Risque et performances du private equity
Les performances de la classe d’actifs en Europe et aux USA
Examinons d’abord les chiffres de rentabilité financière.
Le tableau ci-contre met en exergue plusieurs spécificités :
-
Le private equity est une classe d’actifs très rentable. C’est un investissement peu liquide qui requiert donc une » prime de risque » par rapport aux actifs traités sur les marchés. De plus, contrairement aux marchés financiers obéissant à la loi de » l’information parfaite « , le vaste marché du non-coté permet des investissements très attractifs qui ne sont pas immédiatement » arbitrés » par un nombre considérable d’analystes financiers.
- Les performances américaines sont globalement supérieures à celles constatées en Europe. Ceci est vrai surtout jusqu’à 1994–1995. À partir de cette période, l’Europe continentale a commencé à se professionnaliser, et à recourir à des modèles d’investissement moins passifs (participations majoritaires, volonté de contrôler les managements des entreprises, de maîtriser les cessions, etc.).
-
Les performances affichées des fonds de private equity sont négatives ou très peu élevées lorsque ces fonds sont récents (moins de quatre ans). La totalité des fonds levés dans un FCPR étant investie sur une période de trois à cinq ans, le rendement des millésimes récents subit le double effet de » la courbe en J » :
1) pendant les premières années, les capitaux ne sont pas totalement appelés. La valeur liquidative supporte néanmoins le coût des commissions de gestion calculées en pourcentage de l’ensemble des fonds levés, entraînant ainsi une charge disproportionnée ;
2) l’application du » principe de prudence » dans la valorisation du fonds conduit à provisionner les moins-values potentielles sans pour autant constater, sur des périodes courtes, les plus-values, tant qu’une cession ou un tour de financement ultérieur n’a pas eu lieu.
Les performances affichées des fonds jeunes ne sont donc guère significatives (ici 1996 à 2000).
-
Les millésimes ont un fort impact sur les rentabilités : par exemple, aux États-Unis, les années 1990, puis 1992 à 1994 sont bien meilleures que les années 1988, 1989 et 1991. L’environnement macroéconomique et financier joue surtout sur les valeurs d’entrée, et partiellement sur les valeurs de sortie, car il est un peu plus facile de retarder une cession si les conditions ne sont pas favorables, que de retarder un bon investissement.
-
Les écarts types intrapériode (fonds de même millésime) sont importants, comme en témoigne l’écart entre le quartile supérieur et le quartile inférieur : en comparaison avec les gérants d’actifs cotés, il y a plus de différence entre les bons et les mauvais capital investisseurs. La raison essentielle en est encore que ceux-ci n’opèrent pas dans un marché » d’information parfaite « , et que la qualité des équipes, de l’organisation et des moyens influe considérablement sur les résultats.
Le risque et la rentabilité par catégorie de private equity
En très forte croissance, le private equity s’est imposé ces dernières années comme une nouvelle classe d’actifs aux côtés des placements plus traditionnels que sont les obligations et les actions cotées. Les flux ont quasiment décuplé en cinq ans en Europe. Le marché se scinde en plusieurs segments qui correspondent aux phases de création, de développement ou de transmission d’entreprises. Les équipes se spécialisent généralement selon la segmentation suivante :
- capital-risque (investissement dans des jeunes sociétés en phase de démarrage) ;
- capital développement (injection de capital dans des sociétés en croissance) ;
- capital transmission (rachat d’une société, d’une division de grand groupe…, plus connu sous le vocable LBO) ;
- financement mezzanine (financement intermédiaire entre le prêt bancaire et l’investissement en capital, généralement matérialisé par des obligations avec bons de souscription d’actions).
On trouve aussi des équipes spécialisées qui se focalisent sur le redressement d’entreprises en difficulté (retournement), les entreprises de taille moyenne, ou au contraire de très grande taille, les retraits de la cote de sociétés à fort potentiel (« public to private »), etc.
Selon la catégorie de métiers, les performances et les risques peuvent être fort différents.
Les classes risquées sont naturellement les plus rentables, la contrepartie de la performance étant un écar type plus important, aussi bien intra que interpériodes.
Quelle gestion du risque ?
Il existe des outils plus ou moins sophistiqués qui permettent à un investisseur de gérer le risque lié à un investissement dans cette classe d’actifs un peu particulière.
1) Investir dans les meilleurs fonds. Ceci implique de choisir la meilleure équipe de gestion, ce qui représente un travail d’analyse (« due diligence ») lourd. Depuis presque une quinzaine d’années sont nés aux États-Unis des spécialistes de la sélection dans ce métier : les gatekeepers. Le choix d’investissement résulte généralement de l’étude des facteurs suivants : stratégie d’investissement, équipe, moyens et organisation. Les gatekeepers s’attelleront à étudier en détail le track-record des hommes, c’est-à-dire leurs performances passées. Ils passent au crible chacun des investissements en portefeuille et s’assurent de la pérennité des équipes en étudiant les rémunérations, la participation de chacun aux profits réalisés, les conflits d’intérêts potentiels, etc.
Plus qu’ailleurs dans les métiers de l’investissement, une prime est donnée ici à l’ancienneté des maisons de gestion. De 1998 et 2000, de nombreux groupes se sont constitués, attirés par les perspectives de rentabilité du marché, mais on assiste aujourd’hui au mouvement contraire, après qu’une bonne partie des nouveaux entrants ont subi les contrecoups du marché.
2) Investir au travers de fonds de fonds : il s’agira ici aussi de choisir les meilleurs fonds de fonds. Ceux-ci garantissent une meilleure diversification du risque en lissant les écarts intragroupe et aussi interannées. Prenons l’exemple d’un investisseur qui dispose de 10 millions d’euros à investir dans la classe d’actifs. Compte tenu des » tickets d’entrée » élevés dans les fonds, il ne pourra pas choisir plus de deux ou trois fonds (la plupart des fonds européens exigent un minimum de 5 millions d’euros). Au travers d’un fonds de fonds, il pourra investir dans un nombre beaucoup plus élevé d’équipes et donc de stratégies.
Les fonds de fonds peuvent être cotés, réduisant ainsi le risque de liquidité inhérent au métier. En pratique, la liquidité de ce genre de produit est faible : un fonds de fonds est une holding de holdings de sociétés non cotées ! Il souffre donc du problème de décote fluctuante, classiquement lié aux holdings en Bourse. Après l’éclatement de la bulle financière en 2000, certains fonds cotés, spécialisés dans le secteur technologique, ont été valorisés à hauteur du cash dans leurs livres, toutes les participations étant donc évaluées à zéro ! En apportant une réponse au risque de liquidité, on subit le risque des fluctuations de marché…
Il est aussi possible d’investir dans des fonds secondaires. Présents sur un marché en fort développement, les fonds » secondaires » rachètent à des investisseurs des portefeuilles de sociétés (ou de participation dans des fonds). Les cédants cherchent pour diverses raisons à rendre liquides leurs investissements (surallocation à la classe d’actifs, gestion bilantielle, stratégie, etc.). Les acteurs de ce marché créent des véhicules avec des retours d’investissement rapides du fait qu’ils reprennent des portefeuilles arrivés à maturité. Ils réduisent également ainsi considérablement l’effet de la courbe en J.
Fonds de mezzanine (performance annuelle par millésime de création au 31 mars 2001) |
|||
EUROPE | |||
Moyenne | Quartile sup | Quartile inf | |
1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 |
‑0,2 12,1 9,0 8,9 9,6 16,1 12,4 2,3 22,8 |
3,7 15,7 11,8 19,4 30,9 8,2 26,7 4,4 24,5 |
‑5,1 ‑4,3 9,6 ‑3,5 1,0 3,0 0,7 ‑4,0 1,9 |
Source : Venture Economics (TFSD)/NVCA. |
3) Les produits issus de la titrisation. La titrisation consiste à fabriquer des groupes de titres adossés à un pool d’actifs, chaque groupe (ou tranche) ayant des droits et des risques différents, et à céder ces actifs » repackagés « . Le remboursement des titres repose sur les cash-flows générés par le pool d’actifs.
Dans le cas qui nous concerne, l’actif est un ensemble de parts dans différents fonds de private equity.
Le passif est composé d’au moins une tranche » junior » ou » subordonnée » et d’une tranche » senior « . Parfois, le nombre de tranches peut être beaucoup plus important : 5 à 6, voire plus.
La tranche la plus junior est la moins protégée si les performances des actifs sont mauvaises ; en revanche, c’est aussi celle qui fait le plus de bénéfices quand leur rendement est bon. On pourrait qualifier cette tranche de private equity concentré, aussi bien en termes de risque que de rendement.
La tranche la plus senior se présente sous la forme de produits obligataires. La rémunération est un taux fixe, avec ou sans participation dans la rentabilité des actifs sous-jacents. L’investisseur ne profite donc pas entièrement de cette rentabilité. Ceci se justifie par le fait qu’il ne subit pas le risque de perte en capital.
Entre les deux tranches précitées, on a vu se monter des obligations convertibles : leur détenteur retrouve normalement sa mise en cas de performance faible, mais bénéficie aussi d’une partie de la hausse si les actifs se révèlent performants.
La valeur ajoutée de la titrisation repose en partie sur les techniques de rehaussement du risque qui permettent de » fabriquer » des titres obligataires avec un bon rendement. Ces techniques incluent :
- la minimisation du taux de défaut des actifs sous-jacents par une politique d’investissement et de diversification adéquate,
- le surdimensionnement (émission de parts subordonnées supportant en priorité le risque de défaut des actifs),
- la constitution de fonds de réserve,
- la couverture par une garantie pouvant être donnée par un assureur, etc.
L’Europe est en avance sur ce genre de produit, et cette technique pourrait devenir une source importante de capitaux pour le private equity, venant aussi bien d’investisseurs institutionnels contraints par leurs réglementations spécifiques, que de personnes physiques.