Bach, Marais
Bach, Marais
Bach, Marais
L’enregistrement par Casals en 1936–1939 des Suites pour violoncelle seul de Bach est mythique ; sa reprise en CD, avec une très bonne qualité technique1, apporte la preuve de son caractère unique, qui le fait s’imposer même aux versions qui s’en rapprochent le plus (Tortelier, Yo-Yo Ma) : joie dionysiaque, liberté, chaleur du timbre font que même les imperfections (que les moyens de l’époque ne permettaient pas d’effacer) sont délectables. Un interprète profondément humain pour nous rapprocher de Dieu2.
On poursuit, avec le 3e Livre3, la publication des Pièces de viole de Marin Marais, contemporain de Bach, qui marquent, avec les pièces de clavecin de Couperin, l’apogée de la musique française des XVIIe-XVIIIe siècles. Ces cinq suites de danses atteignent à l’universalité autant que les Partitas et Suites Anglaises ; aussi, bien que très joliment jouées ici par deux basses de viole (J.-L. Charbonnier et P. Rousseau), un théorbe et un clavecin, on aimerait les entendre par un ensemble contrebasse-violoncelle-guitare- piano.
On retrouve Bach avec un recueil de pièces pour orgue rassemblées sous le titre Alla maniera italiana4, jouées par Luca Scandali sur un très bel orgue moderne. Les thèmes, dont certains sont empruntés à Corelli, Albinoni, etc., les formes, dont canzona, pastorella, sont bien d’origine italienne. Mais ni pastiche, ni adaptation : ce ne sont que des ingrédients limités dans une alchimie dont Bach reste le maître unique.
Pianistes
Piotr Anderszewski, dont l’enregistrement des Partitas a fait date, joue, à côté de la Suite Anglaise n° 6, la Sonate opus 110 de Beethoven et les Variations opus 27 de Webern5. Sérénité, fidélité au texte, absence de maniérisme et de recherche gratuite d’effets, ces qualités avaient frappé ceux qui ont eu la chance de l’entendre à La Roqued’Anthéron. Dans Webern, elles confèrent à son jeu l’élégance d’une démonstration mathématique. Mais c’est dans l’Opus 110 qu’elles s’épanouissent, faisant de cette sonate, peut-être la plus profonde de Beethoven, et donc souvent l’objet de tous les excès, un modèle de clarté dans la droite ligne de Bach.
Murray Perahia fait partie de cette lignée de très grands interprètes qui placent au-dessus de tout la fidélité à l’œuvre jouée, dont Richter a été l’archétype, et à laquelle se rattache Anderszewski. Il joue sur un disque récent une autre grande sonate de Beethoven, l’Opus 1016, avec ce souci de retenue et de simplicité qui le caractérisent, et qui la dépoussièrent des scories accumulées par nombre d’interprétations trop beethoveniennes. Sur le même disque, une transcription orchestrale, par l’Academy of Saint Martin in the Fields dirigée par Perahia, du Quatuor n° 12 de Beethoven.
Enfin, un inédit inattendu, les 24 Préludes de Chopin par Rudolf Serkin7, dans la veine également simple et claire de Serkin, complétés par un étonnant Prélude et Fugue n° 1 de Mendelssohn.
Voix
Domenico Scarlatti est surtout connu pour ses sonates pour clavier, mais on lui doit aussi de la musique sacrée pour chœurs, dont un Stabat Mater qui est un chef‑d’œuvre absolu, enregistré naguère par l’Ensemble William Byrd8. À mi-chemin entre les cantates de Bach et les madrigaux de Monteverdi, une œuvre complexe d’une écriture extrêmement raffinée, que complètent notamment une Missa Breve et un Te Deum.
Sous le titre Gentil Mia Donna – Petrarca e la musica, l’ensemble instrumental et vocal Fuoco et Cenere dirigé par Jay Bernfeld a enregistré des poèmes de Pétrarque (XIVe siècle) mis en musique par divers compositeurs depuis Guillaume de Machaut (XIVe) jusqu’à Monteverdi (XVIIe)9 en passant par Dufay, Sermisy, Palestrina, etc. L’intérêt du recueil est de montrer la grande variété des musiques inspirées au long de trois siècles par ces textes amoureux, musiques dont la seule ambition était de divertir.
Ressusciter d’agréables duos vocaux du XIXe siècle – Mendelssohn et sa sœur Fanny, Schumann, Brahms, Dvorak – est une bonne occasion de découvrir Barbara Bonney, soprano, et Angelika Kirschlager, mezzo10, et le pianiste Malcolm Martineau, digne successeur de Gerald Moore : pièces exquises, d’où se détachent les Duos Moraves de Dvorak, et qui exhalent le parfum faussement paisible des salons bourgeois de Berlin et de Prague.
DVD
On peut distinguer trois types de DVD musicaux : les reproductions d’anciens concerts filmés (généralement pour la télévision), comme ceux de David Oïstrakh11 et Jacqueline Dupré12 ; les œuvres filmées pour le DVD, comme Lady Macbeth de Mzsensk, de Chostakovitch13, Les Boréades, de Rameau14 ; enfin, les œuvres conçues en tant que multimédia comme les Variations Goldberg, de Bach/Axel Arno15 et The Map, de Tan Dun16.
Les interprétations par Oïstrakh des Concertos de Brahms, Sibelius, Tchaïkovski, avec le Philharmonique de Moscou dirigé par Guennady Rozhdestvensky, filmées par la télévision soviétique dans les années 1960, sont comparables à des incunables, d’irremplaçables joyaux d’archives, même si la qualité technique est rien moins que satisfaisante. “ Jacqueline du Pré in Portrait ” permet de cerner la personnalité lumineuse de la jeune violoncelliste à la vie brève, et présente, outre le Concerto d’Elgar qui la rendit célèbre et le Trio n° 5 de Beethoven, un très beau film sur sa vie et une compilation de films d’archives avec les plus grands : Perlman, Segovia, Milstein, Kissin…
Lady Macbeth de Mzensk, opéra majeur du XXe siècle, a été filmé au Gran Teatre del Liceu de Barcelone, dans une production dirigée par Alexander Anissimov. Comme tous les opéras, il gagne évidemment à être vu, et le DVD a un apport irremplaçable, avec en outre le choix de la langue pour les sous-titres ; et la qualité technique de l’enregistrement (2002) est hors pair. De même, ceux qui ont eu la chance de voir Les Boréades au Palais Garnier en 2003 retrouveront ici la superbe distribution avec Barbara Bonney et Paul Agnew, et les Arts Florissants de William Christie, servis par un son exceptionnel.
Le DVD des Variations Goldberg, produit par notre camarade J.-P. Férey (Skarbo), constitue un essai ambitieux de “ musique multimédia ”, associant à une œuvre musicale, jouée par un très bon pianiste, Daniel Propper, une succession d’images abstraites dues à Axel Arno. Apparier images et sons est une tentation ancienne, qui remonte au moins à Rimbaud et Baudelaire. L’essai est évidemment tout à fait subjectif, mais il est novateur et donc intéressant.
The Map, “ concert multimédia en plein air dans la Chine rurale ”, devrait faire date dans l’histoire de la musique. Tan Dun, dont on connaît les belles musiques de film, a enregistré, tel Bartok, mais en vidéo, des musiciens et chanteurs traditionnels au fin fond de la province du Hunan, et a composé à partir de ces pièces un concerto grosso pour violoncelle, orchestre et vidéo (les enregistrements recueillis), d’abord destiné à Yo-Yo Ma et au Boston Symphony, puis joué – et filmé – dans le village où les musiciens traditionnels avaient été enregistrés, devant la population, avec le Shanghai Symphony et le concours de certains des musiciens locaux. Ce qui aurait pu n’être qu’une habile opération médiatique est en réalité une extraordinaire réussite, qui symbolise la fantastique capacité de la Chine d’aujourd’hui à bâtir une société moderne sur les valeurs traditionnelles (le film qui décrit la genèse de l’œuvre est particulièrement fort et émouvant). Vive la Chine, Môssieu !
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1. 2 CD EMI 5 62611 2.
2. Ou de Yahvé, ou Allah, ou l’Être Suprême, bien sûr.
3. 2 CD Pierre Verany PV704101/02.
4. 1 CD Pierre Verany PV704111.
5. 1 CD VIRGIN 5 45632 2.
6. 1 CD SONY SK93043.
7. 1 CD SONY 5177212.
8. 1 CD Pierre Verany PV704103.
9. 1 CD ARION ARN68648.
10. 1 CD SONY SK93133.
11. 1 DVD EMI.
12. 1 DVD Opus Arte /BBC.
13. 2 DVD EMI.
14. 2 DVD Opus Arte/Opéra de Paris.
15. 1 DVD Skarbo.
16. 1 DVD DGG.