Robots aériens : autonomie et sécurité des drones
Employés depuis longtemps à des fins militaires, les drones répondent aussi à des usages civils de plus en plus variés, en particulier dans un souci de protection des vies. La clé du succès tient à la capacité à développer des matériels efficaces et sûrs. Les progrès attendus impliquent des développements significatifs dans les domaines de la coopération hommemachine, de la perception de l’environnement et de la sécurité.
Il existe de nombreux modèles de drones couramment utilisés sur les théâtres d’opérations militaires et depuis plusieurs décennies. La fiabilité de ces drones et la sûreté de leurs systèmes de contrôle peuvent encore être grandement améliorées : on est très loin du niveau actuel de sécurité des aéronefs pilotés.
REPÈRES
Qu’est-ce qu’un drone, sinon un « robot » aérien ? Encore faut-il apprécier la signification de cette équivalence, si on l’accepte, à sa juste valeur. Le terme » robot » renvoie à la notion de » travailleur « , donc de tâche ou de mission à accomplir. Un drone est un engin sans pilote à bord, conçu pour réaliser des missions de façon plus sûre ou plus efficace qu’un engin piloté. Le reste est plutôt affaire d’aéromodélisme. Sur le plan de l’ancienneté, les drones n’ont pas à rougir de la comparaison avec leurs cousins robots : les mêmes mécanismes d’horlogerie, qui gouvernaient les premiers automates, ont permis le vol » autonome » des premiers drones dès la Première Guerre mondiale. Pour l’efficacité on a fait mieux depuis. Pour la sécurité aussi.
Les utilisateurs de drones cherchent des terrains d’exercice adéquats, car les risques de dommages collatéraux sont inacceptables sous nos latitudes : l’Afghanistan ou l’Irak conviennent, le Kosovo a convenu, la frontière américanomexicaine a convenu jusqu’au premier accident.
On est très loin du niveau actuel de sécurité des aéronefs pilotés
On se soucie cependant toujours d’efficacité, car lorsqu’on perd le contrôle d’un drone, il ne peut plus accomplir sa mission. D’ailleurs, les missions des drones actuels sont encore restreintes à celles de l’aviation de la Première Guerre mondiale, et encore : observation certes, désignation d’objectifs aussi, bombardement peu, attaque très occasionnellement… pas de combat aérien, peu de transport, quelques acrobaties, mais uniquement en laboratoire.
Protéger des vies
Les missions de recherche et sauvetage de personnes en milieu hostile sont un exemple intéressant d’emploi des drones : ceux-ci pourraient permettre de ne pas exposer inutilement un grand nombre de personnes dans le but d’en sauver d’autres et de n’intervenir qu’après évaluation des risques.
Applications civiles
Un certain nombre de travaux de recherche, certains financés par la Commission européenne, ont permis d’étudier les concepts d’applications futures possibles des drones dans le domaine civil. Les drones sont certainement une alternative technologique sérieuse à l’emploi de satellites d’observation. Plus prometteuse serait la possibilité d’employer ces engins dans des contextes d’intervention au sein d’ensembles d’agents plus complexes ou comme maillons actifs d’un réseau d’information et de décision. Un grand nombre de missions en milieu hostile pour lesquelles il faut actuellement risquer la vie de plusieurs personnes pourraient être considérées autrement si était faite la démonstration de la faisabilité de drones dotés de capacités décisionnelles suffisantes.
Succès commercial
Yamaha a vendu plusieurs milliers de drones civils (Yamaha R50 et RMaX) pour l’épandage agricole sur des champs de thé ou de riz au Japon et en Asie du Sud-Est. Ils volent bas et pas loin, mais ils sont rentables et opérés de façon routinière. Ce succès notable s’est accompagné du déploiement d’un réseau de détaillants, concessionnaires et garages où l’on peut faire réaliser la vidange et la révision de son drone.
Les missions de surveillance sont un exemple simple : le système autonome prend en charge les tâches de pilotage et de guidage, ainsi que des tâches de veille pour lesquelles la vigilance humaine est faillible. Il soulage véritablement l’opérateur afin que celui-ci puisse se consacrer à la gestion de la mission. Au rayon des applications potentielles, on trouve pléthore de propositions, depuis la lutte anti-incendie jusqu’à la surveillance des ouvrages d’art, le tout avec, pour le moment, une foule indistincte d’appareils candidats de toutes formes et de toutes tailles. Où l’on trouve plus certainement une logique promotionnelle que pragmatique de la part des fabricants.
Sécuriser l’espace aérien
Sur ce marché émergent, des drones assez légers et de petite taille sont disponibles : quelques kilos. Ils ne sont pas très sûrs, mais ils semblent moins dangereux. Cependant, la simple rencontre d’un petit drone et d’un parebrise de véhicule pourrait engendrer un accident très grave. D’où certaines réticences justifiées. De façon générale, les besoins opérationnels ne sont pas bien exprimés, les conditions d’emploi ne sont pas précises. La réglementation actuelle reste donc très générale, très contraignante (« limitante ») pour garantir la sécurité des biens et des personnes environnantes, pour le moment souvent en interdisant les drones.
Autonomie
Les capacités d’autonomie ou « l’autonomie » définissent la capacité d’un système à s’adapter seul à son environnement. Le drone étant construit pour être dédié à une tâche ou à une mission, il est opéré par un opérateur, qui supervise de façon très intéressée sa mission ou son travail. On recherche une plus grande efficacité en mission en déchargeant l’opérateur de certaines tâches routinières que les drones sont censés assumer : n’ont-ils pas été initialement imaginés pour les missions routinières, dangereuses ou sales (dull, dangerous and dirty) ?
Multiples expérimentations
Il existe des drones expérimentaux et de laboratoire : l’université de GeorgiaTech travaille avec des hélicoptères Yamaha R50 depuis 1995 et depuis 1998 avec son successeur le Yamaha RMaX. L’université de Berkeley et celle de Carnegie Mellon de même travaillent sur ce type d’engins et en ont acquis de véritables petites flottes aériennes. L’équipe de l’US-Army Helicopter Division localisée dans le centre de recherche d’Ames de la NASA travaille avec des Yamaha RMaX depuis 1999. En France, l’Onera travaille sur ces mêmes engins depuis 2002 et sur d’autres petits drones depuis 1995. De nombreuses universités et bureaux d’études industriels travaillent dans le domaine des drones dans le but de rendre ces derniers plus « autonomes ».
Une conception adaptée aux performances
On cherche à développer l’autonomie des drones en regard des aspects liés à la conception, aux performances et à la sécurité. La conception d’un drone doit être adaptée à sa mission dans des conditions d’emploi nominales et dégradées.
On trouve plus une logique promotionnelle que pragmatique de la part des fabricants
En matière de performances, le drone a besoin d’une certaine intelligence embarquée pour lui permettre de percevoir, de décider et de s’adapter localement à l’environnement et aux autres aéronefs ou agents, comme le ferait un pilote : atterrir sans danger, rattraper une rafale de vent, éviter des obstacles imprévus, éviter les autres aéronefs, etc. Enfin, au plan de la sécurité, tout système de drones doit à tout moment rester sous le contrôle des opérateurs qui le supervisent, en assurant une bonne information sur la situation. En cas d’urgence, le drone doit rester dans une enveloppe de sécurité garantie pour un retour au sol sans danger pour autrui.
Des drones plus autonomes pour garantir plus de sécurité
Il peut être nécessaire d’avoir des drones plus autonomes pour garantir plus de sécurité, c’est probablement le facteur le plus déterminant pour le développement de l’autonomie des drones.
Autonomie limitée
La notion » d’autonomie » a ainsi été attachée au terme de » drone » de façon quelque peu abusive. On entend maintenant parler de « drones sous-marins « , » drones marins « , voire « drones terrestres « , mais c’est faire grande injustice aux robots qui peuplent nos ouvrages de science-fiction, nos usines, nos laboratoires de robotique et d’intelligence artificielle depuis fort longtemps maintenant. On peut également trouver nombre d’exemples où une tâche peut être accomplie par un drone, sans qu’il fasse preuve d’une très grande autonomie : les drones d’épandage agricole sont opérés manuellement, car la version autonome du Yamaha RMaX ne sait pas se passer d’un opérateur de sécurité au bord du champ à traiter, ni tenir compte de rafales soudaines de vent, ni faire une pause au moment du passage d’écoliers ou d’autres passants. Les drones militaires ne font guère plus que suivre leur plan de vol et les déroutements qu’on leur impose : si ce n’est poursuivre automatiquement une cible avec un capteur de désignation. La prise de décision relève du commandement et heureusement.
Automatisation indispensable
Dans l’exemple d’une tâche d’appontage d’un drone sur le pont d’un navire dans la houle, il est pratiquement impossible à un opérateur déporté, qui plus est situé sur le navire en mouvement sous l’effet de la houle, de piloter l’appontage d’un drone, ni en pilotage à vue ni aux instruments. Il lui faudrait tout à la fois faire abstraction des mouvements du navire pour mieux contrôler ceux de l’aéronef d’une part et tenir compte des mouvements du navire pour mieux choisir le meilleur moment pour la manoeuvre finale d’autre part. Les expérimentations américaines ont permis de conclure à une impossibilité pratique sur ce point.
Les phases critiques
On peut cependant aussi trouver des missions ou des tâches, que l’on ne peut pas encore demander à un drone faute d’une plus forte autonomie du système. Le besoin d’automatisation des phases critiques au cours de ces tâches ou missions apparaît clairement lorsqu’il est fortement nécessaire de s’adapter à l’état de l’appareil ou à un environnement immédiat changeant et incertain.
Premiers succès
On cherche donc à rendre certains drones plus autonomes et, en laboratoire, on y arrive.
Prouesses
Les drones « autonomes », principalement ceux développés par les laboratoires, mais aussi par les industriels du domaine, ont pu réaliser des démonstrations parfois très spectaculaires comme des appontages sur pont de navire dans la houle, des « atterrissages au plafond « , des « récupérations » de capacités de contrôle après perte asymétrique des deux tiers d’une aile.
Certaines démonstrations de laboratoire sont fondées sur des recherches avancées en traitement du signal et intelligence artificielle, comme l’intégration de capacités de traitement d’image embarquées permettant des adaptations du vol et de la mission : détection et évitement d’obstacles ténus (câbles) ; suivi automatique de cibles mobiles ; exploration et cartographie d’environnements peu structurés (couverts forestiers) et mal connus (villages endommagés) ; replanification de la mission à bord en fonction de la perception ou de la cartographie de l’environnement ; coordination de plusieurs engins pour la réalisation de tâches communes. Certains drones sont plutôt » des drones d’intérieur « , qui se trouvent très myopes et facilement éblouis à l’extérieur de bâtiments, et d’autres sont des » drones d’extérieur » qui ont bien du mal à naviguer sans encombre entre ou dans les bâtiments qui leur masquent leur sacro-saint signal GPS. Le rythme des démonstrations montre l’existence d’une réelle base technologique pour avancer dans la bonne voie.
Outils de preuve
Cependant, il faut également constater que les démonstrations réalisées ne sont jamais étoffées de garanties satisfaisantes de reproductibilité ou de robustesse. Les prouesses accomplies sont éphémères, rarement routinières. Or en robotique, l’effet « démo » mis à part, la physique a tendance à prendre le pas et à l’emporter sur le système artificiel. Les capacités d’adaptation automatique ou autonome, dont on voudrait doter les drones, posent même de sérieux problèmes quand il s’agit de prouver que le concept imaginé est capable de se comporter de façon déterministe par rapport aux exigences de sécurité (à une autorité de certification ou d’autorisation de vol par exemple). « Couvrir » tous les cas possibles, quels que soient les événements et occurrences dans l’environnement non déterministe, complexe, changeant et incertain du système est un voeu pieux : des outils de preuve sont nécessaires.
Recherches multidisciplinaires
Outre l’avancée de la maturité de certaines technologies, dont la maîtrise est l’apanage des industriels du domaine, un certain nombre d’avancées doivent être accomplies au carrefour des recherches en automatique, intelligence artificielle, traitement du signal et des images et systèmes embarqués (temps réel). Ces recherches sont ainsi conduites au sein de la communauté internationale des laboratoires de recherche, avec les organismes institutionnels français et européens des domaines de la défense, de l’aviation civile et de l’intérieur, ainsi qu’avec les industriels du secteur, pour une future utilisation en sécurité des drones.
Un triple constat
Les travaux de recherche actuels sont fondés sur le triple constat : il est possible de doter un drone de capacités de décision embarquées, même pour des missions assez complexes ; de telles fonctions d’autonomie devront être intrinsèquement liées à un gain d’efficacité dans la mission et surtout à une amélioration de la sécurité et de la sûreté de fonctionnement ; pour concevoir ces fonctions d’autonomie, on a besoin d’outils permettant de garantir la sûreté de fonctionnement dans tous les cas et de moyens pour prouver que le résultat après intégration est conforme aux exigences initiales.
Les prouesses accomplies sont éphémères
Trois axes de travail
Les travaux portent donc sur trois axes essentiels : tout d’abord la coopération (un drone autonome n’est jamais « tout seul « , il coopère avec humains et robots); ensuite, la perception (un drone autonome a besoin de percevoir son environnement) ; enfin, la sûreté de fonctionnement (un drone très » intelligent » doit être d’autant plus fiable et permettre qu’on le démontre).
Avec l’évolution des techniques actuelles, et celle de la réglementation, on ne peut pas encore prétendre qu’on n’a jamais été aussi proche de faire voler (insérer) des drones en sécurité dans les espaces aériens, mais on peut affirmer qu’on n’a jamais été aussi proche de s’attaquer aux vrais points durs.
Drones et aéronefs pilotés
L’Onera a développé un laboratoire de drones expérimentaux et conduit actuellement des recherches multidisciplinaires en ce sens en collaboration avec le Laboratoire de robotique et d’intelligence artificielle du LAAS-CNRS sur la conception, l’amélioration des performances et les moyens de garantir la sûreté de fonctionnement et la sécurité des systèmes de drones et de leurs systèmes de contrôle, avec des retombées également pour la sécurité et les performances des futurs avions et hélicoptères pilotés. |