RÊVES D’HIVER
L’hiver est sans doute la saison la plus propice pour l’écoute de la musique, et pas seulement parce qu’on est plus volontiers à l’intérieur, chez soi ou dans une salle de concert. C’est une période favorable à l’introspection : celle des bilans, bien sûr, de l’année qui s’achève et pourquoi pas, pour les mélancoliques, de toute une vie, même brève ; mais c’est aussi le meilleur moment pour élaborer des plans pour l’année qui vient, sereinement, bien au chaud dans son salon, en écoutant de la musique, stimulant incomparable de votre imagination créatrice.
Et puis, rien ne vous empêche, quand vous préparez l’avenir et ses incertitudes, de tourner les yeux, ne serait-ce qu’un instant, vers les certitudes rassurantes du passé.
Fauré
Rien ne témoigne de cette délicieuse ambiguïté plus que la musique de chambre de Fauré, qui oscille en permanence entre joie et mélancolie, mais toujours d’une extrême sensualité. La publication de l’intégrale de la musique de chambre de Fauré pour cordes et piano1 est un événement à marquer d’une pierre blanche : Renaud et Gautier Capuçon, Michel Dalberto et Nicolas Angelich et le Quatuor Ébène ont enregistré les deux Sonates pour violon et piano, les deux Sonates pour violoncelle et piano, les deux Quatuors avec piano, les deux Quintettes avec piano, ainsi que le Trio avec piano, plus rarement joué, auxquels s’ajoute le Quatuor à cordes dont l’enregistrement par le Quatuor Ébène a déjà été cité dans ces colonnes.
Fauré, né en 1845 et mort en 1924, est sans doute, de tous les musiciens, celui qui a porté le plus haut, le plus loin la musique tonale après les excès du Romantisme. À la différence de sa musique pour piano seul, rien de mineur parmi ces dix pièces qui sont autant de petits chefsd’œuvre absolus et qui jalonnent toute une vie, du lyrisme aux incessantes et exquises modulations de la 1re Sonate pour violon au désespoir proche de l’atonalité du Quatuor à cordes.
Le plaisir d’écoute ne faiblit jamais et atteint souvent l’ineffable. Même si l’on a gardé un souvenir ébloui de tel ou tel enregistrement plus ancien – les deux Sonates pour violon par Ferras et Barbizet, les deux Sonates pour violoncelle par Tortelier et Heidsieck, le 1er Quatuor avec piano avec Samson François – l’interprétation ici est parfaite et homogène.
Un coffret vraiment exceptionnel.
Valeriy Sokolov
Il y a comme un miracle dans le renouvellement des interprètes à travers les générations, tout particulièrement des violonistes : de Menuhin, Heifetz, Milstein, Stern, Oïstrakh, à Perlman et Kremer, puis Vengerov, Repin, Hilary Hahn, Sarah Chang, aucune discontinuité.
Et aujourd’hui un nouveau : Valeriy Sokolov, qui s’illustre dans un blue chip, le Concerto de Tchaïkovski et dans une œuvre plus rare et incomparablement originale, le 2e Concerto de Bartok, avec le Tonhalle-Orchester Zürich dirigé par David Zinman2. Du Concerto de Tchaïkovski, musique de film avant la lettre et logiquement popularisée récemment par un film3, tout a été dit ; Sokolov le joue à la fois avec précision et un lyrisme tzigane ma non troppo qui conviennent bien à cette œuvre jaillissante. Le 2e Concerto de Bartok, c’est une autre affaire. C’est une œuvre marquée par les bouleversements de la fin des années 1930 en Europe et qui coïncide avec l’apogée de l’art de Bartok, avant son départ en 1940 pour les États-Unis et la mort dans la quasi-misère.
Comme avec Fauré mais quinze ans plus tard – Stravinski et Prokofiev entre autres, et le nazisme, sont passés par là – Bartok exploite toutes les ressources de la musique tonale et du contrepoint, avec une recherche de la complexité extrême dans l’harmonie et le rythme et de l’orchestration subtile, tout en refusant le piège fatal du dodécaphonisme ; et puis un génie bien particulier, qui fait que la patte de Bartok se reconnaît dans n’importe laquelle de ses œuvres orchestrales dès les premières mesures.
Sokolov se joue des difficultés techniques et donne de cette œuvre complexe et puissante une interprétation que Menuhin n’aurait pas désavouée.
Bach – La chair et l’esprit
Sous ce titre, Outhere parcourt la vie de Bach en un bel opuscule illustré, et son œuvre entière organisée par thème en 6 CD : Cordes frottées (violon, viole, violoncelle), Cordes pincées et cordes frappées, Du clavecin à l’orgue, Grands effectifs profanes (concertos brandebourgeois, cantates profanes), Musique sacrée, et, sous le titre Open Bach, diverses pièces assorties d’improvisations contemporaines, le tout dans un luxueux coffret4. Certains interprètes sont connus (comme Gustav Leonhardt ou Café Zimmermann), d’autres moins, la plupart des baroqueux. Pour un familier de l’œuvre de Bach, il est frustrant d’entendre un extrait d’une Suite pour violoncelle ou de La Passion selon saint Jean. Mais pour qui veut découvrir tout Bach en attendant le printemps, ce recueil constitue une agréable et intelligente introduction.
1. 5 CD Virgin.
2. 1 CD Virgin.
3. « Le Concert ».
4. 1 Coffret Outhere.