Rôle et responsabilités des partenaires de la gestion des espaces naturels
Une préoccupation globale
L’incidence des activités humaines sur le fonctionnement des écosystèmes continentaux augmente rapidement. Elle fait craindre que les phénomènes de dynamique naturelle, de plus en plus perturbés, ne soient plus à même de maintenir des conditions de vie acceptables, notamment pour notre espèce.
Une population croissante se concentre de plus en plus dans des conurbations, mais ses besoins alimentaires, ses déchets, son mode de vie entraînent une transformation progressive des espaces externes que l’on qualifie encore de naturels, bien que cette appellation soit de plus en plus contestable.
traitée par » compartiments »
Bien que la notion même d’écologie implique la prise en considération des interactions entre tous les facteurs, les politiques de protection de l’environnement sont menées en fait dans des » compartiments » posant des problèmes spécifiques.
On peut distinguer ce qui concerne le traitement des risques généraux (l’augmentation de l’effet de serre), la limitation sectorielle des nuisances résultant de certaines activités (traitement des déchets, émissions de polluants » classiques « …), la gestion des territoires urbains et la gestion des territoires qualifiés de naturels qui fait l’objet d’une législation spécifique portant également sur l’évolution des paysages1.
Protection des milieux naturels
La prise de conscience de la nécessité de » protéger la nature contre l’homme » s’est faite progressivement, essentiellement sous l’impulsion de militants dans une ambiance idéologique manichéenne d’opposition entre le développement économique, source de tous les maux, et les partisans d’une préservation qui est souvent loin de prendre en compte le fonctionnement réel des écosystèmes.
Mais, en France métropolitaine, la part des surfaces non altérées par une mise en valeur séculaire est des plus modestes et, comme le montre le schéma ci-dessous, la grande majorité des espaces qualifiés de naturels et visés par la politique de protection de la nature est utilisée par leurs gestionnaires pour la production agricole ou forestière.
La notion de » développement durable « , plus récente, constitue une approche théoriquement réaliste. Mais elle s’exprime plus par des slogans que par des actes réels, chacun, individus ou groupes, étant disposé à imposer à d’autres des contraintes pour améliorer son propre environnement, mais se refusant en fait à remettre en cause ses objectifs et son mode de vie.
Gestion des espaces naturels
L’évolution des idées en matière de protection de la nature, évoquée dans plusieurs articles de ce numéro, devrait se traduire notamment par une gestion multifonctionnelle des espaces naturels, basée sur la complémentarité des objectifs et sur la prise en compte du dynamisme des écosystèmes. La synthèse de ces objectifs et leur traduction technique nécessitent une collaboration entre les partenaires de la gestion des espaces. L’exclusion de certains d’entre eux ne peut conduire qu’à des déconvenues et à des coûts prohibitifs, la plupart des objectifs de protection nécessitant des interventions continues de maintien en état.
En se référant aux dispositions, spécifiques ou non, en vigueur en France, on peut apprécier si le » jeu des acteurs « , spontané ou imposé, répond aux conditions du développement durable, ce qui conditionne la pertinence des politiques mises en œuvre.
Les partenaires de la gestion des espaces naturels
Dans notre société, la gestion des territoires est légitimement de la compétence des propriétaires, privés ou publics, qui peuvent la déléguer partiellement à des » intendants « . Ce système est basé sur une attitude patrimoniale traditionnelle et la notion de développement durable comme objectif environnemental dérive naturellement de l’antique précepte de » gestion en bon père de famille « . Il a permis de créer progressivement le territoire que nous connaissons et la comparaison avec les résultats environnementaux des régimes collectivistes montre son intérêt.
L’évolution socioéconomique et l’aspiration généralisée à une augmentation des revenus ont généralisé dans le monde rural l’objectif financier à court terme, taxé de » productivisme » par les populations urbaines majoritaires, alors qu’il est considéré comme légitime pour le commerce, l’industrie et l’organisation des loisirs. Dans le cas des territoires agricoles, le statut du fermage contribue à l’effacement progressif de la gestion patrimoniale.
Pour que la gestion tienne compte de l’objectif de protection de la nature, les pouvoirs publics sont donc amenés à intervenir, ce qui ne va pas sans une certaine incohérence, chaque département ministériel étant surtout soucieux des revenus de sa clientèle. Mais, dans ce domaine, l’administration ne se contente pas de réglementations, de taxes et incitations financières applicables à tous ; sur des territoires de plus en plus vastes les agents de l’État, ceux d’établissements publics ou même d’associations interviennent directement dans la gestion, non seulement pour imposer des dispositions pérennes, mais en soumettant toute évolution à un régime d’autorisation dont le caractère aléatoire n’est guère compatible avec une gestion durable. Ils sont donc en fait des partenaires de la gestion.
En fait, ces différentes catégories d’acteurs se comportent rarement en partenaires, chacune cherchant à exclure les autres de toute participation à la gestion.
Les modalités d’application de la législation ne sont pas étrangères à cette attitude.
La définition des objectifs et des moyens de les atteindre nécessite une approche scientifique et technique. Les soupçonnant de ne se soucier que de la production, les pouvoirs publics méprisent les compétences pratiques des agriculteurs, éleveurs et forestiers et celles des ingénieurs spécialisés, qui ont une connaissance au moins technique du fonctionnement des écosystèmes. Ils ne connaissent que des » scientifiques « , naturalistes de formation, qui sont censés, au sein de l’université ou des sociétés savantes, avoir élargi leur domaine restreint de prédilection à la connaissance écologique de l’ensemble des interactions et pouvoir en démêler la complexité.
Par le biais d’ONG, ils s’estiment dépositaires de la vérité scientifique. Ils constituent des partenaires » incontournables » et une loi du 8 février 1993 a même attribué au Muséum national d’histoire naturelle un monopole, notion curieuse en matière scientifique, des inventaires.
De nombreuses associations font profession de défendre la nature ; certaines disposent d’un agrément qui leur donne une capacité juridique. Leurs fédérations, alliées aux scientifiques, ont une grande influence ; localement, la plupart s’efforcent, soit de défendre inconditionnellement telle ou telle espèce animale ou végétale, soit d’empêcher tout changement dans leur environnement proche, particulièrement de paysages familiers, grâce notamment aux règlements d’urbanisme (zones ND).
N’oublions pas les chasseurs qui, paradoxalement, favorisent la prolifération de gros gibiers au détriment des régénérations végétales.
Application des dispositions légales
Dans les espaces protégés, le droit de propriété est limité par des dispositions spécifiques. Assez généralement, il y a confusion entre gestion des territoires et gestion d’une réglementation.
Gestion des espaces protégés
L’État procède au classement, limitant la liberté d’usage sans transfert de propriété, de zones présentant un intérêt environnemental particulier avec des procédures assurant normalement une reconnaissance d’intérêt général (enquête publique, décret en Conseil d’État).
Le classement au titre des monuments naturels et des sites présentant un intérêt général artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque (loi de 1930) soumettant à autorisation toute modification d’aspect est utilisé au titre de la protection de la nature. Sauf s’il s’agit de milieux entièrement minéraux, ce classement n’est pas compatible avec l’évolution naturelle des écosystèmes que l’on prétend figer, et ne permet une gestion équilibrée que grâce à des compromis qui ne vont pas sans arbitraire.
Les zones centrales des parcs nationaux (loi de 1960) visent à soustraire un espace à toute intervention artificielle, susceptible d’en modifier l’aspect, la composition et l’évolution. Contrairement au cas des parcs américains, libérés de tout droit de propriété et d’usage par la colonisation, la gestion de nos parcs nationaux, confiée à des établissements publics, implique une limitation des initiatives des propriétaires encadrées par les dispositions du décret de création et pour partie soumises à autorisation.
Le classement en réserve naturelle (loi de 1976) répond à un objectif défini, souvent la préservation, ou la reconstitution, de populations d’espèces en voie de disparition ou d’un milieu qui leur est particulièrement favorable. Le motif du classement, un des sept prévus par la loi, ne donne pas lieu à détermination des moyens donc à définition des contraintes effectives ; il n’est pas mentionné dans le décret de classement qui vise une protection globale du milieu, même s’il ne s’agissait en fait que d’un objectif très limité. Les pouvoirs publics peuvent ultérieurement confier la gestion d’une réserve à un organisme de leur choix, souvent une association de protection de la nature, et réglementer, voire soumettre à autorisation les activités agricoles, pastorales et forestières.
Depuis une loi de 1976, le classement en forêt de protection » pour des raisons écologiques ou pour le bien-être de la population » rentre dans la catégorie des espaces protégés. Les contraintes doivent être définies dans le dossier d’enquête, ce qui limite l’arbitraire ultérieur et peut permettre une gestion cohérente.
Les espaces partiellement protégés
Il existe bien d’autres dispositions permettant de limiter, avec des procédures beaucoup plus légères, la liberté de gestion au titre de la protection de la nature, notamment :
- les arrêtés de conservation de biotopes, théoriquement limités aux » formations naturelles peu exploitées par l’homme » ;
- la réglementation des espaces boisés et zones naturelles (zones ND) par les plans d’occupation des sols ;
- l’extension à un objectif de » maintien des équilibres écologiques » (loi de 1990) des réserves de chasse et de faune sauvage.
Certaines dispositions ne concernent que la permanence de l’aspect comme la part rurale des zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager, les périmètres de protection des monuments historiques…
Il existe de nombreuses catégories de zones qui soumettent en fait la gestion à un système d’autorisation au nom d’objectifs interprétés souvent de façon extensive.
Inventaires et espaces protégés
Le ministère chargé de l’Environnement a fait réaliser des inventaires aboutissant à la délimitation de » zones naturelles d’intérêt écologique, faunistique et floristique » et de » zones d’importance communautaire pour les oiseaux « .
Les superficies sont importantes : quelque 15 000 ZNIEFF (15 millions d’hectares) et 300 ZICO (4,4 millions d’hectares).
Les études ont été réalisées par des » scientifiques » sans information ni participation des propriétaires, ce qui n’était pas anormal pour de simples inventaires.
Mais l’administration, les associations et les juridictions administratives ont eu tendance à utiliser ces inventaires sans portée juridique comme s’ils entraînaient des obligations spéciales pour les propriétaires, gestionnaires légitimes de ces espaces. Le terme classement, normalement réservé à des espaces faisant l’objet d’une procédure légale, a été couramment utilisé pour les ZNIEFF ou ZICO, entretenant la confusion.
Le réseau Natura 2000
La Commission européenne a engagé la création d’un ensemble de » zones spéciales de conservation » (ZSC) d’intérêt communautaire, dit réseau Natura 2000, en application d’une directive du 21 mai 1992 sur la » conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages « .
Ces espaces, à délimiter par les États sur des bases scientifiques sous le contrôle de la Commission européenne, présentent la particularité de devoir concilier des objectifs ciblés de protection (et non plus tous azimuts) et le développement économique ; normalement la gestion devrait faire l’objet de contrats avec les titulaires de droits réels, des procédures d’autorisation n’étant prévues qu’en cas d’initiative remettant en cause les objectifs spécifiques.
Ce réseau permettrait de passer d’une conception de » territoires sacralisés » gérés directement ou indirectement par les pouvoirs publics à un objectif de développement durable, les propriétaires ayant à mettre en œuvre des moyens préalablement définis.
Malheureusement, l’administration a fait procéder à une délimitation par les » scientifiques « , sans concertation ni, sauf exception, étude avec des praticiens et les gestionnaires de ces espaces de la nature et de l’étendue des contraintes nécessaires.
Un premier projet, très ambitieux, a provoqué une révolte des organisations de propriétaires et gestionnaires de l’espace rural (le groupe des 9), l’expérience leur ayant montré que la pratique administrative conduisait à une expropriation rampante et à une mise en tutelle étroite. Cette opposition, très mal ressentie par les militants et l’administration chargée du projet qui considérait que le » droit à l’environnement » primait tout autre droit, même constitutionnel, a conduit à revoir la procédure et à engager une concertation permettant de définir des » documents d’objectif » et des plans de gestion spécifiques.
On peut donc espérer que l’évolution des concepts de la protection de la nature finira par passer dans les faits, mais cette révision fondamentale se fait dans une certaine confusion, les délais fixés par la directive étant déjà dépassés.
Les parcs naturels régionaux
Un danger subreptice
D’après Kafka
Il n’y a pas que les polluants divers pour conduire l’humanité à sa perte avant que l’évolution du soleil ne condamne la biosphère à griller inéluctablement.
La pollution mentale ambiante, émanant de gourous divers relayés par les médias, ne répand pas encore la terreur, mais le devrait certainement.
On ignore encore si elle provoque la sclérose progressive des neurones, au hasard ou par zones entières, ou si ce sont les synapses qui sont victimes de dépôts bloquant les neurotransmetteurs. La nature de l’agent pathogène n’a pu encore être identifiée, mais il pourrait s’agir d’une protéine qu’une erreur de fabrication a doté de nombreux nœuds particulièrement mal placés.
Les études épidémiologiques sont difficiles, mais l’on constate déjà chez de nombreux individus la disparition d’une zone affectée normalement au principe de non-contradiction ainsi que le développement d’un kyste qui sécrète du principe de précaution. Une forme aiguë de la maladie se traduit par la capacité de remplacer le raisonnement par la croyance en des slogans divers.
Ce mal est très contagieux, particulièrement dans les colloques internationaux. Une mesure de prévention efficace consiste à relire les bons auteurs qui ont traité autrefois de l’esprit et de la méthode scientifique. Dans les premières phases de la maladie, un peu d’humour peut servir de contrepoison.
Mais encore faut-il pouvoir disposer d’éléments de réflexion à peu près fiables, à dégager du flot continu d’informations traduisant souvent plus des doctrines que des faits.
Les réunions-débats et les « micro-dossiers » d’X-Environnement peuvent vous y aider, sans qu’il soit nécessaire d’assimiler d’énormes et multiples traités.
http://x‑environnement.org
Les parcs naturels régionaux ne constituent pas à proprement parler des espaces protégés. En effet la charte approuvée par l’État n’est opposable qu’aux collectivités locales et aux services de l’État qui interviennent dans le cadre des procédures normales.
Les espaces banals
L’objectif de développement durable ne saurait se limiter à quelques espaces, même s’ils font l’objet d’une gestion plus intelligente que par le passé. La plus grande partie du territoire fait l’objet d’une » mise en valeur » agricole ou forestière qui doit assurer des revenus suffisants pour une gestion répondant à l’ensemble des objectifs écologiques, économiques et sociaux. Cela nécessite une évolution des politiques sectorielles que le découpage administratif, tant au niveau français qu’européen, le jeu des organisations professionnelles et des groupes de pression ainsi que le poids des idéologies ne facilitent pas.
On peut noter cependant qu’en marge de la politique agricole commune, qui ignore l’environnement, les mesures » agri-environnementales « , modestes, et, depuis peu, les » contrats territoriaux d’exploitation » constituent les prémisses d’une évolution vers une conciliation des objectifs.
Vers un partenariat effectif
L’objectif développement durable des » espaces naturels » nécessite un véritable partenariat entre les acteurs de la gestion des espaces. Or jusqu’à présent, chaque catégorie cherche surtout à imposer aux autres ses propres conceptions, refuse le dialogue et prétend à un monopole de gestion.
Au lieu de s’arc-bouter sur le concept de gratuité des servitudes d’intérêt public et sur la force de dispositions réglementaires, il paraît nécessaire que les pouvoirs publics, nonobstant les désirs hégémoniques des militants de la protection, développent une politique contractuelle pour obtenir une gestion équilibrée d’un coût raisonnable.
La revue rapide des modalités d’application des systèmes de protection réglementaire en France montre la responsabilité des pouvoirs publics dans cet antagonisme. Ces modalités étaient justifiées initialement lorsqu’il s’agissait d’espaces pas ou peu mis en valeur par l’agriculture ou la sylviculture. Elles ne le sont plus quand on souhaite obtenir un développement durable sur une grande partie du territoire. Une révision drastique, à peine amorcée, et des politiques sectorielles cohérentes sont un préalable à une évolution mentale, qui sera longue, des partenaires locaux.
L’expérience a montré que la gestion par les titulaires de droits réels, d’ailleurs conforme aux dispositions constitutionnelles, était à la fois moins coûteuse et plus efficace, même pour protéger la nature, qu’une gestion confiée à des organismes non contraints d’en vivre. Mais l’évolution socioéconomique entraîne une dérive qui justifie une intervention des autres catégories, non pour se substituer aux gestionnaires légitimes, mais pour contribuer sur une base scientifique et technique sérieuse à la détermination de modalités de gestion patrimoniale dans une perspective durable.
La méfiance réciproque entre partenaires constitue actuellement le principal obstacle à une protection réaliste de la nature.
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1. La protection des paysages a été incluse dans la protection de la nature par une loi de 1976. Mais il s’agit seulement de l’aspect et non du concept écologique d’ensemble d’écosystème d’un » pays « , ce qui aurait été justifié.