Rouge / Jaune / rouge / jône / rouJe / oRanJe…
Il ne s’agit bien sûr pas ici d’égyptologie, mais d’une autre énigme suffisamment ardue pour résister à la sagacité de générations de polytechniciens : pourquoi la jône ? pourquoi la rouje ?
Au commencement était le bonnet de police
L’histoire commence en 1823, l’École redevient militaire avec la Restauration. Les élèves sont dotés de deux chapeaux, l’un dur, le bicorne, l’autre mou, le bonnet de police. Dans le cas d’espèce, le règlement ne faisait que reprendre celui de 1804.
Qu’est-ce qu’un bonnet de police ? C’est la coiffure de repos (de « salle de police ») car, pour jouer à la belote, le casque n’est pas très pratique.
C’est également celle des forçats, des marins, bref, de tous ceux qui ont besoin d’avoir la tête couverte pour se tenir chaud. Le bonnet est « terminé par une touffe de fils », qui a donné d’un côté le ponpon des marins, et de l’autre le grand du bonnet de police.
Il a perduré dans les armées sous forme de calot, le calot de tradition des sapeurs pompiers ayant conservé la couleur bleue et le passepoil rouje.
Du troupier au bazoff
Ce bonnet de police chanté, par exemple, par Claris dans Notre École Polytechnique, était d’ailleurs du modèle réglementaire de la troupe du Génie, c’est à dire avec passepoil et gland écarlates1.
Bonnet de Police de sous-officier
En seconde année, l’Argot de l’X nous indique que les élèves l’échangeaient contre un « élégant bonnet de police à gland d’or », coiffure des sous-officiers, les bazoffs comme on les appelait à l’époque. Est-ce parce qu’ils étaient nommés sergents ? Négatif ! Seuls les mieux classés, faisant office de chef de caserts, les crotales, avaient droit aux galons de sergents.
Il faut ici se souvenir que le chapeau était, au XIXe siècle, une signe de reconnaissance sociale. Que les X se promènent dans Paris avec une coiffure de sous-off était somme toute assez normal. Les élèves de l’École Navale, les bordaches, ont échangé leur bachi et pompon rouge en seconde année contre une casquette de second maître jusqu’en 1923. Et puis, après tout, le bicorne de l’X, lui-même, est du modèle sous-officier.2
Puis vint le Képi
En 1843, le bonnet de police à pompon est remplacé par un plus rigide – je ferai un jour un billet sur la tendance qu’ont les coiffures militaires à se rigidifier avec le temps – à visière : le képi. Les X conservent leur bonnet, mais n’ont plus le droit de sortir avec ! On peut aisément imaginer la double conséquence sachant que les élèves, à cette époque, payaient leur trousseau :
Calot de Sapeur pompier (moderne)
- Plus besoin de payer le gland « or », remplacé à moindre coût par le jône – aussi appelé jonquille par les textes.
- Plus besoin de changer de couleur après la première année.
C’est ainsi que la rouje et la jône, à l’origine la première et la seconde année – je rappelle à ce sujet que les gendarmes parlent de la jaune pour désigner la gendarmerie mobile qui a des parements et des boutons or par opposition à « la blanche », la départementale – se sont mises à alterner, à un moment entre 1843 et 18583.
En 1874, on remplace le bonnet de police par un képi dit « de petite tenue », dont la grenade est bien entendu alternativement rouje ou jône. Hélas, le ministre se trompe en rédigeant le règlement puisqu’il écrit « elle est de couleur jonquille pour les élèves de 1ère année, et écarlate pour ceux de 2e année ». On corrige enfin par le règlement de 1887 qui précise « sur le devant du bandeau est placée une grenade(hauteur 25 mm), brodée en laine jonquille pour les élèves d’une division ; en laine écarlate pour les élèves de l’autre division, et ainsi de suite en alternant. »
Chouchous et cagoules, le triomphe du rouje
Uniformes du second Empire. Le pompon jône sur le bonnet de police est bien visible, à droite. Collection de l’auteur
Après plus d’un siècle de stricte alternance dans des domaines aussi variés que les maillots de sport, les K‑ways, la pucelle des cadres, la patte de cuir qui soutient la pucelle des cadres, voire le titre de La Jaune et la Rouge, qui ne finalement l’a emporté devant La Rouge et la Jaune qu’au nom de la commission paritaire sur la presse, les bandes de l’amphi Poincaré, le rouje semble s’imposer définitivement sur deux éléments d’uniforme : le chouchou des Xettes, et les défuntes cagoules de la défunte Khômiss
L’orange, ultime avatar
Enfin, parce que les traditions de l’X sont vivantes, une nouvelle couleur est apparue : l’oRanJe. Le terme semble être apparu dans les années 1990. Les oranges sont les camarades qui, ayant eu la chance de faire partie de deux promos successives, sont à la fois jônes et roujes. On s’éloigne de l’équipe de fooball des années 60, mélange de deux promotions, qui jouait avait un maillot orange…
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1. Le premier bonnet de police, celui de 1796, avait, lui, un passepoil et une grenade… jônes, puisque l’uniforme de l’école était semblable à celui de la garde nationale.
2. Voir par exemple l’illustration page 45 de Le grand uniforme des élèves de l’École Polytechnique.
3. Mémoires de Joseph Barba
Un Casert de la promo 1901. Le bonnet de police, galonné or a survécu. Le pompon, lui, a disparu
Ce Directeur des Etudes aimait trop les oRanJes
6 Commentaires
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Bravo
Vivent les cagoules rouges !
bravo
J’ai toujours aimé les cagoules de la Khômiss
Vivent les cagoules roujes
les commentaires le la J&R sont modérés a priori maintenant
bonsoir à tous,
c’est une excellente initiative
ça évitera aux missaires d’usurper l’identité de tel ou tel officier général
non mais !
Pompon rouge et bonnet jaune
Tout arrive dans les traditions, même des exceptions. Concernant la couleur de la cagoule des missaires, celle de la Kh 67 était « jône »
Et merci de nous instruire sur ce que nous ne vivions que comme un folklore à l’époque, et qui est en fait la trace de nos racines.
bonnet de police
le dernier avatar du bonnet de police était, je pense, le calot, distribué jusqu’à la promo 61 (jôsne et fière de l’être), mais retiré au bout de trois semaines ou un mois, pour le remplacer par un bérêt, qui était devenu réglementaire dans l’Armée de Terre. L’usage faisait qu’on le portait pas, encore moins sans doute que le calot.
Enfin !
Bonjour Serge,
enfin, une explication crédible à cette tradition ! C’est nettement plus convainquant que les histoires de soleils de cours d’astronomie peints alternativement en rouje pour mieux le voir ou en jône parce que c’est la vraie couleur du soleil, ou autres explications fantaisistes dont j’ai perdu le souvenir.
Merci !
SG