieur, séances de « lectures au château », réunions d’associations, participation à la « nuit des châteaux », les idées ne manquent pas et de nombreux bénévoles viennent proposer leur aide pour l’organisation, la gestion des entrées, le parking, la sécurité, l’animation équestre. Le conseil municipal contribue en prêtant ses chaises ; la mairie voisine, un écran et un projecteur ; les services municipaux passent la débroussailleuse sur le chemin avant les événements, etc.
Un modèle économique à consolider
Aucun château n’est un business model profitable. Qu’il soit propriété de l’État ou domaine privé, les coûts de restauration, de maintenance ou de vie quotidienne (chauffage, jardin…) surpassent toujours les recettes. Le ministère de la Culture a un budget pour financer les monuments publics. Comment faire pour les monuments privés ?
L’association Demeure Historique, fondée par Joachim Carvallo, le propriétaire du château de Villandry il y a cent ans cette année, s’est créée autour de l’idée d’encourager l’ouverture des châteaux privés au public, puis d’y attacher des business models de façon à assurer leur pérennité. En effet, l’expérience montre que la vie d’un château est rythmée par une alternance de philanthropes qui consacrent leur énergie et leur fortune à restaurer un château, puis des périodes d’abandon, parfois fatales, car les successeurs n’ont pas les moyens de l’entretenir. Développer une activité attachée à la demeure permet à la fois de partager ces lieux et de générer des ressources dont l’objectif est souvent d’équilibrer les coûts d’entretien et d’exploitation.
Ma reconversion professionnelle consiste donc à engager Montautre dans cette direction de business finançant entretien et exploitation : visites guidées, chambres d’hôte, table d’hôtes, événements (concerts, spectacles), séminaires d’entreprise, escape game. La première année (2023) a été déficitaire, la seconde devrait être positive, mais seule la troisième année devrait permettre de me verser un petit salaire.
Conclusion : tranquillité, authenticité, biodiversité
Ce sont bien l’authenticité, la tranquillité liée à l’éloignement total de toute construction humaine et la formidable biodiversité permise par l’absence totale de pollution (il n’y a que forêt et prés pour l’élevage alentour) qui séduisent tant les hôtes. Que ce soit sur Booking, Airbnb, Expedia, Tripadvisor, Google, les notes et avis sont unanimes : Montautre est définitivement le lieu pour ceux qui recherchent tranquillité, authenticité, biodiversité.
Quoi de mieux que ces trois valeurs pour celui ou celle qui cherche à se ressourcer ?
Pour en savoir plus
- www.chateau-de-montautre.fr
- Seigneureries et châteaux-forts en Limousin T.1 et T.2 par Christian Rémy (2005).
- Le château de Montostre et ses seigneurs par Roger Drouault (1912).
- La Demeure Historique : www.demeure-historique.org
Commentaire
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Ben dis-donc, c’est passionnant !
J’aurais aimé en savoir plus : tu ne dis pas clairement la date à laquelle vous avez acheté ce château ? Quelle est l’origine de votre famille : vos parents faisaient quels métier ? Rêvaient ils aussi de vivre dans un château ? Ou bien y vivaient-ils ? Au départ comment vous est venue cette envie d’un château ? Rêves d’enfants ? Quel fut le prix total pour l’achat, au final ? Et la somme totale que vous y avez investie jusqu’à aujourd’hui ; cela pour donner une idée à ceux qui voudraient s’engager dans cette aventure.
Moi aussi j’aurais bien aimé faire cela : trouver un château, le restaurer et y habiter ! Mais pour cela il faut disposer d’un pognon de dingue ! Ce n’est certes pas à la portée d’un chercheur du CNRS !