Robert Schumann : Symphonie no 4, Concerto pour piano, Orchestrations des Études Symphoniques et de Carnaval
Orchestre du Gewandhaus de Leipzig, Riccardo Chailly, Martha Argerich, piano
Un magnifique DVD, notamment grâce au magicien Chailly qui transcende l’orchestre de Schumann. Riccardo Chailly dirige ces concerts en 2006 avec l’Orchestre du Gewandhaus de Leipzig, un des tout premiers orchestres au monde, dans la ville de Schumann, où beaucoup de ses œuvres ont été composées.
On a l’habitude de sous-évaluer, voire de dénigrer l’œuvre symphonique de Schumann. Il faut reconnaître que le romantique Schumann (comme Schubert avant lui) s’est surtout magnifiquement illustré dans les œuvres pour le piano, les lieder et la musique de chambre. Composer des symphonies après Beethoven était impressionnant, il est vrai. On a également reproché à ces symphonies une orchestration maladroite. Mahler s’est même senti obligé de les réorchestrer (très réussi).
Une première partie de haute tenue
En première partie, après une symphonie n° 4 tendue et impressionnante, nous avons un programme de raretés, très intéressantes : deux morceaux tirés des Études symphoniques pour piano, transcrites par un jeune Tchaïkovski, et quatre du chef‑d’œuvre pianistique Carnaval, orchestrés par Maurice Ravel pour le danseur Nijinski. Notons que, alors qu’on joue plus souvent les Tableaux d’une exposition de Moussorgski dans sa version orchestrée par Ravel que dans son original pour piano, on ne joue jamais l’orchestration que Ravel a tentée du Carnaval de Schumann, probablement parce qu’il n’a pas orchestré tout le cycle.
Pour l’amour de Clara
En seconde partie, le Concerto en la mineur, à la fois un des concertos les plus importants du répertoire et une œuvre clé de l’œuvre de Schumann. Le compositeur le commença en 1840, l’année où son amour pour Clara Wieck put enfin se réaliser, l’année où il composa nombre d’œuvres clés, dont de nombreuses pièces pour piano et cycles de lieder. Ce concerto est en trois mouvements, comme ceux de Mozart et Beethoven. Mais le mouvement médian n’est pas un mouvement lent. C’est en fait un scherzo dont la partie centrale est un andantino. Il comporte donc les quatre temps d’une symphonie, si bien qu’on peut considérer qu’il s’agit aussi des premiers pas de Schumann dans l’univers symphonique.
Comme bon nombre de ses meilleures œuvres, le concerto de Schumann est un hommage permanent à Clara et à son amour pour elle. Le thème initial est même la transcription en notation germanique de son nom. Clara, désormais Clara Schumann, créa le concerto en 1845 et l’interpréta tout au long de sa vie, plus de trente ans après la mort de son mari. Si Clara Schumann est, selon de nombreux témoins de l’époque, la plus grande femme pianiste du XIXe siècle, Martha Argerich est considérée par beaucoup comme la plus importante femme pianiste actuelle. Il n’est pas étonnant qu’elle adore le concerto de Clara, et qu’elle y excelle.
Martha Argerich au sommet
C’est une grande performance de la pianiste et la direction de Chailly est précise et raffinée, ce qui n’est pas toujours le cas pour des accompagnements de concerto. Il est aussi parfaitement enregistré (cela rend justice au son chaleureux de l’orchestre et au toucher d’Argerich) et filmé. L’image montre de façon pertinente et très réussie les instruments (superbes bois !) et le clavier. Elle ne cache rien non plus de ce qui rend la pianiste exceptionnelle, notamment son jeu continûment sur le fil du rasoir, jouant à l’extrême bout des touches pour augmenter la puissance, au point qu’on a peur pour elle qu’elle manque certaines notes, ce qui n’arrive naturellement jamais.
En bis, le morceau d’introduction des Scènes d’enfants vient clôturer un concert extraordinaire où se côtoient de façon incroyable trois des ouvrages pour piano principaux de Schumann, sa symphonie la plus célèbre et son concerto emblématique pour Clara.