Étymologie :
À propos de Robotique
Robotique, intelligence artificielle, pilotage informatique (des véhicules)… voilà des domaines en pleine expansion, qui ont pris la suite de leur ancêtre lointain, la cybernétique. Un nom tombé dans l’oubli ? En informatique sans doute, mais pas dans le vocabulaire courant, car le préfixe cyber- est apparu au début des années 1990 : cyberespace et cybernaute dès le Petit Larousse 1997, cybercafé l’année suivante jusqu’à une quinzaine d’occurrences du préfixe cyber- dans l’édition 2020, sans parler du cyborg (de l’anglais cybernetic organism), personnage de science-fiction fait de parties vivantes et de parties artificielles contrôlant son comportement. Comme l’homme augmenté en quelque sorte.
Les étymologies de robot et d’intelligence artificielle étant déjà présentées dans de précédents ÉtymologiX, intéressons-nous ici à ce préfixe cyber-.
Des termes de navigation à l’origine
Dans l’Odyssée, on trouve en grec le verbe kubernan « diriger avec le gouvernail, piloter, commander un navire », d’où kubernêtês « pilote, commandant de navire ». Comme souvent pour des termes techniques de la langue nautique, le latin vient du grec : ici kubernan est emprunté par le latin, gubernare « diriger un navire », d’où gubernum, gubernaculum « gouvernail », gubernator « pilote ». De là vient en français toute une famille de mots, restée dans la navigation avec le gouvernail, puis diversifiée dans le sens général de gouverner, du gouvernement, de la gouvernance… ou de sa gouverne personnelle, revenant à la navigation, mais aérienne cette fois, avec les gouvernes d’un avion.
Le grec n’emploie pas de dérivé de kubernan pour désigner le gouvernail, mais plutôt pêdon, désignant d’abord le plat de la rame, et d’où provient probablement l’italien piloto, passé au français, pilote, emprunté par l’anglais.
La cybernétique
Le mot cybernétique est un néologisme formé sur le grec kubernêtikos « relatif au pilotage », créé en 1834 par le physicien Ampère dans son Essai sur la philosophie des sciences pour signifier « étude des moyens de gouvernement ». Plus d’un siècle après, en 1948, le mathématicien américain Norbert Wiener (1894−1964) publie son ouvrage fondateur Cybernetics, dans lequel il emprunte le mot en anglais : « We have decided to call the entire field of control and communication theory, whether in the machine or in the animal, by the name Cybernetics. » Ce terme a connu d’emblée un large succès populaire, avant de tomber en désuétude après la mort de Wiener, pour resurgir dans les années 1990 par l’utilisation du préfixe cyber- dans les mots relatifs aux usages d’Internet.
L’évocation métaphorique de la navigation est donc à la base du verbe gouverner, comme de ce préfixe cyber-. Le français file la métaphore puisque l’internaute est par définition celui qui navigue sur Internet ou, plus sportivement, qui surfe sur le Web comme en anglais. On parle aussi de navigateur informatique en français, mais pas en anglais qui emploie browser, de to browse « feuilleter (un livre) », dont le premier sens était « brouter », de l’ancien français broster, de brost « jeune feuille » (cf. une broutille).
Épilogue
Il faut croire que le pilotage des navires a été l’un des défis techniques les plus difficiles à relever pour les premiers humains. Cela peut expliquer l’origine nautique du verbe gouverner, et sans doute aussi de piloter, en anglais to pilot, synonyme du verbe d’origine germanique, to steer, d’abord « tenir la barre », encore d’inspiration nautique.
Du même auteur : L’intelligence artificielle dans La Jaune et la Rouge N° 733, mars 2018