Rompre avec la facilité de la dette publique
Ce rapport a été commandé en juillet 2005 par Thierry Breton, ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie. Outre le président Michel Pébereau, de nombreux camarades étaient membres de la commission : Patrick Artus (70), Jean-Michel Charpin (68), Olivier Davanne (78), Philippe Herzog (59), Philippe Kourilski (62). Guillaume Sarlat (95) en était rapporteur. De nombreuses autres personnalités de tous bords y participaient, dont Michel Camdessus, auteur du rapport sur Le sursaut.
La commission avait pour mission de :
• mettre en évidence les conditions dans lesquelles la dette publique actuelle s’est constituée,
• définir les orientations et les mesures nécessaires pour assurer le redressement de nos finances publiques et réduire leurs charges pour le futur,
• et proposer toutes mesures de nature à dégager des marges de manœuvre nouvelles en appui des réformes que doit mettre en œuvre notre pays, y compris des mesures relatives à la gestion de la dette elle-même.
Le titre du rapport annonce la couleur ! Nos finances publiques sont dans une situation très préoccupante : la dette financière publique est de 1 117 G€ à fin 2005 et dépasse le seuil de 60 % fixé pour la zone euro avec 65 % du PIB à fin 2004 contre 21 % en 1960. Il faut y ajouter les engagements de retraite qui représentent selon une estimation prudente 400 G€ 1.
Cette situation ne nous a pas été imposée : nous n’avons cessé de l’accepter. Elle n’est pas le résultat d’un effort structuré pour la croissance et la préparation de l’avenir mais le choix de la facilité : le recours à l’endettement a permis de compenser une gestion insuffisamment rigoureuse des dépenses publiques. Les lourdeurs et les incohérences de notre appareil administratif en sont une première explication mais ce sont principalement nos pratiques politiques et collectives et notamment notre préférence pour la dépense publique qui sont à l’origine de notre situation financière actuelle.
Nos ambitions de croissance et de solidarité sont aujourd’hui à l’épreuve car, si rien n’est fait, les déficits des régimes de retraite et d’assurance maladie vont s’aggraver avec le vieillissement de la population. Pour répondre à ces défis, les administrations publiques ne peuvent pas compter sur une augmentation substantielle de leurs ressources car les prélèvements obligatoires sont déjà à un niveau très élevé par rapport aux autres pays industrialisés (44 % du PIB contre 39,5 % pour la zone euro et 35 % pour le G7). La poursuite de l’endettement public ne résoudrait rien et nous exposerait au contraire à un risque réel d’asphyxie financière, avec un taux d’endettement porté à des niveaux insupportables : 130 % en 2020, 200 % en 2030, etc.
Notre objectif pour les cinq prochaines années doit donc être de remettre en ordre nos finances publiques en maîtrisant nos dépenses et en les orientant mieux. Cet objectif est à notre portée, écrit Michel Pébereau, à condition de respecter trois principes essentiels :
• le partage de l’effort de réduction des dépenses publiques entre l’État, les régimes sociaux et les collectivités territoriales,
• le maintien du niveau global des prélèvements obligatoires pendant la période du retour à l’équilibre,
• le réexamen intégral de l’efficacité des dépenses.
Cette nouvelle conception de l’action publique renforcerait nos perspectives de croissance et d’emploi et notre capacité de solidarité.
Une liste de 20 préconisations suit, dont le rapporteur prend soin de préciser qu’elles sont le fruit d’une commission pluraliste et ne sont ni de droite ni de gauche mais dans l’intérêt de tous les Français.
Quatre mesures concernent l’État :
(1) revenir à l’équilibre en cinq ans au maximum en stabilisant les dépenses en euros courants ;
(2) ne pas diminuer le niveau global des prélèvements obligatoires pendant cette période ;
(3) affecter intégralement les recettes exceptionnelles au désendettement ;
(4) utiliser ensuite les finances publiques pour réguler le cycle économique.
Deux mesures concernent les collectivités territoriales :
(5) stabiliser les dotations de l’État en euros courants tout en assurant la neutralité des transferts ;
(6) leur assurer une plus grande maîtrise de leurs ressources et de leurs dépenses.
Quatre mesures concernent les régimes sociaux :
(7) poursuivre la réforme des retraites en 2008 ;
(8) garantir le retour à l’équilibre de l’assurance maladie en 2009 ;
(9) garantir ensuite l’absence d’endettement ;
(10) garantir l’équilibre de l’assurance chômage.
Quatre mesures visent à réaliser ces objectifs :
(11) donner la priorité à la réduction des dépenses inefficaces ;
(12) gager toute nouvelle dépense sur la suppression de dépenses équivalentes ;
(13) réorienter dans les trois ans toutes les dépenses de l’État et de la sécurité sociale ;
(14) consacrer plus de temps au Parlement à l’analyse des résultats qu’au vote du budget ; simplifier l’organisation administrative et faire disparaître toutes les structures redondantes.
Trois mesures concernent la gestion des ressources humaines :
(15) utiliser dès aujourd’hui au maximum l’opportunité des départs à la retraite pour supprimer les sureffectifs ;
(16) lever tous les obstacles à la mobilité des agents ;
(17) fixer une part significative de la rémunération des gestionnaires en fonction de la qualité de leur gestion et du respect de leurs objectifs.
Enfin, trois mesures visent à changer la logique de nos politiques de croissance, d’emploi et de cohésion sociale :
(18) évaluer l’efficacité des réglementations publiques ;
(19) ne pas disperser les moyens publics notamment en matière d’emploi, enseignement supérieur et recherche ;
(20) faire vraiment le choix de la cohésion sociale.
Bien que la commission ait fait l’effort de remettre ses conclusions avant la fin de 2005 et que le ministre des Finances en ait préfacé le rapport, force est de constater que sa mise en œuvre a été reportée à 2007. Le budget de 2005 n’a réussi à rester en deçà des fatidiques 3 % que par des artifices de dernière minute comme le paiement du solde de l’impôt des grandes sociétés en décembre 2005 au lieu de mars 2006.
Le budget de 2006 comporte encore un déficit de l’ordre de 3 % du PIB que la hausse récente des taux d’intérêt rend a priori irréalisable. Ce budget contenait en violation de la préconisation 15 une diminution homéopathique du nombre de fonctionnaires. Les événements récents l’ont violée allègrement avec l’annonce de 50 000 créations d’emplois dans l’Éducation nationale. La préconisation 12 en a également pris sérieusement pour son grade avec le recours systématique à la dépense publique, quelquefois camouflée sous forme de réduction d’impôt, pour résoudre les problèmes des banlieues, des chômeurs, des restaurateurs, débitants de tabac et autres marins pêcheurs.