SARS-CoV‑2 : « Où est caché le loup ? »
« L’obsession de précision numérique sans attention aucune à la pertinence est le meilleur traceur de l’absence de culture mathématique véritable. »
Carl Friedrich Gauss (1777−1855)
Début mars 2020, je préparais une navigation de Roscoff à Hammamet en voilier sans penser que ce périple allait être mis à mal par un phénomène en train de devenir mondial à cause d’une « bestiole » au nom presque imprononçable : le SARS-CoV‑2. Frustré par cette atteinte à ma liberté chérie, je me suis rabattu sur une navigation intellectuelle dans des contrées que je ne fréquente pas habituellement, et j’ai cherché à me faire une opinion d’honnête homme sur le phénomène en question et sa « bestiole ». C’est ce périple que je vous propose d’accomplir en ma compagnie.
Petite navigation d’essai en Virussie
À peine partis et déjà un premier débat se fait jour : cette « bestiole » n’en est pas une, et pourtant…
Un virus n’est sans doute pas un organisme vivant : c’est un triste sire qui ne se reproduit pas, ni en solitaire, ni avec des ami(e)s ; il se réplique par contre, plutôt comme un parasite, en détournant à son profit la machinerie génétique de nos petites cellules à nous. Alors, un virus est un être ou un non-être ? Shakespeariens en diable, ces virus.
Je passerai sur les données connues de ce virus, virus à ARN Classe IV, introduction dans nos cellules via sa protéine Spike et le récepteur ACE2 de nos cellules, ciblage principalement des cellules épithéliales de notre appareil respiratoire, mais pas que… etc. Je citerai cependant une spécificité de ce virus : il contourne une défense immunitaire (inhibition de la sécrétion d’interféron) ET « en même temps » (oui, je sais…) il renforce « l’appel aux armes » généré par les cytokines qui créent une accumulation de neutrophiles et macrophages dans nos organismes, cet excès générant des lésions souvent fatales.
Avec quelles cartes et quelles données va-t-on naviguer ?
Encore des débats ouverts… Les cas infectés dépendent de la politique de tests, les tests ne sont pas super fiables, ils ne testent pas tous la même chose, et puis on ne peut pas tester tout le monde, et puis il y a les asymptomatiques, et puis les décès ne sont pas tous comptabilisés, et puis les causes des décès sont multiples et pas toutes attribuables au seul virus… etc.
Pour notre navigation, nous utiliserons les seules données répertoriées « décès par 24h à l’hôpital » collectées par Santé Publique France [1]. Ce sont les données les moins sujettes à caution dont nous disposons et elles représentent une sous-population de la population française importante en nombre et en tout cas très significative. Les données sur les cas recensés (tests positifs) sont à éviter car difficilement interprétables en dehors d’étude spécifique sur échantillon suffisamment grand et représentatif.
Nous avons représenté les données disponibles jusqu’au 21 août 2020.
Dans tout le reste du document quand nous parlerons des décès, ce sera toujours de ces décès-là dont nous parlerons.
L’illustration 1 ci-dessous décrit ces données à partir du 19 février 2020.
Au premier regard, on voit un phénomène de saisonnalité hebdomadaire, qui consiste en une sous-collecte des données le week-end, compensée par une sur-déclaration le lundi et parfois le mardi suivants.
Avec mon mauvais esprit habituel j’ai tout de suite pensé à une nouvelle « exception française ». Eh bien non, à l’examen des données mondiales et pays par pays (merci Johns Hopkins University) cette exception est en fait mondiale. (Pour ceux qui sont encore attentifs, oui il y a bien un « s » à Johns).
Les moyennes mobiles à sept jours sont donc également représentées pour gommer le phénomène des week-ends, mais nous avons travaillé ultérieurement avec les deux types de données (brutes ou MM7jours)
Au deuxième regard, on peut observer que, depuis le 11 juillet, le nombre des décès quotidiens varie entre 9 et 13 (en moyenne mobile 7 jours). On ne manque pas d’être surpris, dès lors, par nombre de commentateurs qui alertent, alarment et crient au loup sur les perspectives de la rentrée de septembre, au vu des chiffres quotidiens des cas d’infection constatés en juillet et en août. Ils ont l’air d’oublier que les décès d’aujourd’hui suivent proportionnellement les mêmes courbes que les infections d’hier (certes décalés de 15 jours environ). Imaginez un navigateur qui déclare prévoir le prochain coup de vent en analysant les variations du clapot alors qu’il navigue par force 1 !
Je vous invite à regarder les données réelles depuis même la date du déconfinement définitif du 22 juin : si ça n’est pas du clapot, ça y ressemble grandement.
Une escale technique dans la cité modèle de Kermack et McKendrick
Le propre d’une escale technique, ce n’est pas la détente : point de pub, point de musique irlandaise, point de tapalerias non plus, … on fait seulement le plein de ressources qui nous seront utiles pour la navigation future.
L’architecture de la cité
Après Ross & Hudson en 1917, nos amis Kermack & McKendrick [2] ont construit vers 1927 une nouvelle cité dont l’architecture est la suivante :
- une seule infection peut engendrer un processus autonome de développement de l’infection ;
- le résultat de la maladie est l’immunité ou le décès ;
- les contacts suivent la loi d’action de masse (le nombre de contact entre susceptibles et infectés par unité de temps et de surface est proportionnel au produit de leurs densités spatiales respectives) ;
- tous les individus sont susceptibles de manière indifférenciée (homogénéité) ;
- la population est fermée (effet démographique négligeable sur la période concernée par l’épidémie) ;
- la population est suffisamment grande pour garantir la pertinence d’un modèle déterministe (vs. stochastique).
Les équations qui en résultent
La manière dont les hypothèses ci-dessus conduisent aux équations du modèle est particulièrement intéressante et je vous conseille vivement la lecture du journal de bord cité en référence [4] dans lequel elles sont consignées.
Nous n’en rappellerons que les éléments clés :
R° est souvent appelé nombre de reproduction basique, il est fondamentalement associé au temps t=0, au démarrage de l’épidémie. Parler de R° au cours de l’épidémie est symptomatique d’une mauvaise connaissance du sujet …
R° = β.Ti.S°
Lorsque R° est > 1, le système converge vers un état d’équilibre stable (S∞ ; 0) et une épidémie a lieu ; lorsque R° est < 1 les infections décroissent immédiatement à partir de I°.
Ti = 1/γ est la durée moyenne de l’infection.
β est le coefficient d’infectivité.
S(t) est la population des individus susceptibles d’être infectés, I(t) celle des infectés au sens du modèle [6].
S° et I° les conditions initiales à t =0 et Im la valeur maximale de I.
La langue parlée dans le pays des modèles
Nous allons maintenant poursuivre notre navigation au pays des modèles, en gardant à chaque étape comme but de rapprocher, sur de plus en plus longues périodes, les modèles des seules données que nous avons considérées comme pertinentes, à savoir les chiffres des décès par 24h.
Je ne vous l’ai pas dit, mais ce pays des modèles est peuplé de tribus diverses, les Logues, très accueillants d’ailleurs, les Logistes, etc., mais la tribu prépondérante est la tribu des Zateurs. Inutile de vous dire qu’ils ont tous des langues différentes, dont certaines sont parfois intraduisibles.
Très peu de Iciens par contre, avec lesquels nous aurions pourtant eu une affinité particulière, c’est dommage car nous aurions compris plus aisément leur langue.
Quant aux Zateurs, ils adorent un dieu particulier qu’ils appellent R° (je connaissais Ra et Rê mais bon, pourquoi pas R° ?). Comme beaucoup de dieux, il est multiformes : il représente un certain comportement à l’origine et « en même temps » (décidément, on dirait que les systèmes simples sont en noir et blanc et les systèmes complexes ou vivants sont « en même temps ») il est fondamentalement lié à l’équilibre du système (à l’infini) et surtout à la stabilité de cet équilibre… Il y a même des livres entiers sur ce dieu R° [3].
Il nous faut donc nous familiariser avec la langue des Zateurs et pour ce faire nous promener dans la représentation des modèles.
Nouvelle question existentielle : c’est quoi un modèle ?
Pour faire simple et utile pour notre navigation future, nous dirons que c’est un ensemble d’EDO muni de conditions initiales et de paramètres adéquats (oui, je sais, beaucoup de choses sont dans le « adéquats », sensibilité, identifiabilité, etc. mais cela n’est pas l’objet de notre périple). Tous les modèles des Zateurs, même les plus sophistiqués, suivent ces principes. On utilisera souvent le terme modèle SIR pour les désigner.
Un bon dessin valant mieux qu’un long discours, les illustrations 2.1 à 2.4 suivantes, représentant une épidémie fictive, montrent l’allure de différents modèles :
Représentation de S(t) et I(t)) pour :
- des R° (>1) différents (10.0, 3.0, 2.0, 1.5) (c’est à dire pour des infectivités β différentes),
Les autres paramètres sont les mêmes, à savoir :
- Ti égal à 7 (IAV par exemple) ;
- S° étant la proportion de susceptibles dans la population (N) : S°=100 % (de N) ;
- I° égal à 100/N, N égal à 65E+06.
Ces valeurs ne sont pas celles des paramètres de notre épidémie et ne sont utilisées que pour les besoins du graphique.
Les premiers enseignements de ces variations sur un même modèle à infectivités différentes sont les suivants :
- il suffit d’une très petite valeur de I° pour infecter une population (réputée homogène) ;
- dès que le R° est significatif (>3) il reste peu de susceptibles (non-infectés) en fin d’épidémie ;
- avec un R° pas très grand (1< R° <3) et un petit I°, il faut un temps non négligeable pour que l’épidémie atteigne son pic.
Avec ce premier vocabulaire acquis pour parler la langue des Zateurs, plusieurs débats s’ouvrent tout seuls :
- le pic de notre épidémie, même si on ne le connaît pas précisément (aux alentours de début avril 2020), n’a pas l’air d’avoir eu besoin de beaucoup de mois pour être atteint… ce qui devrait nous inciter à penser que son R° n’est pas franchement petit ;
- et pourtant on n’arrive même pas à trouver 10 % de la population infectée… alors que, avec un R° un peu musclé, la population en très grande majorité devrait être sinon immunisée, du moins avoir « rencontré » le virus…
Encore un loup !
La seule solution : engager un début de dialogue avec les Zateurs, malgré notre vocabulaire basique, et petit à petit confronter nos données sur les décès avec leurs modèles.
Les bases pour entamer le dialogue avec les habitants de la cité modèle
Sur quelles bases stables pouvons-nous engager le dialogue à ce stade ?
- Les décès par 24h à l’hôpital sont des données (les seules) que l’on peut considérer comme pertinentes,
- la durée pour un individu entre le début de l’apparition des symptômes et le moment où on ne constate plus d’infection est en moyenne entre 14 et 28 jours. La période de latence est a priori inférieure à 4 jours. On peut donc faire une hypothèse raisonnable au sujet de Ti.
Que dire de la létalité (% des décès des personnes infectées) de la « bestiole » ?
Là encore, les débats sont nombreux : 3 % dit-on dans un pays, 1 % dit un autre, 0,53 % dit l’Institut Pasteur à partir des données collectées à bord du Diamond Princess (un échantillon qui certes comporte des biais mais du moins est utilisable) ou encore un taux nettement plus faible que 0,5 % ?
Et tout cela en supposant que la population est homogène, alors que les vieux (à quel âge est-on vieux ? vaste question …) ont des taux de létalité plus élevés…
Incapables de tenir un langage clair sur la létalité à ce stade, et pour les besoins de ce premier dialogue, nous ferons comme si la létalité était de l’ordre de 0,5 %. (Nous avons adopté le taux de 0,546 % pour nos calculs initiaux).
Pour les décès, nous avons retenu le 19 février comme origine des temps.
Pour Ti nous avons retenu la plage de valeurs entre 14 et 32, les infectés non passés par l’hôpital se situant plutôt vers 14 et les autres vers 32. Nous ferons donc varier Ti entre ces valeurs lors de nos rapprochements successifs entre les décès et les modèles.
Le dialogue s’engage : rapprochement avec les décès du 19 février au 3 avril
La courbe des décès se déduisant des infections par proportionnalité du taux de létalité, nous avons demandé à nos interlocuteurs Zateurs de convenir du même taux de létalité.
Nous sommes alors convenus sans trop de difficulté, grâce sans doute à notre compréhension meilleure de la langue des Zateurs, d’effectuer ce rapprochement pour les décès entre le 19 février et le 3 avril. Par contre, n’ayant pas du tout les mêmes rites religieux qu’eux, nous avions du mal à nous représenter leur dieu R° (dont on a vu plus tôt qu’il était multiformes), c’est pourquoi nous avons choisi de l’examiner sous toutes ses coutures de la valeur 3 jusqu’à la valeur 11.
Un terrain d’entente commun n’était pas acquis d’avance, mais nous avons finalement mis en évidence que, sur la plage des valeurs retenues pour Ti, il existe une plage de possibilités pour les différents visages du dieu R° qui se restreint : R° ne peut guère descendre en-dessous de 3,6 et non plus se situer bien au-delà de 7,3.
Les voies de R° ne seraient-elles plus aussi impénétrables ?
Un loup est encore apparu (ça va finir en meute, je vous le dis) : le paramètre S° censé représenter la population des susceptibles à l’origine est, dans tous ces cas de R°, nettement plus faible qu’imaginé …
Bon ! ça a le mérite d’être compatible avec le faible nombre d’infections identifiées sur le terrain, mais nos interlocuteurs étaient passablement interloqués, au point d’envisager de rompre les palabres !
Par chance nos Zateurs étaient dans l’ensemble très polis et, comme nous ne souhaitions pas interrompre le dialogue, nous sommes convenus que nous discuterions de ce point ultérieurement.
Et si … ?
Et si… on essayait un rapprochement avec les décès du 19 février au 1er juillet
Tous nos diplomates étaient sur le pont : comment émettre cette idée sans un clash retentissant ?
En effet, la question posée était : existe-t-il un visage du dieu R° compatible, non seulement avec l’égalité des décès du 19 février au 3 avril, mais carrément du 19 février jusqu’au 1er juillet alors même que ces décès sont supposés avoir été impactés par le confinement ?
Nous nous sommes arrêtés au 1er juillet car au-delà les données sont faibles et probablement liées à des superpositions de phénomènes très locaux qui ne suivent plus l’évolution générale (comme le clapot vous dis-je…).
Pour ce faire, nous avons directement effectué ce rapprochement sur les données réelles des décès sur la totalité de cette période.
Nous avons continué notre dialogue avec les Zateurs. Le résultat était bien évidemment incertain.
Nous avons donc recherché dans le spectre des valeurs de R°, celle(s) qui permettaient de rapprocher les données de décès entre réel et modèle(s).
Le chemin vers R° fut laborieux mais à un moment il s’est éclairé et nous avons trouvé un visage très net du dieu R° qui était compatible de manière optimale avec cette potentielle hérésie consistant à dire que les décès réels et ceux d’un modèle sont identiques sur la période allant du 19 février au 1er juillet.
Le travail effectué, et après de longues palabres encore, nous pouvons vous livrer le résultat dans les illustrations ci-dessous, avec les données réelles des décès en moyenne mobile 7 jours (Illustration 3.1) et avec les données brutes des décès (Illustration 3.2).
Il existe en effet un ensemble de valeurs pour les paramètres Ti (durée moyenne de l’infection), R° (nombre de reproduction de base) et β (infectivité), qui permettent d’approcher de manière optimale l’ensemble du spectre des décès par 24h du 19 février au 1er juillet par un modèle SIR.
Le dieu R° a maintenant un visage (« le Modèle ») : R° = 5.5, Ti = 20 et β = 1.53 E‑06
Pour mémoire, les autres paramètres utilisés sont un taux de létalité Alfa = 0,546 % et un nombre de cas infectés à l’origine I° = 28
Les Zateurs se tenaient cois, la bouche ouverte, et nous-mêmes obligés d’avouer que « le modèle » approchait les décès réels de manière bien plus complète que nous avions réussi à le faire lors de navigations précédentes… Bref tout le monde était silencieux.
En effet, l’épidémie aurait suivi un cours indépendant de toute mesure de confinement !
À ce moment précis, ils sont tous apparus… la meute au grand complet !
Et c’est là que la chasse aux loups a vraiment commencé.
Avant la chasse on fourbit ses armes
Avant de partir pour une telle battue, il importe de bien fourbir ses armes…
a) Les données pertinentes sont toujours les décès par 24h à l’hôpital et la sous-population correspondante.
Les éléments que l’on peut considérer comme acquis, suite à notre navigation au pays des modèles sont les suivants :
b) Il existe un modèle SIR (« le modèle ») pour lequel les décès suivent avec une excellente adéquation la courbe des décès réels par 24h à l’hôpital sur la quasi-totalité de la période de l’épidémie, à savoir du 19 février au 1er
c) Les paramètres principaux de « le modèle » sont les suivants :
- Durée moyenne de l’infection au sein d’un individu :
Ti = 20 jours
- Nombre de reproduction de base :
R° = 5,5
- Coefficient d’infectivité :
β = 1,53 E‑06
Les valeurs de Ti et de R° sont parfaitement plausibles, pas de loup de ce côté-là.
En ce qui concerne le coefficient d’infectivité, ce chiffre ne semble pas incohérent avec les valeurs publiées (entre 1.0E-05 et 1.0E-07) pour des virus connus (Influenza A Virus en particulier…).
La chasse au(x) loup(s)
Récapitulons maintenant nos rencontres avec les loups :
1) Si « le modèle » (cf. illustration 6.1) est pertinent, alors le confinement en tant que tel n’a pas eu d’influence sur l’évolution des décès par 24h à l’hôpital.
Les mesures « barrières » recommandées deuxième quinzaine de février ont-elles été suffisantes pour déterminer cette évolution ?
Le déclenchement du confinement s’est-il situé trop près du pic et donc trop « tardivement » pour avoir une réelle influence ?
2) Si « le modèle » (cf. illustration 6.1) est pertinent, et avec un taux de létalité pris par hypothèse aux alentours de 0,5 %, cela signifie que la sous-population infectée associée aux décès est au moment du pic de l’ordre de 100 000 individus et la population des susceptibles à l’origine de l’ordre de 200 000.
Ces chiffres sont surement inférieurs aux chiffres concernant la totalité de la population. En effet la sous-population associée à nos décès n’est pas la totalité de la population française, et les chiffres cumulés des décès au sein de la population sont plutôt de l’ordre du double (en incluant EPHAD, EMS et décès « à domicile »).
Cependant, le constat est qu’au 16 août 2020 le nombre de tests effectués est de l’ordre de 5 millions et le nombre de cas diagnostiqués et/ou testés est de l’ordre de 240 000.
Bref, la population identifiée comme ayant été infectée est effectivement faible, voire très faible pour un R° qui est largement supérieur à 1.
On peut dès lors « pister » 3 traces de loup :
- une partie de la population aurait été immunisée (?) préalablement et la population des « Susceptibles » au sein de la population française est inférieure à 1 % ?
- le taux de létalité réel est très inférieur à celui pris comme hypothèse (qui est pourtant en fourchette basse de ce qui a été décrit ici ou là) ?
- un mélange de ces 2 pistes ?
Comment expliquer qu’il y ait aussi peu de cas d’infection identifiés en France ?
Même si les tests virologiques et sérologiques n’ont pas concerné la population entière, force est de constater qu’ils mènent à des hypothèses sur le nombre total de personnes infectées de l’ordre de 10 % de la population (seulement ! devrait-on dire).
La piste constituant à dire qu’une partie de la population a réagi de manière très rapide à l’infection est une autre piste tentante : le système immunitaire inné (cellules dendritiques, macrophages, cellules NK et neutrophiles) pourrait avoir digéré les virions et les cellules infectées avant même que le système immunitaire adaptatif (en particulier lymphocytes B, producteurs des anticorps) ait eu le temps d’intervenir (délai entre 5 et 7 jours) ?
Cela pourrait éventuellement expliquer pourquoi on déclare « non-infectés » des individus qui ont été infectés mais n’ont pas produit d’anticorps (ou en quantité non détectable) … mais ceci est une autre histoire sujette à une autre navigation que j’ai entreprise par ailleurs.
3) Si nous laissons de côté « le modèle », malgré sa pertinence, pour adopter un modèle SIR qui n’est conforme aux décès que sur la période du 19 février au 3 avril, par exemple, et en recherchant le plus petit R° qui convient, on trouve un R° de 4,65 (toujours avec Ti=20) qui ne change pas fondamentalement la nature des loups évoqués en 2).
On pourrait cependant imaginer que l’évolution suit cette courbe (Ti=20 ; R°= 4.65) jusqu’au 3 avril puis (confinement oblige) « bascule » sur les données de « le modèle ». Le loup évoqué en 1) n’en est alors plus un, le nombre de décès cumulés au 1er juillet serait alors de 35 000 (par rapport au réel 19 000) et on en déduirait que le nombre de décès directs évités grâce au confinement s’élève à 15 000 environ… On demeure bien loin des 300 000 en France ou des 3 millions en Europe !
4) Des modèles SIR plus sophistiqués conduiraient à d’autres chiffres ?
Des modèles à plusieurs segments de Susceptibles ou à plusieurs segments d’Infectés (asymptomatiques) auraient une influence sur la création de phases différentes au cours de l’évolution de l’épidémie mais ne résoudraient guère les loups soulevés en 1) et 2).
5) Des modèles encore plus sophistiqués (mais ils ont toujours une base SIR), modèles consistant à tenir compte de structures de contact, par âge, par localisation, ont été utilisés abondamment… Ils sont de nature à atténuer les gros loups soulevés en 2) en particulier en diminuant la proportion de Susceptibles à l’origine, mais ne répondent pas aux questions soulevées.
6) Alors d’autres modèles non construits sur une base SIR ?
Dans tout ce qui précède, les modèles SIR considérés font l’hypothèse que l’infectivité d’un individu suit au cours de sa période de contagiosité une courbe du type :
Une autre forme pour l’infectivité A mériterait d’être recherchée et une piste est à suivre pour l’identifier.
Pour autant les loups disparaitraient-ils pour autant ?
Retour de chasse : une opinion d’honnête homme
Je pourrais « briser là » et m’arrêter sur ce flot de questions non résolues, mais je pense qu’il serait malséant, après tous ces efforts de navigation que vous avez accomplis avec moi, que je ne vous donne pas mon opinion personnelle. Comme d’habitude, elle n’engage que son auteur …
Je vous livre donc mes convictions ci-après.
- J’ai rarement vu des adéquations aussi bonnes entre réel et modèle sur d’aussi longues périodes de temps (comme « le modèle » avec les décès) qui ne soient pas pertinentes et signifiantes. Le modèle de cette épidémie est bien un modèle de type SIR particulier (Ti=20 ; R°=5.5 ; β = 1.53 E‑06).
Il me reste à effectuer l’analyse correspondante pour les autres pays, mais il est très probable qu’ils seront similaires. - Le confinement sous sa forme maximale déclenché le 16 mars a eu peu d’impact direct sur l’évolution de l’épidémie.
En particulier, les décès cumulés sont quasiment les mêmes avec ou sans ce confinement.
Il aurait été, par contre, difficile politiquement de ne pas prendre une telle décision compte tenu des décisions déjà prises par d’autres pays, de l’explosion possible du système de santé et des risques de panique et de tensions sociales potentiellement fortes liées à une perception de discrimination vis-à-vis des accès aux soins. - Le taux de létalité est nettement plus faible qu’annoncé et une partie de la population n’est pas Susceptible.
- Ce virus est unique en son genre dans son double contournement et détournement de nos défenses immunitaires, en manipulant notre ADN pour, à la fois diminuer l’efficacité de notre réponse immunitaire immédiate (interféron) ET exacerber la profusion de neutrophiles et macrophages dans notre organisme.
« Ce virus est unique en son genre dans son double contournement et détournement de nos défenses immunitaires. »
- Nous avons vécu ici et maintenant une épidémie qui, en termes de pertes humaines, est très minime par rapport au passé (populations de certains pays ou civilisations réduites de 30 % ! …), mais elle constitue une mine d’informations considérable pour penser un futur, y compris, et peut-être surtout, en termes géopolitiques.
Ce n’est sans doute pas le cas de ce virus, mais, imaginez que, par négligence, un virus autrement plus létal que le SARS-CoV‑2 et bien plus nouveau (toute la population est Susceptible), s’échappe d’un des multiples laboratoires mondiaux qui les manipulent (au sens propre) à des fins de prévention… - Je pense également qu’une analyse factorielle complète (de bons outils existent) mériterait d’être faite sur les caractéristiques communes des pays qui ont eu des nombres de décès par habitants très faibles.
Ce n’est pas parce qu’on peut penser que certains pays ont eu des comptabilisations insuffisantes de ces décès, voire des politiques volontaires de sous-déclaration, qu’on n’en tirerait pas des enseignements très intéressants.
Bibliographie / Références
[1] https://dashboard.covid19.data.gouv.fr/vue-d-ensemble?location=FRA
[2] Kermack (W. O.) and McKendrick (A. G.) (1927), « Contributions to the mathematical theory of epidemics », part I. Proceedings of the Royal Society A 115, 700–721, Reprinted : Bulletin of Mathematical Biology (1991), 53, 33–55.
[3] Heesterbeek (J.A.P.) and Dietz (K.) (1996) The concept of R° in epidemic theory, Statistica Neerlandica (1996) Vol. 50, nr. 1, pp. 89–110
[4] Manivel (C.) COVID-19 : Détermination des paramètres R°, β et γ d’un modèle SIR de l’épidémie à partir des décès à l’hôpital sur la période en France du 19 février au 1er juillet 2020 HAL Id : 02923715
2 Commentaires
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Le modèle Kermack-McKendrick donne une explication cohérente de l’historique de l’épidémie rappelé et minutieusement analysé dans l’article.
Ce modèle permet de calculer l’évolution au cours du temps de I (nombre de personnes contaminées simultanément, se trouvant donc entre le moment de leur infection et celui de leur guérison ou de leur décès, moments séparés en moyenne par une durée D).
Tant que le taux de contaminés depuis le début de l’épidémie n’est pas trop important, I progresse (ou régresse) comme une exponentielle d’exposant (R0 – 1) x t / D.
Les ordres de grandeur de R0 associés à ce virus et au contexte français sont donnés par différents sites :
* début d’épidémie : environ 3 (période de doublement du nombre d’infectés simultanés : quelques jours)
* confinement : entre 0,5 et 1 (période de division par 2 du nombre d’infectés simultanés : quelques semaines)
* post-confinement : entre 1 et 1,5 (période de doublement du nombre d’infectés simultanés : quelques semaines)
La remontée du nombre d’infectés simultanés (et d’hospitalisation, de décès, …) constatée actuellement a démarré tardivement en raison des modalités de sortie du confinement.
En mai-juin, cette sortie s’est faite de façon prudente, et le nombre d’infectés s’est stabilisé à un niveau très bas. Puis la lassitude, l’ambiance des vacances ont entraîné un relâchement, encouragé par les déclarations péremptoires de quelques personnalités médiatiques du milieu médical (Raoult, Perronne, Toussaint, Toubiana, …) affirmant que l’épidémie était terminée (déclarations abondamment relayées par les réseaux sociaux libertaires ou systématiquement contestataires).
Du coup R0 est repassé au-dessus de 1 … ce qui explique la remontée actuelle (beaucoup plus lente que celle de mars).
il me semble pas sérieux d’inférer que le confinement n’a pas eu d’effet sur la base d’un modèle dont trois paramètres sont complètement ad hoc. Au contraire une calcul très simple montre que le confinement implique un pic au 8 avril. Sachant que la moyenne des ménages français est composé de 2,2 personnes, soit M le nombre de personnes contaminées n’ayant pas déclaré les symptômes au jour du confinement, ces personnes contamineront une population encore d’ordre M, jusqu’au jour moyen de déclaration des symptômes (5 jours) après quoi les gens se protègent, en sorte que le pic sera atteint quand les malades contaminés au bout 5 jours auront cuvé la maladie soit environ 15 jours, le pic de l’épidémie a donc lieu environ 20 jours après le 17 mars.