RH 4.0 de la gendarmerie : recruter, former et garder les talents numériques
À l’heure où les mutations scientifiques et technologiques viennent remettre en cause les processus les mieux établis, la gendarmerie porte le projet stratégique Gend 20.24. Déclinaison du volet RH de ce dernier, le plan de transformation baptisé M@GRH vise à préparer la ressource humaine aux enjeux de l’avenir, en innovant et simplifiant pour créer les conditions d’une gestion véritablement individualisée et assurer une constante montée en compétences numériques de ses cadres.
Parmi les défis à relever, il faut comprendre et concilier les aspirations nouvelles des gendarmes avec les exigences du métier. Cette métamorphose de la ressource humaine se fait au rythme d’un recrutement massif de près de 10 000 militaires et civils chaque année. Si la génération numérique ne représente actuellement que 1 % de la population en gendarmerie, elle atteindra près de 30 % des gendarmes en 2030 et elle constitue une véritable occasion pour conduire la transformation de la « maison gendarmerie », à la condition qu’elle y trouve réponse à ses attentes. Digital natives, ces recrues veulent de la transparence, de la traçabilité, de la rapidité et, surtout, des réponses individualisées à leurs demandes. Elles vivent en effet leur gestion comme une expérience client. Il s’agit donc d’adapter la gestion des ressources humaines (GRH) à ce changement de paradigme, tout en préservant les fondamentaux statutaires, pour répondre à un triple enjeu : de recrutement, de socialisation professionnelle et d’emploi.
Une stratégie de recrutement tournée vers les scientifiques
Les talents numériques sont convoités et la gendarmerie se doit de dynamiser son attractivité en hybridant l’identité de soldat de la loi avec un gendarme davantage technologique, gage de notoriété ou de perception vis-à-vis des potentiels viviers ou bassins de recrutement à connotation scientifique. Le chargé d’accueil d’une brigade ne constitue plus l’unique représentation du gendarme, désormais nomade par le biais de son smartphone ou de sa tablette Néo 2, lui permettant de suivre les interventions en cours, consulter les fichiers centraux, recueillir un renseignement ou dresser un procès-verbal sur le pas de la porte de l’usager.
Pour augmenter l’agilité numérique de l’ensemble des sous-officiers, le parti pris est celui d’une acculturation de masse suivie d’une montée en compétence ciblée. Ainsi, le concours compte désormais une épreuve QCM spécifique pour mesurer l’aisance numérique des candidats admissibles. Les lauréats révélant des aptitudes particulières constituent une e‑compagnie, promotion d’élèves gendarmes bénéficiant d’une formation renforcée dans ce domaine. Le contenu pédagogique est repensé afin qu’un quart du temps d’instruction initiale soit tourné vers le numérique, contre 11 % jusqu’alors. La première e‑compagnie a vu le jour au sein de l’école de Chaumont en 2021 et trois nouvelles compagnies de 120 élèves gendarmes sont constituées en 2022.
Le recrutement des officiers, une diversité de profils complémentaires
Cette volonté d’irriguer plus globalement l’institution se manifeste dès l’incorporation des futurs chefs, traduite par un recrutement externe composé de plus de 40 % de scientifiques pour la troisième année consécutive. Formés à l’École des officiers de la Gendarmerie nationale (EOGN) de Melun, ils sont issus de divers horizons. Tout d’abord l’officier de recrutement sur titre est sélectionné pour ses compétences techniques. Son parcours l’amènera à rejoindre rapidement une entité scientifique de la gendarmerie où il occupera un poste de cadre à haute qualification, voire d’expert. La gendarmerie compte 200 officiers recrutés sur titres. Ensuite l’officier scientifique issu des grandes écoles militaires, de l’université, voire du corps des sous-officiers, a tout d’abord vocation à occuper des postes de cadre généraliste. Parmi cette catégorie, une vingtaine d’officiers issus de l’École polytechnique sont aujourd’hui en activité au sein de la gendarmerie.
“Une vingtaine d’officiers issus de l’École polytechnique sont aujourd’hui en activité au sein de la gendarmerie.”
Plus d’un tiers évolue actuellement au sein de structures scientifiques et la moitié assume des commandements d’unité opérationnelle. Enfin l’officier commissionné est quant à lui recruté pour apporter des compétences très spécifiques, rares ou critiques, qui n’existent pas dans les parcours de formation de la gendarmerie, et susceptibles de répondre à des besoins conjoncturels. Il occupe un poste bien défini et fait figure d’expert dans son domaine. La gendarmerie compte une cinquantaine d’officiers commissionnés exerçant une expertise scientifique. Fort de cette diversité de voies de recrutement, le gestionnaire évolue d’une gestion pour tous à une gestion de chacun dans un domaine stratégique, afin de faire évoluer et progresser sa ressource scientifique.
La formation continue, une offre de montée en compétence tout au long du parcours
Toujours dans cette démarche d’acculturation de masse en première approche, l’objectif est d’abord d’élever le niveau de tous, dans une logique de prise de conscience collective. En partenariat avec l’Institut Montaigne et OpenClassroom, leader européen des plateformes de formation en ligne, la gendarmerie a élaboré deux Mooc destinés à l’ensemble du personnel, visant à mieux appréhender en quelques heures les potentialités et les applications de l’intelligence artificielle.
De façon plus individualisée, la formation continue représente un effort conséquent de l’institution pour accompagner la montée en compétence de ses cadres, en temps plein comme en temps partiel. La gendarmerie tire de son ancrage militaire des parcours d’officiers jalonnés par l’enseignement militaire supérieur (EMS). Réformé en 2017, celui-ci offre désormais aux officiers le choix dans un catalogue de scolarités civiles, en complémentarité avec l’École de guerre. Parmi celles-ci, l’Executive Master de l’École polytechnique, des masters spécialisés de CentraleSupélec ou l’Executive Master Digital Humanities dispensé par Sciences Po Paris. Plus tard dans la carrière, les futurs cadres dirigeants sont amenés à suivre des modules tels que le cycle IA de l’IHEMI (Institut des hautes études du ministère de l’Intérieur), l’Institut des hautes études pour la science et la technologie (IHEST) et le cycle international de l’Institut des hautes études pour l’innovation et l’entreprenariat (IHEIE).
Dans une dynamique de valorisation des compétences, les officiers qui le souhaitent peuvent également dès le grade de lieutenant s’engager dans la voie de l’enseignement militaire supérieur scientifique et technique (EMSST). Après une scolarité au sein de diverses écoles d’ingénieurs, ils obtiennent un master spécialisé qui les conduira à tenir des postes dans un domaine de haute qualification ou d’expertise, en réponse à des besoins identifiés dans les branches métiers « systèmes numériques et traitement de la donnée », « criminalistique », « aéronautique » et « cybersécurité ».
Enfin, la gendarmerie adopte une posture incitative d’accompagnement vers un parcours doctorant, qui vise à soutenir les officiers et sous-officiers souhaitant acquérir une expertise, tout en promouvant la recherche relative aux questions de sécurité. Dans le même esprit, des dispositions similaires sont prises pour aider les militaires titulaires d’un doctorat à postuler pour le diplôme « habilitation à diriger des recherches » (HDR).
L’architecture globale de la formation continue permet, au-delà de l’acquisition personnelle de nouvelles compétences, de valoriser l’ensemble des postes tenus et de jalonner les parcours professionnels dans une dynamique de progression fonctionnelle régulière et continue.
La gestion prévisionnelle des emplois, des effectifs et des compétences (GPEEC)
Si ces environnements scientifiques sont volatils et évolutifs par nature, la nature des postes occupés l’est tout autant. En première lecture, et afin d’évaluer le besoin, la cartographie des postes scientifiques, préalable à l’ambition d’une GPEEC, distingue trois types de postes sur lesquels peuvent évoluer les officiers scientifiques.
D’abord des postes d’expert, répondant à la maîtrise d’une compétence de haut niveau dans un domaine scientifique très précis. Ils développent sur le moyen terme (huit-dix ans) une expertise spécifique, par exemple l’inscription en qualité d’expert criminalistique près la cour d’appel. Le parcours du général Éric Freyssinet (X92), docteur en informatique, illustre ce profil tout dédié à l’expertise cyber au gré de ses affectations au département informatique-électronique de l’IRCGN (Institut de recherche criminelle de la Gendarmerie nationale), à la tête du pôle national de lutte contre les cybermenaces, de second du ComCyberGend et de directeur scientifique au sein du cabinet de la direction générale de la Gendarmerie nationale (DGGN).
Ensuite des postes de cadres à haute qualification, répondant aux nécessités de spécialisation dans des domaines scientifiques clés ainsi que dans des postes de commandement de structures d’expertise ou de technicité, comme le service des technologies et des services d’information de la sécurité intérieure (ST(SI)2) ou le PJGN (pôle judiciaire de la Gendarmerie nationale). Ces emplois s’inscrivent dans une logique de parcours professionnels mêlant à la fois connaissances techniques et expériences opérationnelles, avec des compétences scientifiques reconnues. C’est le cas par exemple de l’actuel chef de division technique du ComCyberGend, le colonel Nicolas Duvinage (X95), qui commandait précédemment la gendarmerie du Finistère (29) après un passage à la tête du Centre national de lutte contre les criminalités numériques (C3N).
Enfin des postes de cadre généraliste, répondant à l’objectif plus global d’irrigation d’une pensée scientifique permettant, dans les unités ou en état-major, d’accompagner la transformation numérique et de favoriser la culture de l’innovation. L’objectif principal est de disposer d’un vivier de généralistes capables de s’engager sur des questions en rapport avec la science. Un officier occupant des fonctions de commandant de compagnie de gendarmerie départementale, garant de la déclinaison des politiques de sécurité sur un arrondissement, décèlera ainsi plus aisément toute la potentialité de l’avènement d’une smart city sur sa circonscription, tout en ayant conscience du cadre juridique et de ses limites. De la même manière, ce degré de sensibilité est indispensable, par exemple, au chef territorial comptant sur sa circonscription le cluster de Saclay ou la technopole Sophia Antipolis. Le parcours du colonel Philippe Mirabaud (X95) constitue un exemple illustratif : après le commandement de la gendarmerie du Nord (59) et avant de prendre celui de la gendarmerie des transports aériens, il a occupé les fonctions de conseiller gendarmerie du ministre de l’Intérieur, cumulant par la même occasion le portefeuille des technologies et du numérique, fruit d’une appétence particulière développée sur de précédents postes dans ce périmètre.
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Une conjugaison de compétences
Dans un environnement missionnel en constante évolution (menaces protéiformes, avancées technologiques, attentes interministérielles, etc.), la gendarmerie se place dans une dynamique d’anticipation, d’innovation et de plasticité en guidant le développement de ses cadres sur le temps long. La démultiplication et la dispersion des champs de compétence autorisent de multiples combinaisons, comme en témoignent les attendus pour servir au service central du renseignement criminel, exigeant la conjugaison d’habilitations en police judiciaire, d’aptitudes numériques et d’expérience du traitement du renseignement. Tous les bouquets de compétences comportent une porteuse numérique, plus ou moins prononcée, mais désormais indispensable.
Afin de disposer des potentiels humains suffisants pour suivre et mener ces évolutions structurelles, il s’agit de casser la linéarité des parcours et de construire des carrières plus flexibles reposant sur le triptyque « formation académique / expérience acquise dans les postes occupés / formation continue ». Les parcours professionnels dans le domaine scientifique sont construits dans un esprit de transversalité, facteur clé de succès. Ils offrent ainsi une garantie de sédimentation des savoirs et d’enrichissement des expériences par des approches diversifiées. Sortant d’une approche en silo, l’officier épouse un parcours dual, alternant des temps opérationnels sur des postes de cadre généraliste, qui constituent également des temps d’inspiration, où il peut exercer des commandements, et des temps d’environnement sur des postes de cadre à haute qualification technique ou des postes d’expert chez des employeurs différents, en structure intégrée comme en mobilité extérieure.
“Pour la Patrie, l’Honneur et le Droit !”
Cette stratégie de gestion posée, l’adhésion du personnel pour s’inscrire dans ces parcours exige de lui donner accès à l’information et de lui offrir une capacité de projection. Cette ambition du plan de transformation RH mobilise pleinement ces nouveaux talents et met en action des leviers numériques. Dans le sillage de la révolution numérique, la gendarmerie poursuit sa transformation afin de conjuguer ses forces humaines au rythme des évolutions de la société et en adéquation avec les attentes croissantes de nos concitoyens, pour demeurer en symbiose avec les enjeux de sécurité de notre temps. Consciente que ses succès de demain résideront dans sa capacité à réagir et à s’adapter, l’offre de gestion doit déceler, développer et valoriser nos talents numériques, pour les fidéliser au sens donné à leur engagement : « pour la Patrie, l’Honneur et le Droit ». Cette équation de valeurs, qui donne à la gendarmerie sa devise, n’est pas exclusive des Sciences, ni de la Gloire.