Respirer un air sain au milieu des nuisances
Convaincu de la nécessité d’intervenir sur la pollution de l’air qui crée des problèmes respiratoires, Matthieu Coutière a quitté la grande industrie pour participer au développement d’une start up au moment de la phase du lancement industriel d’un purificateur d’air très innovant dont le principe a été développé dans les laboratoires de l’X.
Comment es-tu entré dans le domaine de la purification de l’air ?
Je n’ai pas créé l’entreprise Air Serenity : je l’ai choisie. Je l’ai rejointe pour lui donner un nouvel élan après sa phase de R & D. Avant mes années Air Serenity, je dirigeais une entité chez Alcatel-Lucent qui proposait des solutions de villes intelligentes à travers le monde.
Le problème de la qualité de l’air était souvent posé par les maires, conscients du dramatique impact sanitaire de cette pollution. J’avais donc connaissance des enjeux sociétaux liés à ce sujet. Quand j’ai cherché à rejoindre une start-up, mon principal critère était de trouver un produit utile, qui réponde à un besoin sociétal avec une technologie réellement innovante.
Air Serenity répondait à ces critères. Et, par chance, Joseph Youssef – le fondateur – avait besoin de quelqu’un comme moi pour développer la société. Nous avons donc levé des fonds, gagné des premiers clients, produit des prototypes… et nous lançons le produit en grande série à la fin de l’année !
Qui est concerné par ce type de produit ?
Tous et surtout les enfants. Nous utilisons au quotidien des produits industriels qui contiennent des solvants bien pratiques, mais dont on commence à comprendre la nocivité : c’est la magie de la chimie, qui nous fournit des parfums, des colles, des vernis et des dissolvants, des peintures…
Mais ces produits, en séchant, relarguent leurs solvants dans l’air ambiant. L’air dans les habitations et les bureaux est en conséquence 8 fois plus pollué qu’à l’extérieur. Les impacts sur la santé sont prouvés (asthmes, allergies, cancers…) et dramatiques : 1⁄3 des enfants ont des allergies, alors que seulement 1⁄10 en avaient dans les années 1970.
L’OMS a prouvé que cette dégradation était liée à la pollution de l’air. Bref, la qualité de l’air est un vrai enjeu de santé publique.
Quelles sont les perspectives de ce marché ?
Le grand public prend conscience des enjeux, et de la difficulté à trouver des produits quotidiens « sains ». Le marché de la purification d’air est donc en pleine expansion dans l’ensemble du monde : il pèse 4 milliards d’euros, et croît de 15 % par an.
“ 1⁄3 des enfants ont des allergies, alors que seulement 1⁄10 en avaient dans les années 1970 ”
Sans compter Air Serenity, trois technologies coexistent, notoirement peu efficaces. À titre d’exemple, à mes débuts, j’ai appelé un hôtel, en demandant en substance : « Auriez-vous des problèmes de qualité d’air ? » L’hôtel m’a répondu : « Évidemment, mais il n’y a pas de solution ! »
Notre technologie – que l’on appelle Aurora en référence au plasma des aurores boréales – est très différente et largement plus efficace : le plasma « mouille » les adsorbants à pollution. Nous proposons une « éponge humide » là où nos concurrents proposent une « éponge sèche », et cela entraîne un vrai saut d’efficacité.
Donc nous espérons que cette technologie prendra une part significative du marché.
Notre ambition – il faut toujours viser haut mais rester humble… – est que notre technologie soit LA technologie de référence dans dix ans.
Les GAFA s’intéressent de plus en plus à la maison connectée. Comment Air Serenity se positionne face à eux ?
Les GAFA proposent des applications qui coordonnent des appareils et permettent leur contrôle par la voix ou par des automatismes. Nous mettrons notre appareil dans la liste des objets à coordonner. C’est d’ailleurs dans cette optique que Amazon nous appelle (que ce soit les branches française, anglaise ou américaine…) pour nous inciter à mettre nos produits sur leur plate-forme.
Cela étant, notre modèle économique actuel consiste à vendre des appareils, et pas les données que nous collectons ; c’est là une différence importante avec bon nombre d’acteurs « connectés ».
Profites-tu de l’essor rapide de sociétés comme Netatmo ou Withings ?
Air Serenity maîtrise une vraie technologie,
brevetée, difficilement copiable
Indubitablement ! Ces sociétés « éduquent » le grand public aux problèmes de qualité de l’air : après la mesure de la température, elles proposent la mesure de la pollution chimique. Les utilisateurs découvrent donc le sujet, et en ressortent en disant : « C’est pollué chez moi, mais… que faire ? »
Nous arrivons donc dans l’étape suivante de réflexion, avec une solution : nous recevons sur notre site web bon nombre de contacts de parents qui ont « surveillé » la chambre de leur enfant.
Qu’as-tu retiré d’une expérience comme le Consumer Electronic Show ?
Le CES est une expérience fantastique, pour ressentir l’attrait du marché, valider un prix cible, valider l’intérêt des distributeurs. Par nature, les start-up de l’Eureka Park ont encore un produit susceptible d’évoluer. Le public passe dans les allées (comme un enfant dans un magasin de jouets), à la recherche des innovations utiles ou amusantes, et donne son précieux avis.
Le CES est aussi un très bon moyen de se faire connaître, ce qui est essentiel avant une levée de fonds… Enfin, cela créée un esprit de groupe, une cohésion entre start-up, ce qui est bien agréable.
Et du label FrenchTech ?
Le label FrenchTech est extrêmement utile aussi : il est internationalement reconnu que les ingénieurs français sont créatifs, de très bon niveau, pluridisciplinaires. Le label permet de « pointer » les sociétés qui ont a priori cette créativité.
Une communication très efficace a été faite autour de cela, si bien que, au CES, les visiteurs venaient spécifiquement voir les allées de la FrenchTech. Triste conséquence, nous avons été copiés, et il y a maintenant d’autres CountryTechs, ce qui dilue un peu notre message…
Cela fait plus de cinq ans que Air Serenity existe.
Comment gère-t- on une start-up dans la durée ?
La ténacité paye, l’entêtement tue. Une bonne partie de ces années a été consacrée à la R & D, pour « finir » le produit qui sortait des laboratoires de l’X. C’est une période où il faut savoir optimiser ses dépenses, jongler entre l’important et l’essentiel, détecter rapidement les mauvaises voies et ne pas s’entêter. Ce n’est qu’une question de bon sens frugal…
Est-ce compatible avec le mode de croissance rapide qu’on constate aux US ?
La croissance rapide que l’on constate aux US est souvent « logicielle » : une idée de service apparaît, et le but de la start-up est d’imposer sa marque avant que les concurrents ne la copient. La start-up grandit grâce à des renforts marketing coûteux (qui masquent parfois la vacuité du service…).
“ La ténacité paye, l’entêtement tue ”
Air Serenity se fonde sur du matériel : nous maîtrisons une vraie technologie, brevetée, difficilement copiable. Nous pensons avoir plusieurs années d’avance technologique sur nos concurrents. Notre enjeu est donc de prendre une part significative d’un marché existant ; c’est un mode de croissance plus lent qu’aux US, mais – j’espère – plus pérenne : vaut-il mieux être Dyson ou Twitter ?
La posture des climatosceptiques favorise-t-elle le type de produit que tu vends ?
Je n’aime guère cette question parce qu’elle est bonne… La réponse est clairement OUI mais l’éthique passe – pour moi – largement avant le business. Donc : oui, le réchauffement climatique – dont je pense qu’il est amplifié par l’attentisme des climatosceptiques – favorise nos produits : l’air est de moins en moins sain, l’aération des bâtiments est d’autant plus coûteuse en climatisation, et d’autant moins utile…
Donc la purification d’air prend tout son sens. Mais je préférerais tellement que personne n’ait besoin de notre produit…
Matthieu Coutière & Joseph Youssef