Richard Wagner : Rienzi
Un difficile challenge à relever, et une réussite totale. Voilà un des spectacles les plus intelligents qu’il nous ait été donné de voir depuis longtemps (au niveau des Troyens au Châtelet, ou des Noces de Figaro à Covent Garden, il y a près de dix ans tout de même).
Rienzi, ou le Dernier des tribuns est le troisième opéra de Richard Wagner. En fait on ne joue plus Les Fées et la Défense d’aimer, c’est donc le plus ancien des opéras encore joués, même s’il est infiniment moins représenté que les suivants. Les quatrième et cinquième opéras, Le Vaisseau fantôme et Tannhäuser ont, eux, à peu près la même popularité que tous les opéras de la maturité.
Évidemment, on n’est pas ici au niveau des dix grands opéras de Wagner, le compositeur l’ayant suffisamment renié, comme les deux précédents, pour l’interdire à Bayreuth. Certains y voyaient même le « meilleur opéra de Meyerbeer », indiquant par là avec ironie ce qu’il doit au « grand opéra » français.
Mais, tout de même, Wagner est là en germe, passionnant pour l’amateur qui verra ici une représentation de cet opéra rare dans des conditions optimales, et qui s’amusera à retrouver les éléments fondateurs du wagnérisme à venir : leitmotiv (quelques-uns), mélodie continue, dramatisme, quelques airs, etc.
Et quelques moments de vraiment grande musique, comme le chœur et toute la fin de l’acte III.
Le thème de l’opéra est l’ascension et de la chute d’un dictateur à Rome au XIVe siècle. Comme ses prédécesseurs à Rome, Auguste (chez Corneille) et Titus (chez Mozart), il pardonne aux conjurés. Il refuse d’être fait roi mais se fait nommer « protecteur des droits du peuple » et prend un titre issu de l’antiquité, « tribun » (populisme rendant l’analogie inévitable avec d’autres dictateurs du passé).
Philip Stolzl a décidé de le représenter dans le ton de Chaplin, Rienzi ayant les comportements successivement de Hynkel et Benzino Napaloni (dans Le Dictateur), dans un univers souvent orwellien. Les allusions sont à la fois très fines et très claires, comme ce dictateur écoutant l’Ouverture (de Rienzi, bien sûr, pas celle de Lohengrin comme dans le film) dans son bureau ressemblant au Kehlsteinhaus, et jouant avec le globe terrestre.
Évidemment, tout est mis en scène pour que l’on fasse le parallèle. Les allocutions entraînantes du tribun aux Romains sont représentées sous forme de discours publics exaltants, les discussions de Rienzi avec ses lieutenants sont mises en scène dans un quartier général sous un bunker…
Le metteur en scène donne une visibilité plus importante à deux rôles secondaires, pour illustrer l’ascension des collaborateurs de la première heure de Rienzi, et ainsi rappeler une des caractéristiques de ces régimes, le népotisme et la promotion des vils partisans. Ce qui se passe sur scène (nombreux discours de Rienzi, notamment) est souvent projeté à la façon d’images d’archives, ressemblant à la fois aux images de l’époque et au film de Chaplin.
Sans coupures, l’opéra serait le plus long de Wagner (et pourtant Le Crépuscule des dieux dure déjà quatre heures trente). La production filmée ici dure tout de même près de trois heures, les coupures concernant surtout les trois derniers des cinq actes. Naturellement, l’opéra de Wagner n’a rien d’un plaidoyer profasciste. Au contraire, Wagner et l’auteur dont il s’est inspiré ont été marqués par la révolution bourgeoise de 1830 en France et ses conséquences en Europe.
Reste l’ambiguïté née de l’antisémitisme de Wagner et de la récupération de ses opéras, et notamment celui-ci, par le régime nazi, qu’il serait trop long de commenter ici. Ce qui rend subtile et complexe la façon dont cette production joue sur le second degré.
Rarement monté, cet opéra mérite pourtant d’être joué. Les qualités nombreuses de ce DVD (le Blu-Ray est superbe), mise en scène et décors, interprétation musicale, image et son, nous en donnent l’occasion dans les meilleures conditions.