RONDES DE PRINTEMPS
On peut prendre la musique – ou la vie – au sérieux, ou l’on peut s’en divertir, même s’il s’agit d’un propos grave : quoi de plus grave, au fond, qu’un enfant qui joue ou qu’une comptine ? On peut écouter Le Jardin féérique de Ma mère l’Oye de Ravel comme la fin heureuse d’un conte de Perrault, aussi bien que comme un adieu nostalgique à l’enfance. Tout est affaire de l’humeur du moment. Aussi, que l’on veuille bien considérer les musiques qui suivent, quelque sérieuses qu’elles soient, comme de simples rondes de printemps.
Fumet, Bach
Il a déjà été question ici de la musique de Raphaël Fumet (1898−1979), exquise musique tonale qui se joue des modes et des ayatollahs. Un disque de l’intégrale de son Œuvre pour flûte1 confirme l’appartenance de cette musique au domaine du plaisir raffiné, c’est-à-dire que l’on peut aussi bien l’écouter en béotien, d’une oreille distraite, qu’en en appréciant en connaisseur les harmonies subtiles et les constructions savantes. Parmi ces dix pièces où rien n’est à négliger, un Lacrimosa pour flûte et orgue, un Diptyque baroque (et fugué) pour alto et flûte, une Cantate biblique pour quatre flûtes et violoncelle : une belle musique de printemps.
Maria Cantagrill, déjà citée à deux reprises dans ces colonnes, notamment pour un beau Concerto de Tchaïkovski, a enregistré les Partitas 2 et 3 pour violon seul de Bach2. Avec une technique sans faille, elle joue ces suites de danses avec précision et en mesure, contrairement à tant de violonistes. Une seule réserve : l’enregistrement, réalisé dans une église, produit un effet de résonance qui peut agacer, comme jadis l’enregistrement des Suites pour violoncelle seul par Rostropovitch à Vézelay.
Rameau, Moon Blues
Les 5 Concerts de Rameau, groupes de pièces aux jolis noms – La Coulicam, L’Agaçante, L’Indiscrète… – composés à l’origine pour le clavecin, ont été orchestrés dans l’esprit des « simphonies » de ses opéras par Hugo Reyne qui les a enregistrés à la tête de l’ensemble La Simphonie du Marais 3.
On connaissait ces Concerts dans leur version pour sextuor à cordes, arrangement postérieur à la mort de Rameau. L’intérêt de cet enregistrement, au-delà de la recherche musicographique, réside dans le charme qui se dégage de ces couleurs orchestrales, absentes de la version pour clavecin, et qui apparente ces pièces à des tableaux galants de Fragonard ou de Watteau.
Le jazz en trio à cordes : une gageure ? Le Trio Cordes Avides – violon, alto, basse – a enregistré sous le nom Moon Blues une douzaine de pièces qui relèvent à la fois de la musique classique par les timbres, et du jazz par les rythmes, les harmonies, les improvisations 4. Deux des instruments font office de section rythmique tandis que le troisième prend un chorus. C’est très original, très agréable à écouter, parfaitement en place, ludique. On découvre l’alto comme parfait instrument jazzique. De très jolies bossas-novas, dont une, Bossa Nostra, avec la participation de Didier Lockwood, et une belle valse : Buzenvalse.
Dommage que, sacrifiant à la mode quelque peu prétentieuse des jazzmen contemporains, l’ensemble ne joue que des compositions de son cru, et aucun standard : Ellington ou Monk, pourtant superbes compositeurs, étaient plus modestes.
Schumann, Argerich and friends
Les Feuillets d’album (Bunte Blätter) et les Chants de l’aube (Gesänge des Frühe) ne sont pas les pièces les plus jouées de Schumann, mais elles sont sans doute les plus profondes et les plus mystérieuses. L’enregistrement récent par Jean Martin5, dont le toucher très fin s’épanouit sur un Steinway au timbre chaud, servi par une prise de son exceptionnelle, nous laisse le choix : on peut, selon son humeur, trouver dans cette musique une confession de printemps, nostalgique ou passionnée selon les pièces, ou bien le pressentiment par Schumann, sombre ou tourmenté, de sa folie à venir.
Pièces de Schumann elles aussi peu jouées, c’est avec les Fantasiestücke pour trio avec piano, par Martha Argerich, Renaud et Gautier Capuçon, que s’ouvre l’enregistrement du Festival 2009 de Lugano « Martha Argerich et ses amis »6. Suit tout un ensemble de pièces rares : de Mendelssohn le Sextuor avec piano, la Sonate n° 2 pour piano et violon de Bartok, le Sextuor avec piano de Glinka, les Nuits dans les jardins d’Espagne de Falla avec Argerich et l’Orchestre de la Suisse italienne, le Quintette n° 1 avec piano d’Ernest Bloch, et plusieurs pièces pour deux pianos dont la version arrangée par Ravel de sa Rapsodie espagnole, la Rapsodie russe de Rachmaninov, les Réminiscences de Don Juan de Liszt, en particulier. Les musiciens, tous de premier plan, sont pour la plupart des découvertes de Martha Argerich, et il règne de bout en bout dans ce festival une atmosphère de rigueur passionnée et d’entente magique – contrairement à d’autres festivals où le caractère bon enfant et l’indulgence des vacanciers laissent passer l’à‑peu-près – qui font de cet enregistrement une merveille. Vive la grande Martha Argerich !
1. 1 CD Musique et Esprit.
2. 1 CD Art et Musique.
3. 1 CD Musiques à la Chabotterie.
4. 1 CD Hybrid’Music.
5. 1 CD ARION.
6. 3 CD EMI.