RETOURS
La mésaventure d’Orphée nous a appris à éviter de nous retourner.
À la rentrée, il est bon, quand on n’est plus adolescent – certains, bienheureux, le restent toute leur vie – d’oublier les vacances et de s’immerger dans de nouveaux projets. Portons tout de même un dernier regard sur des disques récents que nous avons aimés et auxquels nous resterons peut-être fidèles malgré tout.
Fidelio
Tandis que d’apparentes révolutions fleurissent ou s’étiolent, Decca a publié opportunément l’enregistrement du Fidelio donné en 2010 au Festival de Lucerne sous la direction de Claudio Abbado avec notamment Nina Stemme (Léonore) et Jonas Kaufmann (Florestan) et le remarquable Orchestre du Festival1. Audelà de l’ambition philosophique et humaniste de l’oeuvre – exaltation des valeurs des Lumières, victoire de la liberté sur l’oppression, triomphe de l’amour et de la joie, etc. – c’est sans doute ce que Beethoven a écrit de plus fort, avec des airs dont certains sont sublimes et une orchestration inhabituellement riche pour un opéra.
L’irremplaçable Abbado génère une émotion d’autant plus prégnante que le disque – CD et non DVD – nous épargne une de ces mises en scène contemporaines qui peuvent exaspérer et gâcher l’audition.
Schubert
La musique de Schubert est populaire ; elle est agréable et d’abord aisé, ce qui peut parfois la faire qualifier de mièvre, à tort. Vous connaissez évidemment les deux Trios de Schubert, pièces exquises écrites peu avant sa mort et souvent jouées. L’Andante du n° 2 a même été utilisé par Stanley Kubrick dans Barry Lyndon.
Le trio Dali, qui les a enregistrés2 en janvier dernier, allie à la fraîcheur et la spontanéité de la jeunesse une maturité rare : équilibre des instruments, perfection technique, sérénité du jeu. La Sonate « Arpeggione » pour violoncelle et piano, œuvre majeure et également connue, et la Fantaisie pour violon et piano, petit chef‑d’œuvre difficile et moins connu, complètent le coffret.
Vous connaissez aussi Winterreise – Le Voyage d’hiver –, marqué à jamais par l’interprétation de Dietrich Fischer-Dieskau : il fait partie des best-sellers schubertiens. L’originalité de l’enregistrement de l’excellent baryton Thomas Bauer est l’accompagnement au pianoforte, joué par le spécialiste de l’ instrument Jos Van Immerseel3, qui confère à l’œuvre une légèreté inhabituelle, assez bien en situation avec le poème de Wilhelm Müller.
Machaut, Marais
Si vous ne connaissez pas Les Pièces en trio pour les flûtes, violon et dessus de viole de Marin Marais (1692), courez vite remédier à cette lacune : c’est la musique du Grand Siècle dans sa forme la plus achevée, que joue l’ensemble Aux Pieds du Roy4.
Une musique de plaisir, et aussi une musique complexe et achevée, très supérieure à la musique de Lully, et qui annonce François Couperin.
Trois siècles auparavant, Guillaume de Machaut compose des motets consacrés pour l’essentiel à l’amour et aux peines de coeur, polyphonies vocales à trois voix pour la plupart, polytextuelles (un texte pour chaque voix), avec un accompagnement instrumental. L’ensemble Musica Nova (deux sopranos, deux mezzos, deux ténors, une basse, plus flûte à bec, harpe, vièle et percussion) vient d’enregistrer l’intégrale de ces vingt-trois Motets5. C’est une révélation, qui jette sur la musique du Moyen Âge finissant une lumière nouvelle : subtilité et complexité de la forme musicale, beauté du texte dit en vieux français avec l’accent restitué (comme nous y a habitués Benjamin Lazar). Voilà qui nous rafraîchit et nous esbaudit fort : vive le Moyen Âge !
Camarades
Une autre découverte : notre camarade Philippe Souplet (85), bien connu pour sa maîtrise du piano jazz traditionnel dans la ligne de Fats Waller et Willie Smith, se révèle un ellingtonien hors pair dans un disque récent aux côtés de la chanteuse Sonya Pinçon et d’une excellente section rythmique, enregistré en concert sous le titre « In the mood for Duke6 ».
Dans les thèmes swingués comme I don’t mean a thing comme dans les ballades (Sophisticated Lady, Day Dream), avec un jeu d’une exceptionnelle clarté et des harmonies délicieusement complexes et subtiles, Philippe Souplet se montre tel qu’il est : un des tout premiers pianistes de jazz français d’aujourd’hui.
Autre camarade : Lionel Stoleru (56), chef d’orchestre, a composé une Symphonie juive dont il a dirigé la première voici peu salle Gaveau à Paris, à la tête de son Orchestre romantique européen, concert enregistré dont le disque vient d’être pressé7. La symphonie, en 4 mouvements, est bâtie sur des thèmes de la liturgie juive et n’a d’autre ambition que de les faire connaître, intégrés pour la première fois dans une oeuvre symphonique.
Le style musical est délibérément celui du XIXe siècle, dans la lignée de Mendelssohn, qui n’aurait pas désavoué certains passages s’il avait eu le premier l’idée d’une telle symphonie.
1. 1 CD DECCA.
2. 2 CD FUGA LIBERA.
3. 1 CD ZIG ZAG.
4. 1 CD AMBRONAY.
5. 2 CD AEON.
6. 1 CD SONYA.JAZZ.
7. 1 CD SAPHIR.