Robert PIRON (37) 1916–2004
C’est à l’École polytechnique que j’ai connu Robert Piron qui devait devenir le mari de ma sœur Denise. Ce n’était pas un polytechnicien comme les autres, ceux qui avaient fait des études secondaires, passé leur bachot, et qui, s’ils étaient forts en math, se présentaient aux grandes écoles.
Robert est l’un des rares ingénieurs qui ont été élèves des Arts et Métiers puis de l’École polytechnique. Devenu un ingénieur de haut rang, il savait ce que c’était de » mettre la main à la pâte « .
Poussé par la limite d’âge, n’étant même pas bachelier, il lui avait fallu préparer son concours d’entrée en une seule année. Un drame devait encore le bouleverser dans son travail : son père Auguste Piron, directeur au Mans d’une école de formation du personnel des Chemins de fer, avait été assassiné par l’un de ses élèves, un déséquilibré qu’il avait essayé de protéger.
Malgré cela il est entré à l’X pour en sortir dans le corps des ingénieurs du Génie maritime.
Nous étions, comme cela se dit dans l’argot de l’École, » cocons de salle » et avons vite sympathisé. Je lui dois beaucoup car nous avons travaillé ensemble et il savait, quand je me mettais à rêvasser, me rappeler à la réalité.
Comme il n’avait pas de famille à Paris, nous le recevions à la maison. Un jour, alors que nous étions ensemble dans le train pour aller visiter la cathédrale de Chartres, je lui fais part de mon projet de faire avec ma sœur le tour des châteaux de la Loire. J’attendais sa réponse : Est-ce que je peux venir avec vous ? Naturellement oui !
Le reste s’est passé à bicyclette le long de la Loire alors que je roulais un peu en avant.
Ensuite il y a eu la guerre ; Robert devait partir en croisière sur la Jeanne d’Arc et naturellement la croisière a été décommandée. Les deux écoles d’application : Génie maritime, celle de Robert, et Artillerie navale, la mienne, ont été repliées à Lorient.
Un autre problème devait alors se poser, risquant de retarder l’union : la fiancée qui venait de passer son agrégation d’allemand était affectée au lycée de Saint-Quentin.
Le mariage a eu lieu à Lorient dans l’intimité, en octobre 1939. Les jeunes époux pouvaient se voir tous les week-ends à Paris mais c’est avec moi que Robert s’est mis en ménage. Il m’aimait bien mais il aurait préféré autre chose.
Ayant terminé son école d’application, il est affecté aux ateliers d’Indret près de Nantes où il est rejoint par son épouse enceinte accompagnée de sa mère. Elle avait quitté Saint-Quentin le 11 mai 1940 par le dernier train parti avant l’arrivée des Allemands.
Il n’a pas pu attendre la naissance de son enfant. Embarqué sur un navire chargé d’explosifs à destination du Maroc, naviguant dans une mer infestée de mines et sous la menace des avions allemands, il s’est retrouvé à Biscarrosse pour ensuite se rendre à Toulon.
Il n’a retrouvé que plus tard sa femme et son enfant, Hélène, déjà âgée de six mois.
Au cours de ses multiples déplacements pendant cette période troublée, il a été suivi, en plus de sa femme et ses deux enfants, par ses beaux- parents. Olivier est né à Lyon en 1942. Comme il était alors malsain et même dangereux de s’appeler Lévy ou encore de vivre sous une fausse identité, ce que ses beaux-parents ont bien été obligés de faire, il les couvrait de son nom prenant pour lui-même un risque certain.
Il devait me dire un jour que, s’il arrivait malheur à sa femme et à ses enfants, il entrerait dans les ordres. Grâce à lui, ce malheur a été évité. Isabelle et Vincent sont nés à Paris après la guerre.
Ce n’est pas au service de l’État mais dans la grande industrie métallurgique que Robert Piron devait donner toute sa mesure. Engagé à la Société lorraine de laminage continu (Sollac), il en est devenu l’un des directeurs. Son œuvre maîtresse est la construction des grands laminoirs de Thionville.
Signalons aussi ses études sur un minerai pauvre de Lorraine, la » minette « , qui auraient pu en permettre l’exploitation si des considérations générales d’économie n’en avaient décidé autrement.
Ses collègues, eux-mêmes de gros travailleurs dont il était aimé, étaient stupéfiés par sa puissance de travail.
Père de quatre enfants, grand-père, arrière-grand-père, ayant brillamment réussi sa vie professionnelle, après une longue et heureuse existence il s’est éteint paisiblement sans souffrances, entouré de l’affection de tous les siens.
Jean-Claude Lévy (37)
_________________________________________________
Quand dans les années cinquante, soixante je rejoignis, avec d’autres jeunes gens, la Lorraine pour participer à l’une des aventures industrielles les plus prestigieuses d’après-guerre, la construction de Sollac, fleuron de la Sidérurgie française, Robert Piron, qui était l’un des tout premiers » aventuriers « , avait déjà sa légende.
On savait que l’usine toute neuve, fruit du Plan Marshall, aurait la puissance électrique la plus moderne du monde de l’acier et que Robert Piron (X 37, mais aussi Gad’z’Arts, et G.M.) y consacrait ses jours et une bonne partie de ses nuits.
On le disait distrait, en fait, il ne l’était pas, mais tout entier concentré, aspiré, presque englouti par le problème qu’il avait à traiter.
Pendant toute sa vie industrielle, je ne l’ai jamais vu quitter, ne serait-ce que quelques instants, ce problème que dans trois cas :
- . pour sa famille – encore qu’elle devait se contenter de brèves présences,
- pour la musique,
- ou, plus souvent, pour un problème plus difficile.
Tenace, il ne l’abandonnait que résolu, et ses collaborateurs savent quelles recherches, quelles angoisses, quelles heures de dur travail il leur fallait affronter pour y arriver.
Et il n’y avait pas plusieurs solutions, mais une seule, la meilleure, la plus moderne. Il la traquait partout, et sans souci de l’heure ou de la date, sur le terrain, dans son bureau, en Europe, aux USA, au Japon.
Et c’est ainsi que Sollac (tant en Lorraine qu’à Fos-sur-Mer) finit par bénéficier, en électricité, en électronique, puis en informatique de ce qu’il y avait de mieux au monde industriel.
Et c’est ainsi, que la Lorraine, que les lois de l’économie condamnaient à ne plus être un producteur d’acier liquide, pouvait continuer encore de longues années à rester dans la course.
Reconnaissance de ses pairs, après la direction générale de Sollac, le président de Sacilor de l’époque, Jacques Mayoux, en faisait son vice-président.
Sa famille, ses enfants, ses petits-enfants ont enfin pu profiter pleinement, après sa retraite, de sa générosité, de sa curiosité et de sa fantaisie.
Mais maintenant qu’il repose en Paix, beaucoup de femmes et d’hommes des usines lorraines ou phocéennes qui ont la chance, après les grandes tempêtes sidérurgiques, d’avoir conservé un emploi dans ce qui est devenu l’une des premières entreprises mondiales (Arcelor), doivent savoir qu’ils le doivent en partie à son engagement, à sa compétence, et à sa ténacité.
Claude Ink (49)