Risques littoraux, l’exemple du Pas-de-Calais
Au début des années 1990, c’est l’érosion du trait de côte particulièrement marquée qui focalise l’attention des acteurs du territoire, notamment le conseil régional et le syndicat mixte de la Côte d’Opale. Cette prise de conscience aboutit, en 2003, à la réalisation du Plan littoral d’actions pour la gestion de l’érosion. Faute de maître d’ouvrage, ce plan d’actions ne verra cependant pour ainsi dire aucune de ses propositions se concrétiser.
REPÈRES
De la frontière belge à la baie de Somme s’étend le littoral du Nord-Pas-de-Calais. Sur ces 140 kilomètres de côtes, la diversité des littoraux rencontrée est exceptionnelle : longues plages et dunes des Flandres, falaises de craie du Boulonnais, estuaires de la Slack, du Wimereux, de la Canche, de l’Authie.
Au sein de ce patrimoine naturel remarquable, les pressions anthropiques sont cependant nombreuses. Près de 800 000 personnes résident sur le littoral et les zones basses arrière littorales, faisant de la Côte d’Opale la deuxième frange côtière la plus dense de France. Par ailleurs, 40 % des côtes sont occupées par des infrastructures portuaires et des ouvrages de protection contre la mer.
Les risques de submersion
Au début des années 2000, les différents rapports du Groupement intergouvernemental d’experts sur le climat (GIEC) mettent en évidence un autre risque : la hausse prévisible du niveau moyen de la mer et son corollaire, l’aggravation des risques de submersion marine pour les territoires littoraux.
Une zone de polders quadrillée par un réseau hydraulique
La topographie particulière du littoral Nord-Pas-de-Calais semble alors un facteur supplémentaire de vulnérabilité à ces changements qui s’annoncent. Dans un triangle situé entre Dunkerque, Calais et Saint-Omer s’étendent près de 800 km2 de zones progressivement gagnées par la mer depuis le Moyen Âge. Ces terres agricoles, parmi les plus productives de France, se trouvent ainsi pour la plupart en dessous du niveau de mer atteint lors d’une marée de fort coefficient.
Cette zone poldérisée (les wateringues) est quadrillée par un vaste réseau hydraulique qui permet d’évacuer les eaux continentales lors des marées basses.
Un programme d’études
En 2005, le préfet de région commande un rapport interne sur l’exposition du territoire aux risques de submersion marine et sur l’évolution de ces risques due aux changements climatiques annoncés. Le rapport conclut à l’absence de risque (assertion qui se révélera erronée) mais préconise d’étudier plus précisément l’impact du changement climatique sur la région, en s’inspirant notamment de la prise de conscience néerlandaise face à cette problématique.
Un programme d’études est lancé en 2006. Piloté par la direction régionale de l’environnement, réparti entre les différents services de l’État en région, il débute par une synthèse bibliographique qui complète le rapport de 2005 et une étude régionale des effets du changement climatique sur le niveau de la mer. Les mesures locales corroborent les tendances observées au niveau mondial, avec une hausse observée de 15 à 30 cm par siècle dans le détroit Manche-mer du Nord.
Une campagne topographique
Simuler les tempêtes
Aboutissement du programme d’études, une étude hydrodynamique est lancée en 2009 pour simuler les effets de tempêtes sur le littoral, dans les conditions actuelles et pour différents scénarios d’évolution du niveau moyen de la mer. Comme dans toute étape de modélisation nécessitant un calage, un travail approfondi de recherche d’événements historiques est mené. Les archives révèlent alors l’exposition régulière du littoral régional à des tempêtes majeures depuis le Moyen Âge, provoquant des ruptures d’ouvrage et l’inondation de plusieurs dizaines d’hectares de terres littorales. L’absence d’événement majeur depuis cinquante ans dans la région a cependant effacé le souvenir et la perception de ces risques.
S’ensuit une campagne d’acquisition topographique de grande ampleur.
Sur les 1 200 km2 de littoral et de zones basses, l’altitude du territoire est depuis 2009 connue à 10 cm près, précision indispensable sur un territoire où l’écart entre le point le plus haut et le plus bas est de l’ordre d’une dizaine de mètres. Le programme se poursuit par une inspection de l’ensemble des protections littorales contre la mer, qu’elles soient naturelles (dunes) ou artificielles (digue et perré). Le constat est alors inquiétant, mais il recoupe celui apporté par le plan de 2003 : près de 90% des cordons dunaires et 25% des ouvrages artificiels nécessitent une intervention à court terme, voire en urgence.
Une grande fragilité
D’abord prospectif et focalisé sur l’étude du changement climatique, le programme d’études dévoile progressivement la fragilité actuelle du littoral régional. Les résultats obtenus sont, en conséquence, portés à la connaissance des acteurs du littoral lors de réunions annuelles présidées par le préfet de région. Fin janvier 2010 sont présentés les résultats de l’inspection des ouvrages de défense et l’analyse historique des tempêtes. La prise de conscience qui pouvait être attendue de la présentation de ces éléments ne se produit pas à ce moment, mais l’actualité mettra peu après au coeur du débat la prévention des submersions marines.
Les conséquences de Xynthia
La tempête Xynthia s’est produite le 28 février 2010. Le lendemain, nombreux sont ceux qui découvrent la violence des phénomènes et l’exposition particulière de certains territoires en France. Les médias relaient les cartes des zones basses en France, qui font apparaître la région Nord-Pas-de-Calais comme l’une des plus exposées à ces phénomènes.
Les ouvrages de protection sont systématiquement considérés comme défaillants
Le gouvernement ne tarde pas à prendre des mesures conservatoires : début avril, une circulaire demande aux préfets des départements littoraux d’interdire toute construction dans les zones situées un mètre en dessous des niveaux de mer atteints lors d’une tempête donnée. Cette instruction conduisant, dans la région Nord-Pas-de-Calais, à geler toute urbanisation du littoral jusqu’à Saint-Omer, agglomération située à près de 40 kilomètres de la côte, les services de l’État accélèrent le rythme de l’étude hydrodynamique pour avoir au plus vite des résultats sur l’exposition réelle du territoire aux submersions marines. Les hypothèses de simulation n’ont cependant plus le temps d’être concertées, notamment celles qui sont relatives à la prise en compte des ouvrages de protection, systématiquement considérés comme défaillants.
Une concertation limitée
Ces premiers résultats seront présentés aux élus du littoral en octobre 2010, dans un contexte particulièrement peu propice à une communication sereine sur la gestion des risques. Le zonage effectué en Vendée et Charente-Maritime pour l’acquisition, voire l’expropriation des maisons les plus exposées est en effet en toile de fond des cartographies réalisées dans la région Nord-Pas-de-Calais. La communication des résultats, auparavant largement diffusés auprès de l’ensemble des acteurs du littoral, est désormais restreinte aux seuls élus du littoral. La concertation et les débats sont en conséquence limités, le partage et l’enrichissement mutuel des connaissances entre les acteurs du littoral sont mis entre parenthèses. Cette première diffusion restreinte octroie néanmoins un peu de sérénité pour les services de l’État. Les priorités nationales sont respectées, et les premiers éléments produits, même perfectibles, sont bien plus réalistes que l’approche topographique préconisée dans la circulaire du mois d’avril 2010. Les événements de Vendée et de Charente-Maritime, encore dans les esprits, facilitent par ailleurs la réception par les élus du discours de prévention tenu par les services de l’État.
Un « Plan digues »
Équilibrer le triptyque « échéance, scénario, recommandations »
Ce contexte est mis à profit au niveau local et national pour repenser la gestion de ce risque particulier. Différents chantiers sont lancés au niveau national, regroupés au sein du « Plan submersion rapide », connu du grand public sous le nom de « Plan digues ». Est notamment prévue la révision du guide d’élaboration des plans de prévention des risques littoraux, la version antérieure remontant à 1997. Le programme de travail lancé en région Nord-Pas-de-Calais inspirera en grande partie certaines productions nationales : méthode d’inspection des ouvrages de défense contre la mer, lancement d’une campagne d’acquisition topographique de grande ampleur, prise en compte des ouvrages de défense, méthode dynamique de caractérisation des aléas de submersion marine.
La refonte des guides nationaux
Durant cette période, favorable à la remise à plat de la prévention de ces risques, l’élaboration de la stratégie nationale d’adaptation au changement climatique permet d’intégrer la hausse prévisible du niveau moyen de la mer dans les travaux de refonte des guides nationaux.
Une servitude d’utilité publique
Dans la région Nord-Pas-de-Calais, l’approbation des plans de prévention des risques littoraux est prévue pour fin 2014. Ils vaudront alors servitude d’utilité publique, seront annexés aux plans locaux d’urbanisme (PLU) réalisés par les communes, seront pris en compte dans les schémas de cohérence territoriaux (SCOT).
Objectif initial du programme prospectif lancé en Nord-Pas-de-Calais, la caractérisation des effets du changement climatique prend alors une dimension réglementaire, beaucoup plus politique. Les débats portent sur l’équilibre du triptyque suivant : échéance (2050 ou 2100) – élévation du niveau de la mer (scénario à retenir) – implications réglementaires (recommandations, prescriptions, interdictions). Une hypothèse trop pessimiste associée à des contraintes réglementaires strictes contraindrait fortement le développement des territoires littoraux, parmi les plus attractifs de France. Inversement, si l’on est trop optimiste sur le scénario ou trop lâche sur le règlement, les objectifs de prévention et d’adaptation ne seront sans doute jamais atteints.
Un relèvement des niveaux critiques
In fine, l’intégration du changement climatique sera décidée dans les plans de prévention des risques de submersion marine, via différents ajouts. On relève de 20 cm les niveaux marins actuels de tempête, définition des aléas actuels à laquelle est associé un règlement strict similaire à ceux utilisés dans les autres plans de prévention des risques d’inondation. Le principe est l’inconstructibilité de toute zone exposée à des aléas forts (hauteur d’eau supérieure à 1 m ou vitesse de submersion importante) et des zones non urbanisées, quel que soit l’aléa, ainsi que la constructibilité sous réserve de prescription en zones urbanisées soumises à des aléas faibles ou moyens. On ajoute 60 cm aux niveaux marins actuels de tempête, définition des aléas à l’horizon 2100, représentant l’hypothèse médiane de l’ONERC, jugée pessimiste (entre optimiste et extrême). À cette définition des aléas est associé un règlement légèrement plus permissif que celui des zones exposées à un aléa actuel. À titre d’exemple, les zones urbanisées soumises à un aléa fort en 2100 restent constructibles moyennant prescription et dès lors que l’aléa actuel n’est pas fort.
Pour une stratégie globale
Sangatte, inspection des ouvrages de protection.
Ces mesures de prévention par l’urbanisme sont donc les premiers éléments de la stratégie française d’adaptation au changement climatique. Les expériences belges et néerlandaises montrent cependant que d’autres axes de travail restent à explorer, notamment l’évolution des dispositifs de protection, la réduction de la vulnérabilité des constructions, axes sur lesquels la France peine déjà à prendre en compte les aléas actuels.
En comparaison avec les Pays-Bas, par exemple, la France accuse un retard et un manque d’ambition certains : 500 millions d’euros ont été budgétés jusqu’en 2015 (soit dix fois moins qu’aux Pays-Bas) pour une stricte remise à niveau des digues, dans le cadre du « Plan submersion rapide » mis en place par le gouvernement suite à Xynthia.
Un appel à projet d’un million d’euros a été lancé pour soutenir des initiatives de collectivités sur le recul stratégique, c’est-à-dire la possibilité de laisser la mer reconquérir certains espaces. Ces initiatives sont encore trop timorées pour préparer un pays dont 10 % de la population réside sur le littoral, avec 6000 kilomètres de côte.
Trois chantiers majeurs
La stratégie française d’adaptation à la montée du niveau de la mer ne pourra se limiter uniquement à des mesures de prévention qui ne traitent pour le moment qu’une partie du problème, la non-aggravation du risque. Pour mettre en sécurité les enjeux humains et économiques déjà implantés et qui feront face dans quelques décennies à la montée du niveau de la mer, trois chantiers majeurs semblent donc inéluctables.
Associer des solidarités nationales aux obligations des riverains
D’abord, le renforcement de l’ingénierie et de l’expertise publique pour favoriser l’émergence de solutions innovantes et adaptatives.
Ensuite, une clarification, voire une redéfinition, des rôles et responsabilités de l’État et des collectivités en matière d’aménagement du territoire, de gestion du trait de côte, de construction et d’entretien des dispositifs de protection.
D’autre part, en lien avec cette clarification juridique, une redéfinition des participations financières de l’État, des collectivités et des riverains. Selon la loi du 16 septembre 1807, toujours en vigueur, le financement des dispositifs de protection contre les inondations incombe en effet aux propriétaires riverains. Si leur participation peut paraître légitime sous certains aspects, en concourant notamment à l’information et à la prévention (signal-prix dans les zones à risques), il semble néanmoins nécessaire d’y associer des solidarités nationale et locale.
Enfin, l’objectif de prévention et d’adaptation nécessiterait de repenser l’équilibre des financements entre indemnisation (garantie catastrophes naturelles) et prévention (fonds de prévention des risques naturels majeurs), actuellement nettement en faveur de l’indemnisation.
Vivre avec l’eau aux Pays-Bas
Aux Pays-Bas, l’exposition aux submersions est certes plus prégnante qu’en France. Avec le plan DELTA 2, les Néerlandais sont en train de développer une ingénierie de pointe dans le domaine de la protection littorale, et plus largement dans le domaine de l’eau : digues évolutives, maintien du trait de côte par réensablement, construction sur pilotis, réouverture contrôlée d’une partie du territoire pour laisser plus de place à la mer et aux rivières. Un milliard d’euros sera investi annuellement jusqu’en 2100 pour préparer les Pays-Bas aux défis du changement climatique, pour « vivre avec l’eau ». La répartition des rôles entre l’État et les différents niveaux de collectivité est de plus particulièrement claire, chaque niveau se voyant attribuer un niveau de compétences en adéquation avec ses moyens et ses intérêts. À l’État les grands travaux, aux waterscrapen l’entretien courant des ouvrages hydrauliques de second ordre.