Richard Strauss : Ariane à Naxos
Ariane à Naxos est l’opéra composé par Strauss juste après Le Chevalier à la rose. Comme celui-ci, il est dans un style bien plus accessible que les deux opéras qui l’ont précédé, Elektra et Salomé, et particulièrement original. Le prologue met en scène un Compositeur qui se fait imposer jusqu’à la mort, par un commanditaire ignare et pressé, de mélanger son opera seria, qui relate les lamentations d’Ariane abandonnée sur l’île de Naxos par Thésée, avec un opéra bouffe faisant intervenir les personnages de la commedia dell’arte. Puis l’opéra lui-même mélange effectivement l’appel à la mort d’Ariane, puis son chant d’amour avec Bacchus venu la sauver, avec les amourettes de Zerbinette, Scaramouche et Arlequin. Cette trame est le support d’une des plus belles musiques de Strauss et d’un des plus fins textes de son librettiste de l’époque, le grand dramaturge Hugo von Hofmannsthal.
L’opéra créé à Vienne est devenu un classique viennois. Cette soirée viennoise présentée sur ce DVD est donnée à l’occasion du cent cinquantième anni-versaire du compositeur en 2014. La mise en scène est inventive (le compositeur accompagne au piano le grand air de Zerbinette par exemple) et contrastée comme il est nécessaire pour ce mélange de commedia dell’arte et de drame romantique.
Musicalement, c’est somptueux, à tous points de vue. Les quatre artistes principaux (Ariane, Bacchus, Zerbinette, le Compositeur) sont absolument exemplaires.
Le regretté Johan Botha, tombé malade un an après ces représentations, joue un Bacchus héroïque, malgré la musique maniérée que Strauss attribue à ses ténors. En effet le compositeur donne toujours aux personnages masculins qu’il aime une tessiture grave (Oreste, Iokanaan, Mandryka…) et confie le rôle de ténor à des personnages mièvres ou faibles (Hérode, Égisthe, et ici Bacchus…). La soprano finlandaise Soile Isokoski qui chante ici magnifiquement Ariane s’est retirée de la scène peu après également.
En Zerbinette, la jeune et pimpante Daniela Fally, dont les coloratures vertigineuses semblent couler sans effort de sa gorge, est brillante, alliant une grande souplesse avec une coquetterie désinvolte. Et la mezzo française Sophie Koch est remarquable dans le rôle du Compositeur qui est un de ses plus grands rôles. Le reste de la distribution est le meilleur standard viennois.
Pourtant, la star de la soirée est sur le podium : Christian Thielemann est considéré à juste titre comme un des meilleurs chefs d’orchestre straussiens aujourd’hui et dirigeait paradoxalement Strauss ce soir-là pour la première fois à l’Opéra de Vienne. Même les premières mesures élastiques du prélude montrent la voie de l’extrême transparence que le chef a choisie. Aucun détail n’est négligé et il faut admirer la tension qu’il retire d’un orchestre de 35 musiciens. En effet son orchestre, léger et « chambriste », est très bien enregistré. Par exemple les bois qui indiquent les sensations et les émotions (le désir de Zerbinette…) enveloppent parfaitement les chanteurs.
On a souvent vanté dans ces rubriques comment le DVD permet désormais de ressentir chez soi des émotions qui se rapprochent du concert. Voir les musiciens, le chef d’orchestre, le public apporte une sensation de réalisme que n’offrait pas le disque. Et naturellement pour l’opéra l’apport du DVD est encore plus remarquable. Profiter de la mise en scène et du jeu des acteurs dans des décors pensés pour le spectacle est irremplaçable. Cette production d’Ariane à Naxos de Strauss à Vienne en 2014 en est un parfait exemple.
S. Isokoski, J. Botha, D. Fally, Opéra de Vienne, Christian Thielemann
1 DVD ou 1 Blu-ray Arthaus