Restauration de peuplements piscicoles perturbés : exemple du système hydrographique de la Seine
Évolution des peuplements
La préhistoire des poissons détermine la faune originelle de nos cours d’eau
La faune piscicole de nos cours d’eau s’est formée durant l’ère tertiaire, il y a une vingtaine de millions d’années. Cette faune originelle subit ses premiers bouleversements lorsque la glace recouvre le nord de l’Europe, au début de l’ère quaternaire.
Ces changements climatiques entraînent alors la disparition de nombreuses espèces. Bloquées par des chaînes montagneuses ou des bras de mer, ces dernières ne peuvent pas se retirer vers le sud du continent. Ces barrières géographiques expliquent la relative pauvreté de la faune européenne par rapport à celle nord-américaine, qui a pu descendre vers le Sud via le bassin du Mississipi. En effet, à latitude égale, l’Amérique du Nord compte 950 espèces contre 193 en Europe de l’Ouest.
Sur notre continent, seules les espèces les plus résistantes aux basses températures ont survécu, dans une zone étroite et libre de glace, s’étendant entre les glaciers de Scandinavie et ceux des Alpes. Il s’agit essentiellement de poissons migrateurs : anguille, esturgeon, saumon et truite.
Le bassin de la Seine, relativement isolé des autres cours d’eau, possède un fonds piscicole assez pauvre : sa faune originelle, suite aux épisodes glaciaires, est estimée à 33 espèces. Aujourd’hui, elle en compte 45.
Après la disparition des glaces, certaines espèces qui avaient trouvé refuge dans le bassin du Danube reviennent coloniser les fleuves européens. Cette évolution explique la large répartition géographique des espèces rencontrées sur le continent européen.
Elle rend aussi compte de la diminution graduelle est-ouest du nombre d’espèces observées dans les principaux bassins hydrographiques. Ainsi plus de 100 espèces sont dénombrées dans le bassin du Danube, 60 dans le bassin du Rhin, 58 dans le bassin du Rhône et 50 dans celui de la Loire.
Une évolution fortement marquée par les activités humaines
Les premières perturbations du système Seine liées à l’homme commencent dès l’Antiquité avec l’introduction de nouvelles espèces piscicoles. Ainsi, l’élevage de la carpe par les Romains entraîne la dissémination de cette espèce dans toute l’Europe. Ces échanges d’espèces se poursuivent ensuite au Moyen Âge sous l’impulsion des moines. Au IXe siècle, de nombreux monastères aménagent en effet les cours d’eau en étangs pour la production de gardon, de rotengle ou de brochet, et favorisent la dispersion de ces espèces d’eaux calmes.
Mais c’est essentiellement au XIXe siècle que les perturbations sont les plus importantes. Les naturalistes acclimatent de nombreuses espèces originaires du continent nord-américain, dont les plus connues sont la truite arc-en-ciel, la perche-soleil ou le poisson-chat.
Parallèlement, la liaison des différents fleuves par des canaux de navigation permet la dispersion et la colonisation de certaines espèces. Au total, 5 espèces nouvelles : grémille, hotu, toxostome, barbeau et sandre apparaissent dans la Seine suite à la connexion entre différents bassins hydrographiques européens, ce qui représente 10 % de la faune actuelle.
Ce sont cependant les aménagements du XXe siècle qui ont les conséquences les plus catastrophiques pour les poissons. L’exemple le plus marquant est la disparition de la plupart des espèces migratrices, à l’exception de l’anguille. Ce déclin est dû à la construction de barrages-écluses, constituant des obstacles infranchissables pour la remontée des rivières. Ainsi, le saumon et la grande alose sont repérés pour la dernière fois dans les eaux de la Seine vers 1920…
Des facteurs physiques et biologiques déterminent l’évolution des peuplements piscicoles
La répartition et la densité de peuplement des poissons dans le réseau hydrographique dépendent de la vitesse du courant ainsi que de l’oxygénation et de la température de l’eau. Pour accomplir leur cycle biologique, les poissons doivent aussi pouvoir se déplacer librement entre trois grands types d’habitats auxquels sont associés les fonctions fondamentales de reproduction, d’alimentation et de refuge. Pour se reproduire par exemple, de nombreuses espèces migrent longitudinalement (de l’amont vers l’aval) tandis que d’autres se déplacent latéralement pour rejoindre des étendues aquatiques – anses annexes ou bras morts – qui bordent le cours d’eau, afin de gagner leurs aires de ponte.
Des zones de grand déficit inégalement réparties le long de la Seine
La richesse et la biodiversité de la population piscicole de la Seine sont très hétérogènes. Normalement, sur des fleuves » plus naturels « , il y a plus d’espèces en aval qu’en amont car les parties basses présentent une plus grande diversité d’habitats pour les poissons.
Globalement, on retrouve ce schéma théorique dans les secteurs amont de la Seine. Il est contredit par contre plus en aval : la richesse en espèces diminue fortement juste avant l’arrivée à Paris, puis plus encore en aval des rejets de la station d’épuration d’Achères, où seules trois espèces particulièrement résistantes parviennent à survivre : le gardon, la brème et la carpe.
Abondance de jeunes poissons de l’année (nombre capturé par unité de surface de 78 m2)
dans les milieux annexes d’un bief presque naturel et d’un bief navigué de la Seine.
Des aménagements très perturbateurs
Si la qualité chimique des eaux a évolué de façon favorable depuis une vingtaine d’années, les poissons souffrent toujours autant des différents aménagements hydrauliques de la Seine qui ont fortement perturbé l’organisation naturelle des communautés de poissons.
Ainsi, à l’amont du bassin, les barrages et étangs artificiels empêchent certaines espèces comme les salmonidés (saumons et truites) d’accéder à leurs zones de reproduction. En limitant l’amplitude des inondations printanières, la régulation du débit nuit à la reproduction du brochet qui fraye sur les prairies inondées.
Plus bas, le tracé naturel de nombreux secteurs sur la Seine a été modifié. L’uniformisation du lit du cours d’eau qui résulte de cette » chenalisation » détruit souvent les habitats ou les zones spécifiques de reproduction de certains poissons. Ne trouvant plus un environnement adéquat, les espèces d’eaux vives comme le barbeau, la vandoise ou le hotu sont alors remplacées par d’autres moins exigeantes comme le chevesne, le gardon, la carpe et la brème. Ces trois derniers poissons, qui résistent aussi à la dégradation de la qualité de l’eau, sont les plus abondants à l’aval de Paris.
Moyens de réhabilitation
Sites annexes
La réhabilitation de sites aquatiques dits annexes (anciens bras morts ou gravières) en communication avec le chenal principal (voir encadré) peut être un moyen efficace pour offrir aux espèces les plus exigeantes les sites de reproduction dont elles ont besoin.
Inondation de prairies
Un modèle hydraulique a permis de calculer le débit optimal à garantir en aval de la confluence Aube-Seine pour assurer au printemps suffisamment de surfaces de prairies inondées, propices à la reproduction du brochet, sans trop affecter les terres agricoles de La Bassée.
Il est possible aussi de gérer les dérivations et les lâchers d’eau des barrages-réservoirs de façon à offrir aux brochets les étendues de prairies inondées indispensables à leur reproduction, tout en ménageant les intérêts des agriculteurs.
Aménagements et gestion
Le Cemagref développe aussi un modèle statistique permettant de prévoir, à l’échelle de tout le réseau hydrographique, la nature et la richesse du peuplement piscicole en fonction de scénarios d’aménagement ou de gestion d’ouvrages.
Les recherches effectuées actuellement ne pourront pas ramener la Seine à son état originel mais il est aujourd’hui possible d’envisager une gestion équilibrée du milieu aquatique et des activités humaines. Pour les chercheurs et les aménageurs, il s’agit maintenant de préserver ou de restaurer les milieux aquatiques fortement perturbés par les activités humaines. Ces recherches permettront, par ailleurs, d’évaluer l’impact écologique des nouveaux aménagements de la Seine.
Exemple : le projet de réhabilitation du méandre de la Grande Bosse
Les recherches effectuées actuellement ne pourront pas ramener la Seine à son état originel mais il est aujourd’hui possible d’envisager une gestion équilibrée du milieu aquatique et des activités humaines. Pour les chercheurs et les aménageurs, il s’agit maintenant de préserver ou de restaurer les milieux aquatiques fortement perturbés par les activités humaines. Ces recherches permettront, par ailleurs, d’évaluer l’impact écologique des nouveaux aménagements de la Seine.
Ancien méandre de la Seine situé dans la plaine de La Bassée, en amont de Paris, le bras de la Grande Bosse va faire l’objet d’une opération de réhabilitation.
L’objectif principal est de rétablir un courant afin d’en faire une zone propice à la reproduction des poissons.
Une première modélisation de ce milieu a été effectuée pour déterminer le débit qu’il convient d’y créer.
Une seconde, réalisée grâce au modèle EValuation de l’HAbitat piscicole (EVHA) mis au point au Cemagref, a ensuite permis de tester l’intérêt, en termes de » valeur d’habitat « , de l’augmentation du débit vis-à-vis de plusieurs espèces de poissons.
Parmi plusieurs variétés testées, le barbeau qui aime l’eau vive réagit très positivement à la restauration du débit.