L’Open Source, au cœur de la transition énergétique
Pour faire face au défi de la transition énergétique et se préparer à l’émergence de nouveaux usages, RTE mise sur l’open source. Dans cet article, Lucian Balea (99), directeur programme open source RTE, nous rappelle les avantages de ce modèle de gouvernance et nous en dit davantage sur les projets de ce gestionnaire de réseau public dans ce cadre.
Que représente l’open source pour un acteur comme RTE ?
RTE est le gestionnaire du réseau de transport d’électricité français. Nos principales missions consistent à exploiter, maintenir et développer le réseau électrique d’environ 105 000 km de lignes à haute et très haute tension en France et assurer une alimentation électrique fiable, économique et respectueuse de l’environnement aux consommateurs. Et, dans le cadre de ces missions, RTE est donc un acteur majeur de la transition énergétique. D’ailleurs, nous avons un certain nombre de transformations pour permettre cette transition énergétique qui challenge nos façons traditionnelles de gérer le réseau électrique. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à un développement de production renouvelable décentralisée et nous nous préparons à l’arrivée de nouveaux usages tel que le développement de la mobilité électrique. Mais, l’électricité est, et restera un bien vital pour la société et pour l’économie. Il est donc important de maintenir une alimentation économique et fiable. Pour cela, RTE mise sur un certain nombre de solutions digitales et informatiques permettant d’adapter ses processus métier et accompagner cette transition énergétique. Dans ce contexte, un des challenges auxquels nous faisons face est l’accélération de cette feuille de route digitale tout en préservant la performance opérationnelle de l’entreprise.
Néanmoins, les façons traditionnelles de développer les logiciels ne livrent pas les résultats en adéquation avec ces ambitions et ces enjeux. De ce fait, nous devons imaginer de nouvelles façons d’organiser et de gouverner les projets logiciels de manière à gagner en efficacité. Et, il s’est avéré que l’open source répond parfaitement à cette problématique. En effet, ce modèle de gouvernance a déjà fait ses preuves dans de nombreuses autres industries. Il permet de gagner en performance, d’accélérer les projets, de mutualiser les coûts de développement et de stimuler l’innovation.
C’est donc pour cette raison que RTE a décidé de s’y intéresser. Nous avons fait le pari de transposer ce modèle à l’industrie électrique. Cette démarche s’est matérialisée par une vision ambitieuse de l’open source. C’est dans ce cadre, que nous avons justement engagé une collaboration avec la Linux Foundation, la fondation open source la plus importante au monde. Cette dernière est basée en Californie et héberge les projets logiciels phares. Cette collaboration entre RTE et Linux Foundation a abouti à la création de Linux Foundation For Energy, une sous-fondation dont nous sommes membre stratégique.
Justement, avec LF Energy et Savoir-faire Linux, vous avez développé une plateforme open source d’automatisation et de protection des postes électriques. De quoi s’agit-il concrètement ?
Il s’agit de l’un des projets emblématiques que nous avons développés selon cette gouvernance open source. Dans les réseaux électriques, nous déployons des systèmes de contrôle commande et d’automatisation qui visent à réagir à des aléas pouvant survenir (une ligne frappée par la foudre par exemple). Ces automatismes ont vocation à réagir et à maintenir le réseau électrique dans des plages de fonctionnement qui ne met pas en danger la vie des personnes ou de matériels. Et, traditionnellement ces systèmes d’automatismes, nous les déployons sous forme de composants matériels, à savoir des boîtiers que nous installons sur le terrain. Pour répondre aux enjeux de la transition énergétique, nous devons faire évoluer ces systèmes de contrôle commande pour les adapter fonctionnellement aux nouveaux usages. Nous avons la conviction que si nous pouvons convertir les fonctions qui sont aujourd’hui déployées sous forme de matériels en logiciels, nous gagnons en agilité et efficacité. En effet, il est beaucoup plus simple de déployer du logiciel sur une plateforme à distance que d’installer un équipement sur le terrain. Au-delà de l’agilité, cela apportera également des gains d’exploitation et de maintenance ainsi que la capacité d’avoir davantage d’innovations dans ces systèmes.
Aujourd’hui, la technologie informatique qui a été poussée par d’autres industries notamment celle de l’automobile a gagné en maturité et pourrait répondre à nos besoins.
En revanche, nous devons être en mesure d’embarquer tout notre écosystème dans cette vision. C’est dans ce contexte, que RTE et Savoir-faire Linux ont lancé conjointement la plateforme de virtualisation Seapath (Software Enabled Automation Platform and Artifacts – THErein -). L’objectif est de développer en temps réel une solution de conception de référence et de qualité industrielle qui peut exécuter des applications virtualisées d’automatisation et de protection. Cette plateforme est destinée à héberger des applications multifournisseurs.
Par ailleurs, en présentant ce projet, Alliander, un autre gestionnaire de réseau de distribution a tout de suite adhéré au projet.
Quels sont les avantages de cette démarche ?
Le premier bénéfice de cette démarche est la mutualisation. RTE est bel et bien confronté aux enjeux de la transition énergétique, mais, tous nos homologues européens le sont aussi.
Il s’agit même d’un challenge planétaire ! Et, nous avons une convergence d’intérêt d’autant plus forte en Europe du fait de la réglementation commune qui vise à harmoniser les pratiques. En y travaillant à trois, nous réduisons les coûts et les délais par trois et triplons notre efficacité.
Par ailleurs, l’open source est un cadre propice à l’innovation. Elle permet aux acteurs ayant des compétences et savoir-faire complémentaires de se retrouver, et très souvent de manière fortuite. À titre d’exemple, Alliender est l’un des principaux partenaires de RTE dans les projets open source. Pourtant, nous n’avions jamais travaillé ensemble auparavant. Enfin, les projets open source permettent de penser des solutions de manière interopérable et intégrée. Il s’agit d’un aspect important et qui va dans le sens de la vision du système électrique futur, beaucoup plus décentralisé.
Enfin, l’open source représente aussi une dimension intéressante pour les recrutements. À mesure que les solutions digitales et informatiques prennent davantage de place dans la quasi-totalité des secteurs industriels, nous avons une concurrence croissante concernant le recrutement de bons développeurs. Chez RTE, nous ne nous contentons pas de recruter mais de proposer une opportunité de carrière de développeur, qui soit à la fois impliqué sur des enjeux de transition énergétiques mais aussi dans des modèles de développement open source. Certes, RTE n’est pas a priori perçue comme une entreprise phare du domaine informatique, mais nous avons de nombreuses offres et suscitons l’intérêt de nombreux développeurs.
Quelles sont vos perspectives, mais également vos enjeux ?
Aujourd’hui, nous souhaitons accélérer l’innovation de notre feuille de route logicielle en lien avec les enjeux de la transition énergétique. La sévérité du changement climatique et l’importance de cet enjeu sont croissantes. Selon les rapports du GIEC, les impacts du changement climatique auront des effets dévastateurs importants sur la nature et les populations dans toutes les régions. La pression et les attentes de la société pour résoudre ce challenge vont s’intensifier et l’entreprise ne doit pas être un facteur limitant dans les transformations à venir.
Quelles sont les prochaines étapes pour RTE sur ce sujet ? Quels sont les objectifs que vous vous êtes fixés ?
Nous avons pour objectif de développer des collaborations open source autour de projets cœur de métier.
Nous nous inscrivons dans une logique de Think big, Start small, Learn fast, qui nous a permis de construire une image assez ambitieuse de l’open source.
C’est en 2018 que nous avons commencé à y travailler et aujourd’hui nous avons sur la table deux projets open source et sept projets cœurs de métier. Nous comptons poursuivre sur ce chemin et voir les bénéfices des collaborations se matérialiser.