Ressources en eau et changement climatique
Modification des échanges
Comment le changement climatique peut-il affecter le cycle de l’eau ? Tout d’abord, en faisant varier les échanges d’eau, en quantité. Dans les simulations du climat par les modèles de circulation générale océanique et atmosphérique, la quantité d’eau évaporée et précipitée augmente lors du réchauffement climatique.
On dit que le cycle hydrologique est accéléré, et cet effet est maintenant bien compris théoriquement, même si la raison principale est loin d’être intuitive.
“ Les pluies varient de façon très contrastée, selon les régions, et ces modifications peuvent poser problème ”
De façon schématique, l’équilibre thermique de l’atmosphère résulte d’un chauffage par condensation de la vapeur d’eau (formation des précipitations) et d’un refroidissement par émission de rayonnement infrarouge vers l’espace.
L’accroissement des gaz à effet de serre (H2O, CO2, etc.) diminue le refroidissement radiatif de la surface mais augmente celui de l’atmosphère. Ce dernier est alors compensé par une augmentation du chauffage par condensation de la vapeur d’eau, et donc des précipitations. Cet accroissement des précipitations, en valeur globale, est d’environ 2 % par degré de réchauffement global.
REPÈRES
L’atmosphère s’alimente en vapeur d’eau par évaporation des océans, sublimation des glaces et évapotranspiration de la végétation. Cette vapeur d’eau est évacuée de l’atmosphère par les précipitations, sous forme de gouttes d’eau ou de neige. Localement, la quantité d’eau précipitée dépend essentiellement de deux grandeurs : la vigueur de l’ascendance des mouvements atmosphériques et l’humidité près de la surface de la Terre.
Les variations de la pluviosité sont donc très contrastées d’une région à l’autre car elles dépendent de la circulation de l’atmosphère et de ses changements. Il suffit, par exemple, que les zones d’ascendance ou de subsidence (mouvements descendants) de l’air se décalent en latitude pour modifier la distribution géographique des pluies.
Une nouvelle répartition des pluies
Sur certaines zones, comme les latitudes équatoriales, qui reçoivent déjà les plus fortes pluies sur la planète, la pluviométrie augmente (figure 1). Mais, simultanément, la précipitation dans certaines zones diminue, notamment dans les zones sèches subtropicales.
C’est donc la modification de la répartition des pluies qui peut poser problème, car la variation de précipitations régionales peut atteindre aisément 10 % par degré de réchauffement global.
Sur un territoire de dizaines de milliers de kilomètres carrés, une variation de 10 % des précipitations peut être catastrophique, que ce soit dans un pays tropical ou tempéré.
En Inde, les situations extrêmes de faible mousson correspondent à des déficits de pluie de 20 %, et en France, l’année 2011 est une des plus sèches que notre pays ait connues depuis cinquante ans, avec un déficit global de 17 %.
Si la diminution des précipitations en moyenne est déjà de 10 %, on frôlera bien plus souvent ces situations difficiles à gérer.
Incertitudes locales
Ces variations de répartition géographique sont plus ou moins incertaines suivant les régions et les mécanismes qui les provoquent.
On considère comme fortement probable l’accroissement des précipitations de hautes latitudes, ce qui est renforcé par le fait que les cyclones et tempêtes de moyennes latitudes seront déplacés vers le Nord. Ainsi, les modèles de climat simulent une Scandinavie plus arrosée, lors du changement climatique.
En revanche, préciser quel pays de la zone équatoriale recevra plus de pluie est difficile car les modèles donnent des résultats divergents. Serait-ce plutôt le Brésil ? Le Bénin ? C’est pourquoi, quand il s’agit de prendre des mesures pour s’adapter aux changements futurs des ressources en eau, il est important de bien connaître ces incertitudes pour éviter les dangers de la maladaptation.
Risques d’augmentation des sécheresses
En plus des changements de précipitations, le changement d’évapotranspiration sur les régions sèches joue un rôle majeur sur les conséquences du changement climatique. Si, par ce processus, ces zones perdent plus d’eau au point de rendre les sols encore plus secs qu’ils n’étaient avant le changement climatique, les conséquences sur l’agriculture pourraient être majeures et nécessiter d’importants aménagements ou changements de pratiques pour être atténuées.
“ On considère comme fortement probable l’accroissement des précipitations aux hautes latitudes ”
Or, les simulations effectuées par les modèles montrent que l’assèchement des sols pourrait augmenter sur de vastes régions.
Il faut cependant noter que plus une végétation ou un sol est sec, plus une zone est aride, plus le calcul de l’évapotranspiration dans les modèles est imprécis. Ainsi, les modèles ont le défaut systématique de simuler des températures trop chaudes en été sur les continents (figure 2). La cause provient notamment de l’évaluation de cette évapotranspiration dans le cas de faibles réserves d’eau, ce que l’on appelle le stress hydrique.
C’est pourquoi il faudra confirmer les résultats sur l’évolution des sécheresses sous l’effet du changement climatique lorsque les travaux en cours pour réduire ce biais systématique des modèles auront abouti.
“ Il est important de déterminer si le débit des rivières a varié à la suite de l’évolution du climat ”
D’autre part, l’étude des observations n’a pas permis de noter une augmentation des sécheresses, au niveau global, sur les cinquante dernières années.
La prévision des sécheresses reste un objectif majeur. Pouvoir prévoir qu’une région (telle que le Sud-Ouest ou la Normandie) subira plus fréquemment des déficits de pluie, ou que ceux-ci seront plus intenses, permettrait de modifier les cultures de ces régions pour favoriser, par exemple, des céréales moins gourmandes en eau.
L’Office national des forêts, aussi, devra tenir compte de ces changements climatiques pour définir sa gestion des forêts : l’ONF favorisera des essences d’arbres ayant des racines s’enfonçant plus profondément dans le sol pour être plus résistants aux sécheresses en surface.
Ces choix permettent suivant les cas, sur quelques années ou quelques décennies, d’adapter l’économie pour réduire la vulnérabilité au changement climatique.
Des effets sur les fleuves difficiles à anticiper Un autre point important est de déterminer si le débit des rivières a varié à la suite de l’évolution du climat.
FIGURE 2 |
Différence entre le cycle saisonnier moyen de la température simulé par les modèles de climat du projet CMIP5 (40 modèles) et celui estimé d’après les observations. On remarque une surestimation par les modèles du cycle saisonnier au-dessus des continents dans les moyennes latitudes. Ce défaut est dû à une surestimation de la température en été qui provient notamment de problèmes dans la modélisation du cycle hydrologique sur les continents. Dans d’autres régions, ce sont les défauts de la température de surface qui impactent le cycle hydrologique. Par exemple, le cycle saisonnier trop faible (et une température moyenne trop chaude) sur l’océan Atlantique, à l’ouest de l’Afrique, induit un manque de propagation vers le nord de la mousson africaine (extrait de la figure 9.3 du 5e rapport du GIEC, 2013). |
Un grand nombre d’études ont exploré cette problématique depuis une vingtaine d’années. Elles se fondent en général sur les observations de débits. En effet, les modèles de circulation générale, qui simulent le climat, n’avaient pas la résolution nécessaire pour représenter de manière réaliste les débits des fleuves.
Depuis quelques années, des développements et des couplages entre les modélisations hydrologique et climatique permettent d’obtenir une simulation des débits de fleuves en représentant, de manière simplifiée, les transferts d’eau dans les sols de surface et dans les réservoirs profonds.
En fait, les enregistrements de débits dont nous disposons sont rarement continus et, très souvent, des mesures manquent sur certaines périodes : il faut combler ces « trous de mesure » en utilisant des simulations de ces débits, si tant est qu’on possède des observations de précipitations sur ces périodes pour pouvoir utiliser un modèle.
Les premiers résultats obtenus, vers la fin des années 1990, sur certains fleuves ont conclu à une augmentation des débits, vers la mer Baltique par exemple. Mais, au fur et à mesure que les études se sont multipliées, les résultats ont été plus mitigés.
Le fait d’avoir des enregistrements plus longs, d’avoir des modélisations plus performantes et plus réalistes, a permis de mettre en évidence les défauts et les faiblesses des études précédentes.
Or, l’eau des rivières joue un rôle important dans la production d’énergie ou l’irrigation. Un risque de débit plus faible et d’étiages plus fréquents devra être pris en compte pour définir la gestion de l’eau des agences de bassin.
Évolution de la cryosphère
La modification de la surface enneigée et de la quantité de neige en réponse à un réchauffement est principalement régie par trois phénomènes : raccourcissement de la saison enneigée ; augmentation des précipitations aux moyennes et hautes latitudes, régions où se situent l’essentiel des zones enneigées ; augmentation de la fraction des pluies par rapport à celle des neiges.
200 FLEUVES TÉMOINS
Les dernières analyses poussées, sur plus de 200 fleuves, montrent que les débits des fleuves ont une variabilité naturelle décennale, voire multidécennale, assez forte. Cela exclut de calculer une tendance de ces débits en utilisant des enregistrements qui comprennent moins de vingt ou trente ans. Les dernières analyses ont été effectuées sur plus de cinquante ans. Les évolutions des débits des fleuves sont significatives, pour seulement un tiers d’entre eux, soit à la hausse, soit à la baisse.
Il s’agit, par conséquent, de déterminer si ces évolutions de débit observées sont compatibles avec les prévisions des modifications des pluies par les modèles de climat. Sans cette confirmation, il est difficile de faire la différence entre l’effet du changement climatique et la variabilité naturelle.
C’est pourquoi l’effort vers des prévisions régionales est nécessaire, malgré les difficultés d’une telle recherche.
Le deuxième phénomène peut conduire à une augmentation de la quantité de neige alors que les deux autres conduisent à une diminution. Les résultats de modèles nous indiquent que cet effet d’augmentation des précipitations ne domine les deux autres que dans les régions très froides, où les températures sont si basses qu’elles continuent à rester le plus souvent en dessous du point de congélation malgré le réchauffement, et où l’accroissement des précipitations augmente la quantité de neige.
Mais, dans la plupart des régions, ce sont les deux autres mécanismes qui dominent et qui conduisent à une diminution de la couverture moyenne de neige sur l’année.
Les observations disponibles depuis plus de quarante ans ont permis de détecter dans l’hémisphère nord cette tendance à la diminution de l’extension de la neige, surtout au printemps.
Des glaciers qui régressent
Pour les glaciers, les phénomènes qui régissent leur fonte ou leur accumulation sont les mêmes que pour la neige, mais avec en plus un effet d’inertie important dû à la masse du glacier ainsi que des phénomènes d’écoulement, de rhéologie, qui sont décisifs dans les régions montagneuses. De façon générale, on constate depuis une quarantaine d’années une diminution générale de l’extension des glaciers sur toute la surface du globe.
“ Dans la plupart des régions, la couverture neigeuse diminue ”
Cette diminution varie d’un glacier à l’autre, pour un même glacier d’une décennie à l’autre, mais la tendance générale est robuste. Pour les décennies à venir, on prévoit que cette réduction générale se poursuive.
La quantification précise, par glacier, est rendue difficile par l’incertitude sur les caractéristiques régionales du changement climatique et sur les modèles de glacier. Les glaciers étant d’importants réservoirs d’eau douce, leur diminution peut fortement influencer le cycle saisonnier du débit des rivières.
Le poids des calottes glacières
Le bilan de masse de l’Antarctique est encore mal connu. © ISTOCK
Les calottes de glace du Groenland et de l’Antarctique constituent d’énormes réservoirs d’eau dont la fonte totale entraînerait une augmentation du niveau des mers d’environ 7 mètres pour le Groenland et 60 mètres pour l’Antarctique.
Du point de vue des observations, la surface du Groenland qui fond en été a augmenté ces derrières années et on estime que, depuis vingt ans, la fonte du Groenland a contribué pour environ 8 mm à l’augmentation du niveau des mers. Cette fonte devrait se poursuivre et on n’exclut pas que la calotte du Groenland puisse disparaître en quasi- totalité en réponse à un réchauffement de quelques degrés pendant quelques milliers d’années.
Notons que si Erik le Rouge a choisi le nom de « terre verte » lors de son exil au Moyen Âge, c’était probablement davantage pour attirer de nouveaux colons que pour décrire le paysage car l’extension de la calotte de glace était à cette époque peu différente de celle d’aujourd’hui.
Du côté de l’Antarctique, le bilan de masse de la calotte est nettement moins bien connu que celui du Groenland. Cependant, les estimations les plus récentes suggèrent que la calotte se réduit légèrement.
Étude régionale : l’Aquitaine
Peut-on discuter de possibles répercussions du changement climatique sur un pays, voire sur une région de France ? C’est le défi qu’ont relevé des scientifiques, qui, sous l’impulsion de son Conseil régional, ont publié une synthèse sur les modifications du climat en Aquitaine.
Une analyse des observations a permis d’étudier l’évolution des débits annuels, de 1968 à 2008, des fleuves en France. Les résultats montrent une tendance à l’accroissement des débits plutôt au nord du pays et à leur diminution plutôt au sud. Mais ces tendances semblent peu significatives sauf en quelques rares régions, dont fait partie l’Aquitaine.
Le débit de la Garonne a diminué de 1959 à 2009. © KATIA LAVAL
Ces variations étaient-elles la signature d’un changement climatique observé déjà en France ?
Étant donné la faible extension de ce domaine, il convenait tout d’abord de s’appuyer sur les observations existantes de la région, plutôt que sur des modélisations de grande échelle. Les chercheurs ont étudié l’évolution des débits de la Garonne et la Dordogne.
Le débit moyen de la Garonne, bien que soumis à une forte variabilité interannuelle, a diminué entre 1959 et 2009. Cette évolution est bien cohérente avec la diminution de la pluviométrie en Aquitaine. Est-ce là le signe d’un changement climatique, dont on doit anticiper les conséquences ou un effet de la variabilité multi- décennale ?
Un autre résultat, plus préoccupant, concerne le niveau d’étiage en baisse avec une fréquence qui augmente depuis la fin des années 1980. Là encore, il est essentiel pour les agences de bassin de savoir si cette situation va empirer.
Notons toutefois que les crues de la Garonne ne révèlent pas de variation significative, ni à la hausse, ni à la baisse, ce qui conduit à une certaine prudence sur l’interprétation de tous ces résultats.
Les résultats sur la Dordogne ne montrent pas d’effet similaire, mais il faut noter que la situation de ce cours d’eau est très dépendante de la stratégie de la production électrique d’EDF.
Mieux comprendre les interactions
“ La variabilité naturelle des précipitations rend difficile l’interprétation des données ”
Le changement climatique provoquera un changement du cycle de l’eau. Les variations des précipitations seront géographiquement contrastées. La difficulté de détecter les variations passées est due à l’importance de la variabilité naturelle des précipitations aux échelles décennales.
On s’attend à un changement important de la cryosphère, avec de façon globale une réduction des régions enneigées et des glaciers.
Il reste toutefois des questions ouvertes sur la compréhension de ces effets quand ils impliquent l’interaction du cycle hydrologique avec la circulation, et ce, particulièrement sur les continents où les processus de surface apportent une complexité supplémentaire.
Les modèles de climat prédisent une Scandinavie plus arrosée.
© FOTOLIA
BIBLIOGRAPHIE
- K. Laval et G. Laval, Incertitudes sur le climat, Belin, 2013.
- J.-L. Dufresne et al., « Simulation de l’évolution récente et future du climat par les modèles du CNRM et de l’IPSL, La Météorologie, n° 55, 2006, p. 45–59.
- J.-L. Dufresne et al., Climate Change Projections Using the IPSL-CM5 Earth System Model : from CMIP3 to CMIP5. Clim. Dynamics, 40 (9−10), 2013, p. 2123–2165.
- H. Le Treut (dir.), Les Impacts du changement climatique en Aquitaine, Presses universitaires de Bordeaux, 2013.