RGREEN INVEST : « Il est urgent d’accélérer le passage à l’échelle des projets d’hydrogène vert »
Nicolas Rochon, président fondateur de RGREEN INVEST, accompagne depuis plus de 20 ans les entrepreneurs du secteur des énergies renouvelables et de l’infrastructure dans le développement de projets destinés à renforcer notre résilience face au changement climatique. Dans cet entretien, il dresse un état des lieux du potentiel de développement de l’hydrogène vert qui s’impose de plus en plus comme une des solutions pour remplacer les énergies fossiles.
Comment est née RGREEN INVEST ?
RGREEN INVEST est une société de gestion indépendante spécialisée dans le financement de la transition énergétique. Depuis plus de dix ans, nous proposons des solutions financières adaptées aux projets visant l’atténuation et l’adaptation au changement climatique. Au début des années 2000, j’avais codéveloppé la Financière de Champlain, une société de gestion qui était alors pionnière sur la gestion de fonds dédiés à la protection de l’environnement. Nous intervenions auprès d’acteurs cotés en Bourse. En 2009, j’ai cédé mes parts pour créer le groupe RGREEN avec l’ambition d’avoir un impact plus fort sur les enjeux de la transition énergétique en ayant une relation directe avec les entrepreneurs.
Concrètement, comment se traduit la vision de RGREEN INVEST ?
Nous sommes avant tout une société de gestion dédiée aux entrepreneurs dont la vocation est d’accélérer la transition énergétique. Notre ambition est de garantir le meilleur alignement possible des intérêts des entrepreneurs et des investisseurs. Ainsi, dans le cadre de nos investissements, nous sommes le plus souvent minoritaires, car nous sommes convaincus que l’entrepreneur doit rester maître de ses décisions, de son entreprise et de son développement.
L’hydrogène va être amené à jouer un rôle important en matière de décarbonation des usages et des industries, mais aussi pour lutter contre le réchauffement climatique. Qu’en est-il ?
L’hydrogène est, en effet, une source de beaucoup d’espoir. Dans un contexte d’urgence climatique, nous disposons d’un levier d’action extraordinaire dans le cadre de la décarbonation des processus industriels. A l’heure actuelle, plusieurs de ces processus utilisent quantité d’hydrogène « gris » (à base de gaz ou de charbon) en tant que réactif pour des usages tels que la production d’ammoniac et de ce fait d’engrais nécessaires à l’agriculture, la production de méthanol pour la chimie, le raffinage et la désulfuration de produits pétroliers et demain la production de fuel/biofuels synthétiques, ou encore la production d’acier vert.
L’enjeu décisif à court terme est d’arriver à produire massivement un hydrogène « vert » à partir d’énergies renouvelables, et ce afin de décarboner au maximum ces processus. Il existe aussi un enjeu long terme de l’hydrogène comme vecteur dans le domaine du stockage d’énergie, du transport de marchandises, mais également de manière plus prospective du transport collectif de personnes. À noter cependant qu’au-delà du rendement énergétique qui reste tout de même limité en matière de stockage d’énergie, certaines études récentes identifient le dihydrogène comme un gaz à effet de serre indirect en cas de fuites, car il aurait, entre autres, la propriété de prolonger la durée de vie du méthane dans l’atmosphère. C’est une perspective certes prometteuse, mais complexe.
Sur un plan financier, de quelles façons les acteurs financiers peuvent-il accélérer le passage à l’échelle de l’hydrogène ?
Aujourd’hui, il y a de plus en plus d’investisseurs qui veulent financer des projets en lien avec l’hydrogène. Toutefois, il n’y a pas encore suffisamment de projets de génération d’hydrogène vert à l’échelle requise. Le frein n’est pas pour autant technologique, car nous disposons des briques technologiques pour produire de l’hydrogène vert à partir d’énergies renouvelables. Cependant, un système de garanties proposé par l’État et les différents organismes publics est indispensable pour anticiper les investissements dans ce secteur et éliminer ce qui retarde le redimensionnement de certains projets qui n’ont pas trouvé d’équilibre économique.
Dans cette démarche, quels sont les enjeux mais également les opportunités pour les investisseurs ?
Ils doivent d’abord bien cerner et comprendre les futurs usages de l’hydrogène pour identifier les acteurs crédibles et en capacité de développer des infrastructures durables. En effet, dans un nouveau secteur, il y a toujours différents choix à faire : Faut-il privilégier les méga projets, les démarches locales ancrées dans les territoires ? Est-ce que le modèle proposé est vertueux, sûr et durable ? Permet-il réellement une économie de CO2e ?
Quelles sont les caractéristiques des projets qui retiennent votre attention ?
Comme première étape, nous avons investi dans un des premiers projets liés à la mobilité en Europe, dans une société de taxis à hydrogène dotée d’un business model résilient et qui opère notamment à Paris. Nous sommes aussi en train de finaliser un investissement dans un projet insulaire français. Toutefois, actuellement, il est difficile de trouver des projets performants d’un point de vue environnemental tout en étant viables économiquement ou à l’échelle. Pour être compétitif sur le segment de l’hydrogène vert, il faut développer des projets de taille significative. Cela demande des fonds, un emplacement qui permette d’avoir accès à une production d’énergies renouvelables d’une certaine taille, une sécurisation du processus, depuis la production de l’électron jusqu’à sa transformation en hydrogène vert, et, in fine un client qui est prêt à s’engager sur un prix et des volumes importants. En parallèle, nous étudions en priorité des projets totalement autofinancés par le privé qui ne reçoivent pas d’aides publiques.
Selon vous, quelles sont les conditions de succès du Plan Hydrogène en Europe, et quels sont aussi les défis majeurs qu’il faudra surmonter ?
L’hydrogène est clairement identifié comme un chaînon du succès de la transition énergétique. Pour franchir le cap, une action politique est essentielle. C’est aujourd’hui que se dessine notre mix énergétique et l’organisation de notre industrie pour les 50 prochaines années, et il faut pouvoir s’appuyer sur un cadre réglementaire stable. Il ne faudrait pas revivre l’échec que nous avons connu avec le solaire.
En outre, la question de la production d’hydrogène vert va poser un défi en termes de transport et de stockage. Tous les endroits sur Terre ne se valent pas pour le renouvelable, et la production d’hydrogène « vert » n’échappe pas à cette règle : les choix énergétiques sont aussi des sujets d’arbitrage économique, commercial, politique et de souveraineté. L’hydrogène sera surtout efficace, quel que soit son usage, s’il est produit localement, ou éventuellement transporté à travers des pipelines (si possibles déjà existants). À court terme, il existe un usage insulaire intéressant, par exemple pour la France en tant que stockage d’énergie sur des zones non électriquement interconnectées telles que la Corse ou les DOM-TOM. Mais hors de ces cas particuliers, il s’agira principalement de sujets locaux ou éventuellement régionaux à l’échelle du continent, avec une production d’énergie renouvelable obligatoirement proche. Il existe par ailleurs un débat sur la possibilité d’échanges continentaux par bateau (par exemple avec des transformations intermédiaires en hydrogène liquide ou en ammoniac), mais ces solutions restent écologiquement et économiquement coûteuses.
Il sera également nécessaire d’envisager la production d’hydrogène bas carbone via l’électricité nucléaire hors des pics de production. Nous estimons que toutes les énergies bas carbone devront être mobilisées.
Globalement, nous devrions percevoir cette situation comme une excellente opportunité de décarboner notre société tout en améliorant notre indépendance énergétique !
Quelles pistes de réflexion pourriez-vous partager avec nos lecteurs pour conclure ?
Les rapports du GIEC sont sans équivoque. Nous disposons d’un temps restreint pour réduire notre consommation énergétique, mais aussi pour trouver des solutions pérennes de remplacement du gaz et du pétrole, en particulier dans l’industrie et dans la mobilité. Je suis convaincu que l’hydrogène est une de ces solutions s’il est produit grâce aux énergies renouvelables.
Aujourd’hui, il est urgent d’accélérer le passage à l’échelle des projets d’hydrogène vert et d’adopter une stratégie politique forte qui permettra à l’Europe et à la France de faire de l’hydrogène un levier de développement, d’indépendance et de souveraineté énergétique.