Roederer
La maison Roederer fut fondée en 1776 par Louis Roederer, dont l’obsession était de produire ses propres raisins plutôt que de les acheter à des viticulteurs champenois comme le faisaient alors (et encore aujourd’hui) la plupart des maisons de Champagne. Louis Roederer pensait que pour produire un des meilleurs champagnes du monde, il faut les meilleurs raisins et que le plus simple, pour en garantir la qualité, est encore de les produire soi-même. Il a donc patiemment constitué un magnifique vignoble, qui s’étend, deux cent vingt ans plus tard, sur 190 hectares de vignes situés sur les coteaux de la Montagne de Reims (60 hectares), de la vallée de la Marne (55 hectares) et de la côte des Blancs (75 hectares), avec un indice de pureté de 98 % dans l’échelle des crus. Ces vignobles fournissent les deux tiers des raisins nécessaires à la production de la célèbre maison rémoise. L’âge moyen des vignes est de vingt ans, le bel âge pour la vigne, celui où elle produit moins de raisins, mais de bien meilleure qualité, plus complexes en arômes et en saveurs. Il y a même quelques plants de Pinot noir de plus de cinquante ans d’âge dont les arômes incomparables contribuent largement au charme du Brut rosé…
Pour être sûr de la constance de la qualité, année après année, et assurer la pérennité du style maison, Roederer possède une large gamme de vins de réserve (800 000 litres, soit près de la moitié d’une année de production), issus des meilleurs millésimes et logés dans de superbes foudres de chêne de 40 hectolitres (d’une moyenne d’âge de dix-sept ans, car les foudres, comme les hommes, s’éduquent) à une température constante de 12°, qui permettent de fournir chaque année d’excellents champagnes.
Rappelons en effet que le champagne est un vin d’assemblage et que – dans les cuvées non millésimées, comme le Brut Premier de Roederer –, on assemble chaque année des vins provenant de cépages, de terroirs, mais aussi de millésimes différents avant d’en faire un champagne qui a le “ goût maison ”, une agréable rondeur qui caractérise les champagnes Roederer et a largement contribué à leur succès.
Cristal, palais de cristal
Le Cristal Roederer a commencé par être le champagne du tsar, en l’espèce le tsar Alexandre II, pour lequel cette cuvée spéciale fut élaborée à partir de 1876. Ce champagne de très grand luxe était livré en bouteilles de cristal, d’où son nom, et chaque année – jusqu’à la Grande Guerre – la maison Roederer a fourni ce champagne d’exception à la cour impériale de Russie, le dernier millésime assemblé pour le tsar fut le 1914… La cuvée disparut durant une dizaine d’années, pour renaître en 1924, sous sa forme actuelle, où le cristal a été remplacé par du verre blanc. Le dosage aussi a changé et le Cristal, qui était un champagne doux, s’est adapté au goût anglais (qui avait fini par se généraliser), en devenant sec. Il est produit bon an mal an 600 000 bouteilles de ce champagne puissant, fin et fruité, que les amateurs du monde entier s’arrachent. Une des caractéristiques intéressantes de Cristal est qu’il est particulièrement réussi dans les petits millésimes, d’où une grande constance de qualité qui explique sa réputation. Cristal Roederer est uniquement élaboré à partir de cuvées provenant de vignobles classés à 100 % dans l’échelle des crus.
Depuis le millésime 1974, Cristal existe en rosé. La proportion de Pinot noir est alors plus forte et atteint près de la moitié de l’assemblage. C’est un rosé fruité, vineux, qui vieillit bien et est délicieux à table. Il est produit en très petites quantités.
Le Cristal Roederer 1989 se présente avec une robe or pâle. Les bulles sont fines et forment un cordon persistant. Au nez, on remarque des notes de brioche, de miel et d’agrumes d’une belle intensité. En bouche, les saveurs sont riches et concentrées, l’ensemble se caractérise par son élégance et une finale exceptionnellement longue.
Voici par ailleurs l’appréciation portée par Shinya Tasaki, Meilleur Sommelier du Monde 1995, sur le Cristal 1990 :
Le vin est ample, soyeux, très élégant et très bien équilibré malgré l’absence de dosage. La finale est longue et soutenue par une grande persistance aromatique, une jolie fraîcheur et des notes de noix.
Une stratégie de diversification
Les bons résultats de Roederer lui ont permis de mener une politique de diversification en rachetant des vignobles en France et à l’étranger, à commencer par la maison Deutz, une excellente maison de champagne, et deux crus de Saint-Estèphe, les châteaux de Pez et Haut-Beauséjour. Au Portugal, Roederer a acquis les excellents portos Ramos Pinto et a lancé un ambitieux programme de rénovation de la vigne et de création de nouveaux produits, des investissements partiellement pris en charge par Bruxelles. En Californie enfin, Roederer a acquis il y a quinze ans 150 hectares (580 acres, dont 350 plantés en vigne), qui lui ont permis de développer un sparkling wine appelé Roederer Estate, dans un climat particulièrement froid pour la Californie, rappelant un peu la Champagne, la Anderson Valley. Une nouvelle acquisition, réalisée en 1997, permettra d’augmenter de moitié la surface du vignoble. Le total de ces activités centrées sur le vin représente un chiffre d’affaires annuel de l’ordre de 600 millions de francs.