Repenser l’assurance de responsabilité médicale après la crise
REPÈRES
REPÈRES
Le marché de l’assurance de la responsabilité médicale est un micromarché. Il apparaît extrêmement étroit tout d’abord s’agissant du panel d’acteurs opérants puisque, au fil du temps, le nombre de sociétés d’assurances acceptant de garantir la responsabilité des professionnels de santé ou des établissements s’est réduit comme peau de chagrin et aujourd’hui cinq sociétés d’assurances se partagent plus de 95 % de ce marché. Il s’agit en second lieu d’un marché extrêmement étroit eu égard au montant des primes encaissées. Le chiffre d’affaires global de cette branche était évalué à seulement 428 millions d’euros en 2008. C’est dire que les capacités d’indemnisation des assureurs sont limitées.
Un marché à hauts risques
La sinistralité des professionnels de santé a très fortement augmenté
Comme tout risque, le risque de la responsabilité médicale s’apprécie à la fois en fréquence et en intensité. Il n’existe pas de statistiques nationales pour le mesurer mais les statistiques du Sou Médical et de la MACSF sont suffisamment significatives pour nous permettre des constats utiles. La sinistralité des professionnels de santé a très fortement augmenté entre les années 1990 à 2000 et depuis 2001 et 2002, le nombre des réclamations semble se stabiliser.
En revanche, celles formulées à l’encontre des établissements, et notamment des établissements publics, continuent de croître fortement.
S’agissant des praticiens libéraux, la fréquence des déclarations connaît des différences on ne peut plus significatives selon les spécialités exercées.
Réclamations en hausse
Disparités
On constate ainsi de très fortes disparités entre les médecins face à l’exposition au risque médico-légal. Ainsi, dans l’année, pratiquement un chirurgien sur deux en moyenne voit sa responsabilité recherchée alors qu’au cours de la même période un médecin généraliste sur cent sera mis en cause. Sur ces bases, on peut calculer qu’un chirurgien exerçant trente-cinq ans dans sa carrière serait mis en cause 16 fois.
Il est fort probable que l’on connaisse à l’avenir une augmentation des réclamations formulées à l’encontre des professionnels de santé – toutes spécialités confondues – et des établissements de soins. De nombreux facteurs permettent d’avancer ces prévisions pessimistes : multiplication des campagnes de dépistage, technicité et sophistication des actes qui accroissent les risques, progrès médicaux médiatiquement exposés qui accentuent les exigences des patients et rendent inacceptables les échecs, développement d’une médecine de l’ultime qui étend son champ d’action aux âges et états pathologiques les plus fragiles, taux d’innovation bien supérieur à celui des industries ultra-sûres comme l’aviation, carences d’organisation, possibilité d’intenter des recours sans bourse délier (création des commissions régionales de conciliation et d’indemnisation des victimes d’accidents médicaux).
Inflation des indemnisations
Nomenclature Dintilhac
En 2005, la Chancellerie a confié à un groupe de travail piloté par un haut magistrat, Jean-Pierre Dintilhac, la définition d’une nomenclature des préjudices corporels.
Ainsi a été créée une liste exhaustive des postes de préjudice dont une victime peut demander réparation. Bien qu’elle n’ait qu’un caractère de recommandation, cette liste constitue une référence majeure.
Le sort réservé par les magistrats aux instances engagées par les patients a connu lui aussi une évolution extrêmement péjorative pour les assureurs. Si l’on reprend les dossiers du Sou Médical et de la MACSF dans lesquels sont intervenues des décisions de justice civile entre les années 1980 à 1984, on constate que 33 % de ces décisions au fond débouchaient sur une condamnation prononcée par les magistrats. Aujourd’hui, ce pourcentage est de l’ordre de 68%.
L’intensité des dossiers a par ailleurs subi récemment une inflation considérable. Le coût moyen du dossier indemnisé par le Sou Médical et la MACSF était de l’ordre de 120 000 euros en 2002 ; ce coût moyen est passé à 256 000 euros à partir de 2007 soit une augmentation supérieure à 100 % en cinq ans.
De multiples facteurs sont susceptibles d’expliquer cette tendance et notamment le recours à la nomenclature Dintilhac (qui a augmenté les préjudices indemnisables), ou l’inflation tout à fait particulière de certains postes comme celui de la tierce personne.
Séries noires
La difficulté à trouver des assureurs acceptant de couvrir la responsabilité médicale s’est considérablement accrue du fait de l’apparition d’accidents sériels (sida, hépatite C, infection nosocomiale, accident de radiothérapie).
Au total, le nombre des indemnisations lourdes ne cesse de croître et l’ensemble des spécialités est concerné. L’intensité la plus importante se retrouve cependant dans les dossiers d’obstétrique pour lesquels les progrès réalisés en matière de réanimation néonatale ne permettent malheureusement pas de revenir sur les effets d’une anoxie mais permettent en revanche la survie de grands encéphalopathes profonds.
Une offre raréfiée
Le droit de la responsabilité médicale s’est mué en droit de l’indemnisation des victimes
La raréfaction de l’offre des assureurs en matière de responsabilité médicale peut s’expliquer par quatre facteurs : l’évolution de la jurisprudence, l’augmentation de la fréquence des sinistres, l’augmentation du coût moyen des sinistres, le fait que la problématique de la réparation de l’aléa médical n’est résolue que de façon récente et partielle.
En matière d’évolution jurisprudentielle, il ne nous semble pas exagéré de faire valoir que le droit de la responsabilité médicale s’est mué en droit de l’indemnisation des victimes. Cette évolution, dont l’objectif évident est d’aboutir à une meilleure indemnisation des victimes, est très pernicieuse pour les assureurs parce qu’elle met à mal toutes leurs prévisions actuarielles : le propre de la jurisprudence est en effet d’être rétroactive ; ainsi, une modification de jurisprudence favorable aux malades va s’appliquer immédiatement à l’ensemble des sinistres en cours, obligeant l’assureur à revoir en totalité son provisionnement alors que ce risque n’avait pas été pris en compte au moment où la prime a été réglée.
Précisément, en matière de responsabilité médicale, les revirements de jurisprudence sont constants.
Assurance en crise
Les assureurs ne pouvaient faire face aux condamnations prononcées sur la base de la jurisprudence Perruche
La crise de l’assurance de la responsabilité médicale a ainsi touché son paroxysme depuis la fin de l’année 2002, date à laquelle, de façon paradoxale, le législateur a décidé de rendre obligatoire cette assurance, précisément à un moment où de nombreuses sociétés d’assurances et notamment étrangères se sont retirées du marché, créant ainsi le risque de voir certains établissements ou certains professionnels de santé sans garantie d’assurance.
Le législateur a tenté d’enrayer cette crise en réaffirmant, sauf exception, le principe d’une responsabilité fondée sur la faute (article L 1142–1 du Code de la santé publique). En revanche, le législateur a décidé de faire peser sur les établissements de santé une obligation de sécurité de résultat en matière d’infection nosocomiale, alors que ce régime pesait auparavant à la fois sur les établissements privés et les praticiens à la suite d’une jurisprudence de la Cour de cassation du 29 juin 1999.
Arrêt Perruche
L’arrêt tient son nom de Nicolas Perruche né gravement handicapé car sa mère, qui avait contracté la rubéole pendant sa grossesse, n’a pas avorté en raison d’une erreur de diagnostic.
Cet arrêt de la Cour de cassation consacrait le droit pour un enfant né handicapé à être indemnisé de son propre préjudice.
Une indemnisation à la charge de la solidarité nationale
Par la loi du 30 décembre 2002, le législateur a décidé de modifier ce régime d’indemnisation des infections nosocomiales en prévoyant que pour celles qui entraînent les préjudices les plus graves (taux d’AIPP supérieur à 25% et décès), l’indemnisation était à la charge de la solidarité nationale, l’ONIAM disposant alors d’un recours subrogatoire contre le responsable basé sur la faute. Il n’en demeure pas moins que la grande majorité des infections nosocomiales entraîne des préjudices en deçà de ces seuils et que dès lors elles demeurent à la charge des assureurs d’établissements de santé.
Une évolution juridique pour le diagnostic anténatal
Le législateur du 4 mars 2002 a par ailleurs entendu revenir sur les effets de la jurisprudence Perruche en matière de diagnostic anténatal et posé des règles essentielles et dérogatoires en ce domaine compte tenu des incidences éthiques, sociales et économiques de cette problématique de la responsabilité en matière de diagnostic anténatal.
Une seule chose était certaine en la matière, les assureurs ne pouvaient faire face aux condamnations susceptibles d’être prononcées sur la base de la jurisprudence Perruche compte tenu de leur coût et du nombre d’événements susceptibles d’être en cause.
Une évolution jurisprudentielle essentielle est intervenue au sujet de ce texte, initiée tout d’abord par deux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme du 6 octobre 2005 puis par trois arrêts de la Cour de cassation du 24 juin 2006.
Puis, par une décision du 8 juillet 2008, la Cour de cassation a décidé de maintenir les effets de la jurisprudence Perruche à toute manifestation d’un dommage constaté avant l’intervention de la loi du 4 mars 2002, et ce, quelle que soit la date à laquelle les parents de l’enfant né avec un handicap avaient intenté leur action en justice.
Prescription à dix ans
La loi du 4 mars 2002 a décidé d’unifier la prescription des actions en prévoyant que les actions se prescrivent par dix ans à compter de la consolidation du dommage.
Pour les assureurs de praticiens ou d’établissements privés, cette modification n’a nullement modifié de façon significative l’approche du risque. En effet, la réduction de trente à dix ans du délai de prescription est contrebalancée par le point de départ du délai de dix ans qui est la consolidation du dommage du demandeur ; par ailleurs, la très grande majorité des mises en cause de responsabilité intervenant dans les cinq ans de l’acte médical, la réduction de trente à dix ans n’a eu en tout état de cause qu’un effet très relatif.
La rétroactivité jugée contraire à la Constitution
Motivations
Le Conseil constitutionnel a motivé sa décision du 11 juin 2010 en considérant que l’exigence d’une faute caractérisée comme condition de reconnaissance de responsabilité en matière de diagnostic anténatal se justifiait par les difficultés inhérentes au diagnostic anténatal ; et que la limitation des préjudices indemnisables (impossibilité pour les parents de solliciter la réparation du préjudice résultant des charges particulières, découlant tout au long de la vie de l’enfant de son handicap, lesquelles relèvent de la solidarité nationale) ne revêt pas un caractère disproportionné au regard des buts poursuivis ; le législateur a fondé son choix sur des considérations éthiques et sociales ainsi que sur des motifs d’ordre financier qui relèvent de son pouvoir d’appréciation.
Enfin, dans la mesure où ce texte n’avait pas été soumis au Conseil constitutionnel, ce dispositif a fait l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité tranchée par le Conseil constitutionnel le 11 juin 2010, qui a validé le dispositif mis en place par l’article 1er de la loi du 4 mars 2002.
En revanche, le caractère rétroactif de la loi a été jugé contraire à la Constitution ; la loi avait en effet prévu que le nouveau dispositif devait s’appliquer à toutes les instances en cours dans lesquelles il n’avait pas été statué irrévocablement sur le principe de l’indemnisation ; le Conseil constitutionnel a considéré qu’il ne pouvait être porté atteinte aux droits acquis et a déclaré contraire à la Constitution cette rétroactivité.
Une obligation d’assurance pour les professionnels de santé
Les professionnels de santé exerçant à titre libéral ainsi que les établissements de santé sont tenus de souscrire une assurance de responsabilité professionnelle au terme de la loi du 4 mars 2002. Le manquement à cette obligation d’assurance est pénalement sanctionné. Les sociétés d’assurances sont tenues de proposer aux professionnels de santé des garanties dont les montants ne peuvent être inférieurs à 3 millions d’euros par sinistre et à 10 millions d’euros par année d’assurance. Ces montants peuvent s’avérer insuffisants eu égard à l’intensité de certains sinistres, raison pour laquelle les praticiens ont intérêt à souscrire des contrats prévoyant des garanties supérieures.
Sur la base de la réclamation et non du fait générateur
Sinistres en hausse
Des sinistres pouvant dépasser 7 millions d’euros, même s’ils sont exceptionnels, sont constatés. Dans la mesure où la consolidation des enfants atteints d’un grave handicap n’intervient qu’à l’âge de 18 ans, les montants d’indemnisation sont difficilement prévisibles.
Le contrat d’assurance de responsabilité médicale doit depuis la loi du 30 décembre 2002 être libellé, au niveau de la garantie dans le temps, sur la base de la réclamation et non plus, comme l’exigeait la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation, sur la base du fait générateur.
Des tempéraments ont toutefois été apportés à ce principe, la loi ayant prévu une garantie subséquente de cinq ans s’appliquant après toute résiliation ainsi qu’une garantie subséquente de dix s’appliquant aux contrats souscrits par les professionnels de santé en cas de cessation d’activité ou de décès.
Un dispositif insuffisant toujours à la recherche de solutions
La crise qui subsiste en matière d’assurance de responsabilité médicale ne concerne qu’un nombre relativement faible de praticiens soumis à un haut risque.
La crise ne concerne qu’un nombre relativement faible de praticiens soumis à un haut risque
C’est bien entendu le cas principalement des obstétriciens libéraux.
Des condamnations d’un montant totalement insupportable pour ces praticiens peuvent en effet demeurer à leur charge.
La loi de financement de la Sécurité sociale pour 2010 a tenté de régler les problèmes posés par ce qu’il est convenu d’appeler » les trous de garantie » par son article 44.
Ce texte apparaît toutefois totalement insuffisant, que ce soit au niveau de l’expiration des garanties (réclamation intervenant après la garantie subséquente et notamment celle de dix ans liée au décès ou la cessation d’activité du praticien) qu’au niveau de l’épuisement des garanties (indemnisation supérieure aux montants de garantie prévus). La loi de financement de la Sécurité sociale de 2011 a à nouveau mis en lumière les insuffisances du dispositif de protection des praticiens sans y apporter de solution. Une mission a été confiée à G. Johanet pour dégager des pistes de solution.
Seule une meilleure mutualisation du risque ou un écrêtement des sinistres les plus lourds permettrait de trouver une réponse à ce délicat problème.