Scaleway, Une alternative européenne et souveraine sur le marché du cloud
Explosion du cloud, souveraineté, dépendance technologique… sont autant d’enjeux qui mobilisent les acteurs du cloud, c’est-à-dire ceux qui proposent l’informatique en nuage. Parmi eux, on retrouve Scaleway, une entreprise française qui ambitionne de se positionner comme une alternative française et européenne face à l’hégémonie américaine sur ce marché. Le point avec Yann Lechelle, Directeur Général de Scaleway.
Actif sur le marché depuis plus de vingt ans, quelles sont les principales évolutions que vous avez remarquées ?
Le marché du cloud a pris son envol il y a un peu plus d’une vingtaine d’années avec une offre, dont le principe consiste à déplacer les machines et les capacités de calcul chez les exploitants, au sein de leurs data warehouses et entrepôts. Ce déplacement des machines avec la sous-traitance de l’achat et la maintenance a aussi marqué une évolution du business model avec le passage à la location de ressources plutôt que l’acquisition.
Puis, depuis une dizaine d’années, nous avons basculé sur un modèle de location de fractions de ressources avec le cloud qui devient une proposition de valeur largement pilotée par le logiciel. Nous avons aussi assisté à un passage vers l’exponentiel avec un très fort positionnement des acteurs dominants californiens qui ont réussi à convertir massivement à une échelle régionale l’informatique, qui était elle-même en pleine mutation. La genèse de cette transformation remonte aux années 70 avec les prémices de l’internet, qui n’est véritablement devenu une commodité, un produit consommable par le grand public que depuis le début des années 2000. Internet a, par ailleurs, fortement contribué à ce développement exponentiel et à la migration vers le cloud.
“Le marché du cloud a pris son envol il y a un peu plus d’une vingtaine d’années avec une offre, dont le principe consiste à déplacer les machines et les capacités de calcul chez les exploitants, au sein de leurs data warehouses et entrepôts.”
Aujourd’hui, et plus particulièrement dans ce contexte de pandémie et de guerre commerciale qui va s’intensifier entre les États-Unis et la Chine, les États, dont la France, se posent la question de leur souveraineté à ce niveau. Le cloud s’est imposé comme un sujet prépondérant dans nos vies et la dépendance à ces plateformes est un enjeu critique pour les États, les régions, mais aussi les fédérations comme l’Europe. L’adoption du Cloud Act par les États-Unis (une des nombreuses lois extraterritoriales qui constituent l’arsenal de l’hégémon) a contribué à remettre sur le devant de la scène le débat relatif à la souveraineté technologique et géopolitique des pays et des États. Il est, dorénavant, évident que la France et l’Europe doivent pouvoir s’appuyer sur des acteurs comme Scaleway pour avoir accès à un ensemble d’alternatives nationales et régionales.
À partir de là, comment avez-vous fait évoluer votre positionnement ?
Scaleway a vu le jour il y a vingt-et-un ans. À l’époque, en mode start-up, nous avons été incubés au sein de l’acteur de télécommunications Iliad (fournisseur du service Free en France). Toutefois, nous ne sommes pas un opérateur de télécommunications (marché régulé au niveau national), mais de cloud (marché non-régulé d’envergure internationale).
Filiale à part entière d’Iliad, nous avons connu principalement trois grandes phases dans notre développement. Nous avons démarré notre activité avec la création de data centers à une offre de location destinée à des entreprises qui ont délocalisé leurs serveurs chez nous. Est venue ensuite une activité de location de serveurs dédiés à distance pour nos clients entreprises qui conservaient en interne la gestion de ces équipements à distance.
La dernière phase coïncide avec une transformation majeure initiée par Amazon, qui a développé une version du cloud (Amazon Web Services ou AWS), non plus basée sur des serveurs dédiés, mais sur des logiciels capables de fractionner les serveurs, de les virtualiser et de les exploiter de manière « élastique » en fonction du besoin. En effet, le e‑commerçant a été le pionnier de l’exploitation interne des ressources, et AWS est le fruit de cette évolution.
Scaleway propose également ce mode de fonctionnement depuis sept ans maintenant. Plus récemment, il y a trois ans, nous avons développé notre propre socle commoditaire. Aujourd’hui, il nous semble évident que cela représente la seule manière logique de consommer du cloud en fractionnant les usages et en adaptant dynamiquement la quantité de calcul et de stockage en fonction de la demande des clients.
Aujourd’hui, quelles sont les principales problématiques et attentes des entreprises françaises en matière de cloud ?
Le marché du cloud est complexe à appréhender, car il est polarisé vers les écosystèmes de développement des sociétés californiennes. Ces acteurs incontournables aussi appelés plateformes sont bien évidemment AWS d’Amazon, Azure de Microsoft et GCP (Google Cloud Platform) de Google. Ils pèsent à eux trois plusieurs milliers de milliards de dollars, et hébergent plus de 80 % de nos données européennes. Ils réussissent à capter la quasi-totalité des budgets et ils bénéficient de la fidélité des développeurs. Il est évident que nous sommes face à un oligopole californien. Le challenge en termes de souveraineté est d’avoir la lucidité nécessaire au niveau du conscient collectif pour aller chercher des alternatives autres que ces acteurs afin de répondre à des besoins souverains et régionaux, à un coût compétitif et d’une manière plus écologique.
“Sur le marché français, nous travaillons sur notre visibilité et notre reconnaissance en tant qu’alternative innovante et parfaitement souveraine puisque nous maîtrisons la totalité des couches du data center aux services logiciels managés.”
Toutefois, il est important de noter qu’il y a une prise de conscience à l’échelle française. Le 17 mai dernier le gouvernement a annoncé sa stratégie nationale pour le cloud qui invite le secteur public (à l’exception du cercle 1 qui couvre notamment les sujets relatifs aux impôts et à la défense) et les agents informaticiens à développer tous leurs nouveaux projets dans le cloud, c’est-à-dire chez des acteurs privés. Cette démarche va permettre de réduire la dépendance aux infrastructures internes, sauf pour les sujets critiques, et de contribuer au développement des acteurs privés souverains, comme Scaleway.
Justement, quelle est votre proposition de valeur dans ce cadre ?
Scaleway s’est mobilisée au cours des dernières années pour rattraper son retard au niveau de son socle de produits “commoditaires” par rapport aux acteurs dominants. Aujourd’hui, nous disposons d’un catalogue d’une cinquantaine de produits qui nous permet de répondre avec pertinence à 80 % des cas d’usages et d’apporter globalement les mêmes fonctionnalités à une échelle régionale que les acteurs américains. Avec nos data centers en France, nous couvrons parfaitement les besoins nationaux et, sur l’Europe, nous poursuivons notre déploiement avec des data centers à Amsterdam et à Varsovie. Au-delà de cette capacité à apporter une solution régionale amplement suffisante pour la plupart des cas d’usages, nous nous différencions sur ce marché par une très forte conscience sociale et écologique. En France, qui est une nation nucléaire, Scaleway est largement neutre en carbone voire carbone zéro. Notre présence sur le marché contribue aussi à maintenir une dynamique de compétition, notamment au niveau des prix.
En tant que challenger sur le marché du cloud, quelles sont vos ambitions, notamment en France ?
Sur le marché français, nous travaillons sur notre visibilité et notre reconnaissance en tant qu’alternative innovante et parfaitement souveraine puisque nous maîtrisons la totalité des couches du data center aux services logiciels managés. Mais au niveau mondial, la France reste un marché relativement modeste. Aujourd’hui, nos ambitions sont internationales avec une dominante européenne. Les acteurs américains dominent leur marché local et européen avec plus de 95 % de parts de marché IaaS et PaaS. Aujourd’hui, les acteurs européens doivent être ambitieux et répondre à 30 % de la demande locale, mais viser également encore plus loin en essayant de servir également 30 % de la demande américaine et asiatique.
Ce sont les objectifs que nous nous sommes fixés et nous nous donnons les moyens d’y parvenir avec un nouveau plan stratégique à la hauteur de nos ambitions.
Aujourd’hui, nous sommes plus de 450 collaborateurs avec un chiffre d’affaires en 2021 qui avoisine 100 millions d’euros sur un marché qui représente plus de 200 milliards d’euros, alors que 80 % de l’IT mondial n’est pas encore dans le cloud !
Nous doublons donc nos investissements pour entrer dans une phase d’hyper croissance pour répondre aux besoins actuels et futurs des clients. Et pour tenir ces objectifs, nous accélérons notre politique de recrutement avec la volonté d’avoir 1 000 collaborateurs d’ici 2023.