Réussir la transition écologique
À l’École polytechnique, on y forme des ingénieurs. La décarbonation est un enjeu climatique essentiel aujourd’hui qui concerne toute génération et tout secteur d’entreprise. Rencontre avec une jeune femme passionnée au parcours d’excellence, engagée dans la lutte contre le changement climatique, Anaïs Goburdhun (D19), Methodology developer chez ADEME.
Quelles sont les valeurs que portent l’ADEME ?
L’ADEME est engagée pour la transition écologique, dans la lutte contre le réchauffement climatique et la dégradation des ressources. Sur le terrain, l’ADEME mobilise tous les acteurs : citoyens, sociétés, collectivités territoriales afin de leur donner les moyens de progresser vers une transition écologique réussie et surtout durable. Face à l’urgence dans laquelle nous sommes et qui grandit jour après jour, l’ADEME s’est fixée des objectifs ambitieux. L’heure n’est plus à la prise de conscience mais bien à la mobilisation générale. Il faut faire vite et bien.
L’ADEME possède une expertise unique : tout d’abord conseiller, puis proposer des démarches et des méthodologies, émettre des recommandations, rendre des avis, réaliser des études avec une approche rigoureuse, sans occulter les incertitudes. Si aujourd’hui, on peut dire que la bataille du climat est loin d’être gagnée, elle n’est, en tout cas, pas encore perdue.
Qu’est-ce qu’une stratégie bas carbone ?
C’est l’ensemble de mesures que l’entreprise va prendre, comme se fixer des objectifs de décarbonation (y compris sur ses émissions indirectes lorsqu’elles sont significatives), prévoir des investissements dans des actifs qui émettent moins, ou encore développer de nouveaux modèles d’affaires compatibles avec l’Accord de Paris de limiter le réchauffement à moins de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels. C’est le premier pas vers une économie bas-carbone.
Quels sont les objectifs de l’Initiative ACT, lancée en 2015 ?
En un mot, la décarbonation. Lors de la COP21 de Paris en 2015, l’ADEME et le CDP ont mis en commun leurs compétences pour fonder une méthodologie internationale permettant d’évaluer les entreprises dans leur stratégie bas-carbone, appelée ACT : Assessing low-Carbon Transition. L’initiative est inscrite à l’agenda de l’action de la CCNUCC Convention Cadre Nations Unies sur les Changements Climatiques.
ACT a commencé avec une phase pilote en 2015 avec les développements des secteurs électricité, constructeurs automobiles et retail/distribution. J’ai intégré l’équipe au moment de la phase de déploiement en 2019.
“C’est l’essence de notre mission et le sens de notre vœu initial : engager toute entreprise tous secteurs confondus à décarboner. Nous sommes là pour les orienter, et mettre à disposition la méthode et les outils.”
Je développe des méthodologies sectorielles qui consistent à évaluer des entreprises d’un secteur donné, définir des indicateurs, choisir des scénarios de décarbonation, les bonnes métriques pour évaluer les entreprises dans leur stratégie bas-carbone… Les secteurs développés en priorité sont bien évidemment ceux les plus contributeurs en termes d’émissions de gaz à effet de serre et d’impact sur le climat : pétrole et gaz, transport, agriculture et agroalimentaire, ciment, acier…
Pour développer chaque méthodologie sectorielle, nous travaillons avec un groupe de travail technique : entreprises du secteur, experts, ONG, académiques… partagent leur expertise et leur expérience afin de définir une méthodologie ambitieuse et adaptée. Dans un second temps, nous réalisons une expérimentation avec des entreprises volontaires afin de confronter la méthode à des données concrètes et réaliser une mise à jour tout en gardant les mêmes objectifs.
Aujourd’hui, 7 ans après le lancement de l’initiative ACT en 2015, les objectifs ont-ils été atteints ?
Les objectifs de la phase de déploiement de l’initiative ont été atteints et de nouveaux horizons s’ouvrent. L’initiative a notamment bénéficié du soutien financier de l’ADEME et de Climate KIC afin de développer des méthodes pour engager le maximum d’entreprises à prendre conscience des enjeux et à les inciter à évaluer leur stratégie carbone. On peut d’ores et déjà se satisfaire en partie en réalisant que, 7 ans plus tard, le travail est bien engagé.
En revanche, dire que les objectifs climatiques ont été atteints relève encore de l’utopie. Les entreprises prennent progressivement conscience des enjeux mais la route est encore longue et les actions annoncées par les entreprises manquent souvent d’ambition. Un des objectifs de ACT est de lutter contre le greenwashing, mais pour l’heure, la réalisation d’une évaluation ACT est volontaire.
À la suite de l’expérimentation du secteur agroalimentaire, je me souviens du retour encourageant d’entreprises pilotes disant que la méthodologie allait leur servir de cadre afin de mettre en place de nouvelles actions. Cela a concerné par exemple la diminution du gaspillage alimentaire, ou encore la définition d’objectifs de réduction d’émissions. C’est l’essence même de notre mission et le sens de notre vœu initial : engager toute entreprise tous secteurs confondus à décarboner. Nous sommes là pour les orienter, et mettre à disposition la méthode et les outils.
Étudiante à Polytechnique, vous aviez soutenu une thèse sur l’économie appliquée au changement/risques climatiques à l’Agriculture, une carrière prédestinée ?
Très jeune, j’ai été interpellée par l’urgence climatique. C’est donc tout naturellement que je me suis orientée vers une formation d’ingénieur à AgroParisTech. Après mon cursus d’ingénieur, j’ai eu la chance d’intégrer l’X pour y réaliser ma thèse au sein du département d’économie. Mes travaux ont porté sur les risques climatiques et leur impact sur l’agriculture et les pays en développement. Avec mon directeur de thèse déjà spécialisé sur les risques liés au climat, nous avions au préalable bien déterminé le projet de ma thèse. C’était un de ces professeurs qui vous forgent une destinée.
Grâce au partenariat qui existe entre le Massachusetts Institute of Technology MIT à Cambridge aux États-Unis et l’École polytechnique, j’ai pu bénéficier de cette formation hors du commun. L’X et le laboratoire auquel j’étais rattachée m’ont permis de réaliser ce projet, grâce à un soutien à la fois administratif et financier. Là-bas, j’ai avancé sur mes projets de recherche auprès de climatologues, économistes, sociologues… avec une vision plus transverse. Clôturer son enseignement supérieur dans de si bonnes conditions a été pour moi une expérience professionnelle et personnelle exceptionnelle. La somme de ces enseignements pointus a très vite orienté mon profil sur les enjeux à la fois scientifiques, politiques et économiques du climat, ce que j’avais toujours souhaité.
Polytechnique, le MIT, cette voie royale vous a‑t-elle défini très tôt dans ce rôle de lutte contre le changement climatique ?
Définitivement, elle m’a donné une expertise sur le changement climatique, j’ai pu bénéficier d’un enseignement d’exception. C’est important de le souligner car l’École polytechnique offre cette chance unique. Le climat concerne la planète entière mais chaque continent a sa manière d’aborder les choses.
En tant que collaboratrice à l’ADEME et professionnelle engagée dans la lutte contre le changement climatique, quel est votre vœu pour l’avenir ?
Le nouveau rapport du GIEC précise qu’il ne pourra pas y avoir d’avancée sur le climat sans justice sociale. En effet, il semble impossible d’exiger un effort collectif sur le climat quand une minorité consomme le budget carbone annuel de plusieurs personnes en à peine quelques heures dans l’espace… Donc une vraie politique de lutte contre les inégalités de richesse constituerait un réel progrès.
Aujourd’hui, déjà 1 entreprise sur 5 s’est engagée sur la voie de la décarbonation, que toute société suive cette voie, voilà mon vœu. Pour que le rêve se réalise, le seul chemin à emprunter est celui de la législation : qu’il y ait des réglementations sur le climat contraignantes plutôt que déclaratives.