ROBERT SCHUMANN
Schumann n’avait plus écrit de lieder depuis la fin de l’adolescence. Mais en 1840, l’année de ses trente ans, l’année de l’amour assouvi et du mariage avec sa Clara, année également très riche en créations pour le piano, il en écrit près de cent quarante, les plus beaux de sa production. De magnifiques cycles tels que les Myrthen, L’Amour et la Vie d’une femme, les Liederkreis op. 24 et 39, et les deux grands cycles réunis dans ce magnifique DVD.
Dichterliebe, Les Amours du poète, est un ensemble de lieder sur des poèmes de Heinrich Heine publiés en 1827, où le poète narre ses amours contrariées. Stéréotype du poème romantique (« le poète amoureux »!), ce recueil de Heine était très connu à l’époque. Vingt poèmes ont été choisis par Schumann sur la soixantaine du cycle de Heine. L’évolution de la situation et des sentiments est toutefois préservée. Quatre lieder ont été publiés à la fin de la vie du compositeur, si bien que le cycle habituellement joué comprend uniquement seize lieder. C’est la version originale à vingt lieder que Thomas Hampson interprète ici, ce qu’il est sur les scènes d’aujourd’hui, sauf erreur, le seul à faire. Le second cycle comprend douze lieder sur des poèmes de Justinus Kerner, poète largement rendu célèbre par la mise en musique de Schumann.
Thomas Hampson est un artiste complet. À l’opéra il est à la fois les nobles Simon Boccanegra de Verdi, Don Giovanni et Almaviva de Mozart, et le simplet Gabey de Bernstein, passant facilement du Met et de Salzbourg à Broadway. Éclectique, il chante aussi bien Jules César de Haendel et le Roi Roger de Szymanowski ou le Faustus de Busoni. Mais il a toujours gardé le besoin de consacrer du temps au récital de lieder.
Habitué à ses interprétations de Mahler (notamment accompagné par L. Bernstein, sublime), nous l’entendons pour la première fois, avouonsle, dans Schumann. Quel choc ! Hampson est constamment émouvant, prenant à la gorge par la chaleur de sa voix et l’émotion qu’il communique. Un rien statique sur la scène, ce qui est surprenant pour un chanteur d’opéra, Thomas Hampson nous tient pourtant en haleine constamment grâce à la fois à sa voix, sa prononciation parfaite (aucune explosion de consonnes de tout le concert), sa présence et sa stature. Sans aucun maniérisme, Hampson interprète profondément ces lieder, avec parfois une lenteur spectaculaire (Stille Tränen, ou encore les trois derniers Kerner), très bien tenue et particulièrement émouvante.
Il faut avoir ce DVD pour réaliser ce que voir un tel récital apporte par rapport à un simple disque. Au-delà du confort évident de disposer des sous-titres pour profiter de la poésie de ces auteurs romantiques, nous voyons comme au concert la communion du baryton avec la salle et sa complicité avec le magnifique pianiste qui l’accompagne. Plus encore que pour un opéra ou un concert, un DVD de chant comme celui-ci peut donner l’illusion d’être au concert.
Les lieder de Schumann sont moins connus que ceux de Schubert (antérieurs d’une vingtaine d’années). Vous aurez compris qu’il s’agit pourtant d’une part essentielle de son oeuvre, à connaître absolument, même si l’on n’est pas germanophone. En disque, l’anthologie réalisée par Dietrich Fischer-Dieskau (Deutsche Grammophon) fait référence depuis près de quarante ans, et l’on y revient régulièrement avec émerveillement. Mais en DVD c’est Thomas Hampson qui doit dorénavant nous guider, avec un programme idéal et une réalisation exemplaire.