Grandes villes d’Asie orientale en 2015

Réseaux et mégapoles : les nouveaux défis

Dossier : Les mégapolesMagazine N°606 Juin/Juillet 2005
Par Gabriel DUPUY

Les réseaux qui dis­tri­buent aux cita­dins les biens et les ser­vices sont depuis long­temps asso­ciés à l’idée de ville. Vivre en ville, n’est-ce pas pou­voir dis­po­ser d’eau potable, du tout-à‑l’égout, de l’éclairage public, pou­voir se dépla­cer aisé­ment, com­mu­ni­quer faci­le­ment ? Or cette idée simple paraît aujourd’hui bat­tue en brèche par l’existence d’immenses ensembles urbains dans les­quels la four­ni­ture par les réseaux de ser­vices de base est loin d’être sys­té­ma­ti­que­ment assu­rée et même sou­vent pro­blé­ma­tique. Nous com­men­ce­rons donc par rap­pe­ler les traits majeurs de l’urbanisation contem­po­raine, sus­cep­tibles de com­pro­mettre aujourd’hui le rôle des réseaux. Nous revien­drons aus­si sur l’histoire de la des­serte des grands ensembles urbains par ces réseaux. Nous insis­te­rons ensuite sur ce qui fait la nou­veau­té des pro­blèmes actuels. Nous esquis­se­rons enfin des pistes de solu­tions à ces problèmes.

Urbanisation, villes, agglomérations, métropoles, mégapoles

L’ur­ba­ni­sa­tion est un phé­no­mène mon­dial, de longue durée et sans doute peu réver­sible. La popu­la­tion vivant dans les villes au début du xixe siècle ne repré­sen­tait que 2 % de la popu­la­tion totale mon­diale. Au début du xxie siècle, la pro­por­tion voi­sine les 50 %. Sachant que ces chiffres concernent la popu­la­tion de notre pla­nète, on aura com­pris qu’il s’a­git d’une ten­dance lourde, bien peu modi­fiable par les poli­tiques menées ici ou là.

Comme l’au­rait dit M. de La Palice, cette urba­ni­sa­tion se fait dans des villes. Mais qu’est-ce qu’une ville ? La notion d’ag­glo­mé­ra­tion carac­té­rise un ras­sem­ble­ment d’ha­bi­tants sur un même espace avec une conti­nui­té du bâti. Cette notion est celle que l’on uti­lise assez natu­rel­le­ment lorsque l’on évoque la ville.

Autre notion fré­quem­ment uti­li­sée aujourd’­hui, celle de métro­pole. Une métro­pole sup­pose une popu­la­tion nom­breuse (en géné­ral au-delà du mil­lion d’ha­bi­tants). Mais de plus, confor­mé­ment à son éty­mo­lo­gie, le mot métro­pole implique une géné­ra­tion de richesses, au pro­fit d’un ter­ri­toire plus vaste. Aujourd’­hui, la métro­po­li­sa­tion s’o­père en rela­tion avec un envi­ron­ne­ment de plus en plus mon­dia­li­sé. Ain­si Paris et Londres sont indis­cu­ta­ble­ment des métro­poles, Lyon ou Lille sont à la limite.

Le terme de méga­pole exprime un simple constat sta­tis­tique. On l’ap­plique à des ensembles urbains gigan­tesques par leur popu­la­tion. Les Nations unies ont fixé le seuil à 8 mil­lions d’ha­bi­tants. Les géo­graphes ont adop­té la limite de 10 mil­lions d’habitants.

On note­ra que cer­taines méga­poles résultent du rac­cor­de­ment de plu­sieurs agglo­mé­ra­tions (conur­ba­tion), d’autres pro­viennent de l’ex­pan­sion conti­nue d’une seule ville.

Les pro­ces­sus d’ur­ba­ni­sa­tion dif­fé­rent net­te­ment dans les pays du Nord et dans ceux du Sud. Dans les pays du Nord, c’est le plus sou­vent la métro­po­li­sa­tion qui conduit à la méga­pole. Il y a alors une richesse urbaine dis­po­nible. Dans les pays du Sud, le gigan­tisme urbain vient encore sou­vent de l’exode rural ou de l’im­mi­gra­tion de popu­la­tions sans res­sources qui cherchent à sur­vivre. Il peut y avoir aus­si créa­tion de richesse, mais le plus sou­vent celle-ci est problématique.

Les réseaux dans l’histoire des villes

Le mot » réseau » étant poly­sé­mique, il n’est pas inutile de se repor­ter à la défi­ni­tion du dic­tion­naire. Par­mi d’autres défi­ni­tions, on y trouve celle-ci : un réseau est » l’en­semble des lignes, des voies de com­mu­ni­ca­tion, des conduc­teurs élec­triques, des cana­li­sa­tions, etc., qui des­servent une même uni­té géo­gra­phique, dépendent de la même Compagnie « .

Cette défi­ni­tion a le mérite de la clar­té. Elle insiste à juste titre sur l’u­ni­té d’o­pé­ra­tion (« même Com­pa­gnie ») et sur l’u­ni­té géo­gra­phique (ici » l’u­ni­té urbaine »).

Les pro­blèmes de des­serte des villes par les réseaux sont anciens. Le pre­mier plan d’ur­ba­nisme connu est pro­ba­ble­ment celui de la ville sumé­rienne de Nip­pur en Méso­po­ta­mie (2 500 ans av. J.-C.). Il a été retrou­vé gra­vé sur une pla­quette d’ar­gile, accom­pa­gné d’un texte en carac­tères cunéi­formes, texte qui donne des pres­crip­tions pour la construc­tion de la ville. Or le des­sin de la ville de Nip­pur tout comme les pres­crip­tions urba­nis­tiques qui l’ac­com­pagnent pré­voyaient déjà les adduc­tions d’eau néces­saires à la des­serte de la population.

C’est vers le milieu du xixe siècle que beau­coup de réseaux prennent leur essor. Des tech­niques nou­velles, nées de la révo­lu­tion indus­trielle, per­mettent de pro­po­ser des ser­vices nou­veaux dans le domaine de l’eau, du trans­port, de l’éner­gie, des com­mu­ni­ca­tions. Des entre­pre­neurs pri­vés, par­fois les pou­voirs publics, sai­sissent ces oppor­tu­ni­tés et créent des réseaux dans les villes.

Je pren­drai deux exemples, celui de la lutte anti-incen­die dans les grandes villes nord-amé­ri­caines à la fin du xixe siècle et celui du tout-à-l’é­gout parisien.

Sou­vent construites en bois, den­sé­ment peu­plées, les grandes villes nord-amé­ri­caines ont eu à subir dans la deuxième moi­tié du xixe siècle des incen­dies dévas­ta­teurs. Les pom­piers tar­daient à arri­ver sur les lieux. Les seaux d’eau pour com­battre l’in­cen­die étaient le plus sou­vent ache­mi­nés à la main par une simple chaîne humaine. Com­ment sor­tir de cette situa­tion dramatique ?

Logi­que­ment, face à l’im­por­tance des sinistres, les com­pa­gnies d’as­su­rances aug­men­tèrent leurs primes, inci­tant les habi­tants à recher­cher des solu­tions. Le télé­phone, né en 1876 pour d’autres usages, fut uti­li­sé par les ser­vices de pom­piers. Enfin, les pro­grès tech­no­lo­giques per­mirent la réa­li­sa­tion de réseaux d’eau sous pres­sion et l’u­sage de lances à incen­die. La lutte anti-incen­die devien­dra ain­si dans ces villes un véri­table ser­vice urbain effi­cace. Mais, le bref résu­mé qui pré­cède laisse ima­gi­ner les dif­fi­cul­tés qu’il fal­lut sur­mon­ter. Mal­gré l’é­vi­dence et l’ur­gence du pro­blème, mal­gré la taille encore limi­tée des villes, la mise en place d’un réseau est déjà à l’é­poque un pro­ces­sus long et complexe.

Autre exemple, celui du tout-à-l’é­gout à Paris. Le pro­blème sani­taire posé par les fosses d’ai­sance dans un milieu urbain den­sé­ment peu­plé fut assez rapi­de­ment mis en évi­dence. La solu­tion du tout-à-l’é­gout qui per­met­tait d’é­va­cuer immé­dia­te­ment les déchets humains en les diluant dans l’eau appa­raît, elle aus­si, assez vite, vers 1820. Pour­tant avant que le tout-à-l’é­gout soit com­plè­te­ment géné­ra­li­sé à l’es­pace pari­sien, il fau­dra attendre… un siècle et demi !

Il y a donc bien une his­toire de la des­serte des grandes villes par les divers réseaux de biens et de ser­vices. Mais, même si nous avons eu ten­dance à l’ou­blier, c’est une his­toire longue et difficile.

Nouveaux problèmes

Puisque l’his­toire nous enseigne les dif­fi­cul­tés ren­con­trées par les réseaux pour des­ser­vir les grands ensembles urbains, l’on pour­rait consi­dé­rer que les pro­blèmes actuels sont tout sim­ple­ment la répé­ti­tion ou la suite des dif­fi­cul­tés éprou­vées jadis, ce qui inci­te­rait à un cer­tain opti­misme : puisque l’on est par­ve­nu à sur­mon­ter tous les obs­tacles pour faire de Paris, New York, Londres des villes bien des­ser­vies en trans­port, éner­gie, assai­nis­se­ment, etc., pour­quoi n’y par­vien­drait-on pas pour Jakar­ta ou São Paulo ?

Figure 1 – Grandes villes d’Asie orien­tale en 2015
Source : Dorier-Apprill E., dir., Les très grandes villes dans le monde, Édi­tions du temps, 2000.

Le pro­blème de la des­serte des méga­poles par les réseaux com­prend pour­tant quelques élé­ments nou­veaux qui changent net­te­ment la nature des pro­blèmes. Nous en avons rete­nu quatre.

L’on constate aujourd’­hui un accrois­se­ment impor­tant de la dimen­sion des villes. Par dimen­sion, il faut entendre à la fois la taille (mesu­rée en nombre d’ha­bi­tants) et la super­fi­cie sur laquelle se déploient les hommes et les acti­vi­tés. Pour ce qui est de la taille, les sta­tis­tiques montrent qu’il existe désor­mais sur la Terre beau­coup de très grandes villes, par exemple de villes mil­lion­naires, sans même par­ler des méga­poles. La carte ci-après, qui cor­res­pond à des pré­vi­sions pour 2015, illustre le phé­no­mène pour l’A­sie orien­tale. On y trouve les méga­poles évo­quées plus haut, mais aus­si nombre de villes mil­lion­naires ou multimillionnaires.

Il ne s’a­git donc plus aujourd’­hui de des­ser­vir quelques très grandes villes dans le monde comme ce fut le cas quand l’on construi­sit par exemple les réseaux de métro de Londres, Paris, New York ou Chi­ca­go. Demain, il fau­dra de grands réseaux pour des­ser­vir des cen­taines de villes mil­lion­naires dans toutes les par­ties du monde.

La nou­velle dimen­sion urbaine, c’est aus­si la super­fi­cie. Non seule­ment les villes doivent dis­po­ser d’es­pace pour accueillir des habi­tants tou­jours plus nom­breux, mais un autre phé­no­mène démul­ti­plie ces besoins de sur­face. Par­tout dans le monde les villes s’é­talent. La crois­sance ne se fait pas à den­si­té constante mais décrois­sante. C’est vrai pour Paris dont la popu­la­tion s’é­tale sur la super­fi­cie de l’Île-de-France et même au-delà. C’est vrai pour Tokyo, c’est vrai pour Jakar­ta et ain­si de suite. Sans entrer dans le détail des rai­sons de ce phé­no­mène, signa­lons qu’il est dû en par­tie à une recherche de meilleures condi­tions de vie, et en par­tie au fait que la marche à pied n’est plus le seul mode de trans­port de réfé­rence. Indi­quons aus­si que cet éta­le­ment n’est pas uni­forme. Dans des grandes villes de pays du Sud, on trouve des bidon­villes très denses sépa­rés par de grandes super­fi­cies non bâties. Quoi qu’il en soit, en moyenne, les den­si­tés urbaines diminuent.

Quelles sont les consé­quences pour la des­serte par les réseaux de ces ten­dances à l’ac­crois­se­ment du nombre de villes de grande taille et à l’é­ta­le­ment urbain qui l’accompagne ?

Par défi­ni­tion, comme on l’a rap­pe­lé plus haut, un réseau urbain doit éta­blir des liens dont le nombre croît très vite en fonc­tion de la taille de l’en­semble urbain des­ser­vi. En théo­rie, pour un réseau de com­mu­ni­ca­tion le nombre de liens à assu­rer croît comme n (n‑1)/2 si n est le nombre d’ha­bi­tants. Par ailleurs, le coût uni­taire de construc­tion et d’o­pé­ra­tion d’un réseau croît lorsque la den­si­té d’oc­cu­pa­tion de l’es­pace décroît. Comme la den­si­té décroît quand la taille croît, on voit que la taille est une variable-clé qui rend extrê­me­ment dif­fi­cile une bonne des­serte des mégapoles.

Figure 2 – Alger : des­serte en eau potable en 1998

Alger : desserte en eau potable en 1998
Source : Sem­moud B., Intro­duc­tion à la géo­gra­phie des grandes villes, Éd. du temps, 2001.

Autre dif­fi­cul­té pour déve­lop­per conve­na­ble­ment les réseaux dans ces méga­poles : l’exis­tence de phé­no­mènes de » dépen­dance  » dans des domaines tels que l’élec­tri­ci­té, l’eau, l’au­to­mo­bile. De quoi s’a­git-il ? Le déve­lop­pe­ment des réseaux induit par dif­fé­rents méca­nismes des » effets de club » dont béné­fi­cient tous ceux qui sont rac­cor­dés. D’où un inté­rêt crois­sant pour le rac­cor­de­ment alors même que le coût uni­taire aug­mente et que les res­sources de ceux qui ne sont pas encore rac­cor­dés dimi­nuent. Il s’a­git d’une sorte de dépen­dance qui s’im­pose à tous en ren­dant à la fois les connexions de plus en plus néces­saires et de plus en plus dif­fi­ciles. Pre­nons un exemple : la des­serte par le réseau élec­trique conduit natu­rel­le­ment à l’u­sage du réfri­gé­ra­teur. Mais en même temps, pour ceux qui ne dis­posent pas encore de cet équi­pe­ment, conti­nuer de se ser­vir d’une gla­cière devient dif­fi­cile car on ne trouve plus aus­si faci­le­ment de la glace, d’où fina­le­ment une accé­lé­ra­tion de l’ac­qui­si­tion de réfri­gé­ra­teurs et un accrois­se­ment de la demande d’élec­tri­ci­té mal­gré les dif­fi­cul­tés d’é­tendre les réseaux élec­triques pour des popu­la­tions ou des quar­tiers peu sol­vables… Il y a donc une véri­table dif­fi­cul­té dans ces condi­tions à assu­rer une régu­la­tion de la demande.

Troi­sième pro­blème rela­ti­ve­ment nou­veau lui aus­si : on observe des chan­ge­ments dans les normes sociales géné­rales. Ces chan­ge­ments modi­fient en pro­fon­deur les attentes par rap­port aux réseaux. Citons la ten­dance à la constance des bud­gets temps de trans­port, les chan­ge­ments dans la per­cep­tion du sale et du propre, l’é­vo­lu­tion des normes de sécurité.

Pour les bud­gets temps de trans­port, l’on sait que les amé­lio­ra­tions dans les sys­tèmes de trans­port ne se tra­duisent plus par des gains de temps mais par des accrois­se­ments de mobi­li­té et de dis­tance parcourue.

Les évo­lu­tions dans la per­cep­tion du sale et du propre conduisent à des exi­gences sup­plé­men­taires en matière d’é­va­cua­tion des déchets. Quant aux normes de sécu­ri­té, elles ren­ché­rissent les coûts de réa­li­sa­tion de fonc­tion­ne­ment des réseaux.

Évo­quons enfin le sou­ci poli­tique crois­sant de ne pas don­ner prise aux accu­sa­tions de ségré­ga­tion et de frag­men­ta­tion urbaines. Toute dis­po­si­tion des réseaux soup­çon­née d’en­cou­ra­ger une » ville à deux vitesses » est contes­tée. Cer­tains consi­dèrent que la déré­gu­la­tion est sus­cep­tible de don­ner nais­sance à des pre­mium net­works, plus chers et plus per­for­mants que les réseaux de base. Ils dénoncent avec force le split­te­ring urba­nism (écla­te­ment urbain) qui en résul­te­rait. Le plan ci-des­sous montre les fortes dis­pa­ri­tés rele­vées à Alger pour un ser­vice aus­si basique que l’assainissement.

Signa­lons enfin que les dif­fi­cul­tés nou­velles de des­serte des méga­poles par les réseaux sont moins dues qu’on ne croit aux pré­oc­cu­pa­tions d’en­vi­ron­ne­ment. De telles pré­oc­cu­pa­tions étaient déjà très pré­sentes au xixe siècle. Par exemple le tram­way hip­po­mo­bile a pâti de l’é­norme quan­ti­té de crot­tin déver­sée en per­ma­nence sur les chaus­sées. Plus tard, l’ex­ten­sion des lignes de tram­way élec­trique dans les grandes villes euro­péennes a buté sur le refus des cita­dins de voir ins­tal­ler des caté­naires jugés disgracieux.

Accrois­se­ment de la taille et de la sur­face des grandes villes, phé­no­mènes de dépen­dance, évo­lu­tion des normes sociales, refus de la » ville à deux vitesses « , tels sont des fac­teurs qui aujourd’­hui mettent en cause la des­serte des méga­poles par les réseaux.

Que faire ?

Face au défi que repré­sente la des­serte des très grands ensembles urbains (et notam­ment des méga­poles) par des réseaux pour­tant jugés par tous indis­pen­sables à la civi­li­sa­tion urbaine, que peut-on faire ?

Quelques pistes d’ac­tion res­sortent de l’ex­pé­rience ou de la lit­té­ra­ture sur le sujet.

Le pro­grès tech­nique, par­fois un peu oublié reste une piste inté­res­sante. L’in­no­va­tion, même mineure peut contri­buer à faci­li­ter les pro­jets d’ex­ten­sion des réseaux. Dans le domaine du trai­te­ment de l’eau pour les sys­tèmes d’eau potable, le concept de micro­sta­tions de proxi­mi­té (à la place d’une usine cen­trale) est actuel­le­ment sérieu­se­ment étu­dié et même expé­ri­men­té. Dans le sec­teur du trans­port col­lec­tif l’au­to­ma­ti­sa­tion de cer­taines opé­ra­tions peut rendre les pro­jets moins nui­sants (moins pol­luants, moins bruyants…), donc plus accep­tables et fina­le­ment moins coû­teux. De même un plus large appel aux TIC (Tech­no­lo­gies de l’in­for­ma­tion et de la com­mu­ni­ca­tion) peut rece­ler de nou­velles pos­si­bi­li­tés : citons l’u­ti­li­sa­tion cou­plée d’un GPS, de comp­teurs et d’un SIG (Sys­tème d’in­for­ma­tion géo­gra­phique) pour mieux connaître le tra­fic sur les lignes d’au­to­bus à Qui­to. Ces Tech­no­lo­gies d’in­for­ma­tion et de com­mu­ni­ca­tion devraient d’ailleurs à terme pro­cu­rer des pos­si­bi­li­tés de télé­com­merce, télé-admi­nis­tra­tion, télé­tra­vail qui allé­ge­raient la charge du trans­port dans les très grandes villes. On note­ra que ces pos­si­bi­li­tés sont encore aujourd’­hui dépen­dantes de l’ac­cès à un réseau élec­trique fiable, à un réseau télé­pho­nique cor­rect et à un ordi­na­teur. Tou­te­fois, il n’est pas impos­sible que ce modèle soit rapi­de­ment dépas­sé par la large dif­fu­sion de télé­phones mobiles capables d’Internet.

Une autre piste est celle de l’é­co­no­mie et de l’in­gé­nie­rie finan­cière. Faire payer les ser­vices four­nis par les réseaux de manière plus pré­cise et plus équi­table peut don­ner des res­sources pour déve­lop­per ces réseaux. Pour les trans­ports, on parle beau­coup du péage urbain qui est une sorte de tari­fi­ca­tion de l’u­sage du réseau de voi­rie. Mais le cas du trans­port col­lec­tif est encore plus inté­res­sant. Dans toutes les grandes villes du monde, les auto­ri­tés sont convain­cues que le trans­port public est indis­pen­sable, mais l’on constate aus­si par­tout qu’il ne peut être ren­table. Dans cer­taines très grandes villes, sur­tout des capi­tales, les États natio­naux ont sub­ven­tion­né ces réseaux. Aujourd’­hui, sol­li­ci­tés par d’autres prio­ri­tés, les États se désen­gagent lais­sant à d’autres le soin de com­bler le défi­cit des réseaux de trans­port col­lec­tif. On s’a­per­çoit alors que l’in­gé­nie­rie finan­cière per­met de sol­li­ci­ter d’autres payeurs que l’u­sa­ger direct (uni­ver­si­tés, casi­nos, centres com­mer­ciaux, socié­tés de jeux…). La France a d’ailleurs très tôt ouvert la voie en ins­tau­rant le ver­se­ment trans­port (payé par les entre­prises), en pre­mier lieu pour la région parisienne.

Il existe aus­si une piste d’ac­tion du côté de l’ur­ba­nisme. Cer­tains ont remar­qué que la ville dense ou com­pacte per­met­tait d’é­co­no­mi­ser sur la lon­gueur des réseaux. On peut donc pen­ser, à la suite des théo­ries de Peter New­man concer­nant la dépen­dance auto­mo­bile, à un remo­de­lage pro­gres­sif de la forme urbaine qui irait dans le bon sens pour les réseaux, c’est-à-dire celui d’une plus forte den­si­té. C’est l’ob­jet des diverses formes de New Urba­nism.

Reste enfin à évo­quer les aspects ins­ti­tu­tion­nels qui ne sont pas les moindres lors­qu’il s’a­git de gou­ver­ner des ensembles urbains de quelques mil­lions d’ha­bi­tants. Après que l’on eut expé­ri­men­té le modèle dit de Gar­gan­tua (un gou­ver­ne­ment métro­po­li­tain ou méga­po­li­tain unique contrô­lant l’en­semble des ser­vices), puis le modèle du public choice (une mul­ti­tude de petits gou­ver­ne­ments locaux en situa­tion de concur­rence) il semble que l’on s’o­riente vers des formes de » gou­ver­nance » com­po­sites, asso­ciant acteurs poli­tiques, acteurs éco­no­miques et sec­teur associatif.

Pour conclure, je dirai que dans cette recherche de solu­tions » tous azi­muts » il faut gar­der à l’es­prit quelques prin­cipes généraux :

  • en des­ser­vant les grands ensembles urbains, les réseaux jouent sur des éco­no­mies d’é­chelle sans les­quelles les ser­vices ne pour­raient être four­nis aux villes. Cela devrait exclure la ten­ta­tion d’un uto­pique retour au village ;
  • les réseaux qui des­servent les grands ensembles urbains pro­curent à ceux qui s’y connectent des effets de clubs et de réseaux, extrê­me­ment posi­tifs. Cela devrait exclure aus­si la ten­ta­tion d’un non moins uto­pique retour à l’autarcie ;
  • les réseaux qui des­servent les grands ensembles urbains per­mettent (du moins beau­coup d’é­co­no­mistes et d’a­mé­na­geurs en sont désor­mais convain­cus) des » éco­no­mies de proxi­mi­té » et cela mal­gré l’é­loi­gne­ment rela­tif qui résulte de l’im­por­tance de la popu­la­tion et de den­si­tés plus faibles que par le pas­sé. Cela devrait exclure encore la ten­ta­tion nos­tal­gique d’un retour à une ville » à l’an­cienne » ins­pi­rée du Moyen Âge ;
  • les réseaux qui des­servent les grands ensembles urbains consti­tuent une sorte de patri­moine com­mun par­ta­gé par tous les cita­dins. À l’heure où s’ac­cen­tuent les risques de frag­men­ta­tion urbaine du fait des dif­fi­cul­tés de loge­ment ou d’emploi, les réseaux res­tent pour l’ha­bi­tant des méga­poles, même s’il n’en a pas tou­jours conscience, un gage de cohé­sion sociale.

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