Science, technologie et innovation au Japon
Le Japon fait reposer son expansion économique, comme le bien-être de ses habitants, sur la science, la technologie et l’innovation. L’industrie participe pour une large part à un effort de recherche très important. Le Japon encourage le départ pour l’étranger mais surtout le retour de ses meilleurs chercheurs. Ce pays montre à l’évidence qu’une recherche tirée par les applications n’est pas nécessairement de qualité inférieure.
Repères
La science et la technologie ont joué un rôle déterminant dans la modernisation du Japon entreprise dans la seconde moitié du xixe siècle. Le pays a su s’inspirer de la science occidentale, de ses structures et institutions de formation et de recherche en les adaptant à son usage et à sa culture propres. La science et la technologie occidentales ont pu s’épanouir dans le tissu social japonais en alimentant le processus de modernisation. Elles se sont également nourries de la manière dont le Japon a su l’adapter et l’assimiler. Le Japon a su bâtir un système de recherche original qui, s’il a beaucoup appris de l’Occident, nous offre la possibilité de le confronter et d’en nourrir le nôtre.
LA RECHERCHE
La caractéristique principale du système de recherche japonais est la part considérable prise par l’industrie dans le financement de l’effort de recherche :
Sept ministères mettent en œuvre des plans à cinq ans
les quatre cinquièmes, contre les deux tiers pour les États-Unis et l’Allemagne et seulement un peu plus de la moitié pour la France. Avec une population double de la France, le Japon compte 830 000 chercheurs dont 450 000 en entreprises contre respectivement 250 000 et 100 000 pour la France. Le Japon y consacre aujourd’hui 3,6 % de son PIB, contre 2,2 pour la France.
Une recherche planifiée
Recherche fondamentale et recherche appliquée
Le Japon ne connaît pas la distinction entre science » pure » et activités spéculatives et libérales d’un côté et de l’autre technique, arts et métiers et activités » serviles « , héritage occidental issu des Grecs qui perdure dans notre idéologie comme le montrent sans cesse les débats agitant le monde des chercheurs français. Contrairement à une idée répandue, des recherches fondamentales de très haut niveau sont menées en parallèle à des recherches appliquées au sein des laboratoires industriels et ne sont pas seulement l’apanage des laboratoires des organismes publics de recherche, l’État jouant un rôle de pilote en définissant des domaines prioritaires. Des fonds spécifiques ont été dégagés pour encourager la compétition, et l’évaluation, encore balbutiante, se met en place. Les institutions publiques (universités, organismes de recherche) et les agences de financement ont été réformées pour devenir des organismes administratifs indépendants.
La politique de recherche du Japon est définie par la loi-cadre de 1995. Des plans à cinq ans ont été mis en place depuis 1996. Un Conseil pour la politique de la science et de la technologie (CSTP), mis en place en 2001 auprès du Ministre en charge de la politique de la Science et de la Technologie, définit les grandes orientations de la politique de recherche. Sept ministères, principalement le ministère de l’Éducation, de la Culture, des Sports, de la Science et de la Technologie (MEXT) et le ministère de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie (METI), se partagent avec diverses agences gouvernementales, les universités, les instituts nationaux et l’industrie le budget de recherche.
Le CSTP est effectivement présidé par le Premier ministre. Il est composé de personnalités du monde de l’université, de la recherche et de l’industrie exerçant à plein-temps et s’appuie sur une équipe administrative d’une centaine de personnes. Quatre domaines prioritaires ont ainsi été reconduits pour la période 2006–2010, avec quatre domaines annexes, l’effort portant avant tout sur les sciences de la vie, l’environnement et l’énergie.
Une réforme des universités
Une réforme importante des universités nationales a été entreprise en 2004 avec le passage d’un décret les transformant en organismes administratifs indépendants, à l’image des organismes publics (agences de moyens ou instituts de recherche). Le budget alloué aux universités nationales et aux organismes publics tient désormais compte de critères tels que la valorisation de la recherche ou l’internationalisation. Les enseignants ne sont plus des fonctionnaires. L’ouverture sur l’industrie est devenue pour les universités une obligation comme une nécessité.
LES ÉCHANGES
Des ingénieurs français
Il convient de souligner l’influence d’ingénieurs français appelés dès le gouvernement Tokugawa à contribuer à la modernisation industrielle du Japon dans le cadre de son ouverture à la civilisation occidentale. Mentionnons les noms des polytechniciens François Léonce Verny, le fondateur de l’arsenal de Yokosuka, Louis-Émile Bertin, qui prit part à la construction de navires de guerre de la marine japonaise, du centralien Henri Pélegrin, qui fonda et dirigea les usines à gaz de Yokohama et de Tokyo et introduisit l’éclairage public au gaz. Verny envoya les premiers auditeurs japonais à l’École polytechnique, et Bertin forma des ingénieurs japonais envoyés en France pour se parfaire à l’École du génie maritime.
Le Japon a toujours encouragé le départ pour l’étranger mais surtout le retour de ses meilleurs chercheurs, faisant ainsi bénéficier son enseignement supérieur et sa recherche des meilleures pratiques.
L’ère Meiji ouverte en 1868 a vu le renforcement de l’envoi à l’étranger d’étudiants et de chercheurs, destinés à leur retour à apporter aux universités nouvellement créées, ainsi qu’à l’industrie, les compétences scientifiques et techniques qui faisaient alors défaut au Japon dans de nombreux domaines.
Un déséquilibre avec la France
Si près de 50 000 Japonais étudient dans les universités américaines, ils ne sont que 1 700 à choisir la France, huitième destination pour les étudiants japonais après les États-Unis, la Chine, le Royaume-Uni, le Canada, la Corée, l’Allemagne et l’Australie. Le déséquilibre dans le sens des échanges est encore net : moins de 300 étudiants français choisissent chaque année d’étudier au Japon.
L’ouverture sur l’industrie est devenue pour les universités une obligation
Ces chiffres, qui sont toutes disciplines confondues, cachent une autre réalité : moins de cent étudiants japonais suivent des cursus scientifiques (sciences pures, médecine, sciences de l’ingénieur). La difficulté à attirer des étudiants dans les cursus scientifiques est également liée à la spécificité de notre système d’enseignement supérieur, dont la lisibilité est loin d’être évidente vue du Japon.
Par contre, il est encourageant que la majorité des trois cents étudiants français au Japon suivent eux des cursus scientifiques et techniques dans les principales universités du pays, où ils peuvent trouver des compléments utiles aux études déjà entreprises dans des domaines d’excellence. À l’université de Tokyo, la France occupe par sa représentation la première place des pays occidentaux, avant les États-Unis, l’Allemagne et le Royaume-Uni.
Des bourses d’études en France
Moins de 300 étudiants français choisissent chaque année d’étudier au Japon
Depuis 1931, le gouvernement français offre des bourses d’études, qui ont permis, depuis leur création, à plus de mille étudiants japonais de venir poursuivre leurs études scientifiques et techniques en France. Tous sont revenus et la plupart occupent des postes d’influence dans l’enseignement supérieur et la recherche, l’industrie ou l’administration, constituant un réseau précieux malheureusement très insuffisamment mis à profit.
Un certain nombre d’industriels français ont fait part de leur intérêt pour cofinancer des bourses d’études dans des domaines scientifiques particuliers, formant ainsi un vivier d’ingénieurs japonais au fait de leurs recherches et méthodes qui reviendront travailler dans leurs filiales japonaises.
Un exemple à suivre
La manière dont les universités nationales ont su sans douleur se réformer de fond en comble pour leur permettre de s’ouvrir au monde industriel ne devrait pas nous laisser indifférents : six des universités nationales japonaises figurent dans les divers classements des cent meilleures mondiales. L’expérience acquise par les clusters du MEXT et du METI pourrait également être utilisée avec profit par nos pôles de compétitivité.
L’ouverture internationale
Université de Tokyo
Le Japon a de son côté pris conscience de l’importance de favoriser l’ouverture à l’international : centres de recherche et universités nationales, devenus autonomes dans le cadre de la réforme de 2001, sont incités à s’ouvrir à l’international en favorisant l’accueil d’enseignants, de chercheurs et d’étudiants étrangers. Les conseils scientifiques des universités et des organismes de recherche s’ouvrent à des personnalités étrangères, dont quelques Français. Depuis 2003 a été mis en place, avec la Société japonaise pour la promotion des sciences (JSPS), un programme d’actions intégrées (PAI), le programme Sakura. Le programme » Frontières de la Science » récemment établi constitue une initiative ambitieuse et prometteuse, ainsi que le programme » Frontières de l’Ingénierie « .
L’INNOVATION
Prendre en compte la réalité
Si certains Japonais continuent à rêver d’une société utopique où des robots humanoïdes s’occuperaient des personnes âgées, d’autres reconnaissent qu’un développement sociétal harmonieux passe par la prise en compte de la réalité des défis d’aujourd’hui, par la définition des réponses à leur apporter et leur mise en oeuvre. N’y a‑t-il pas une leçon à tirer également pour notre pays, qui, si l’on réfléchit bien, partage beaucoup plus de similarités avec le Japon que cela est communément admis ?
L’industrie japonaise a été pionnière dans un grand nombre de technologies industrielles et de fabrication comme l’automobile, l’électronique grand public, la mécatronique, qu’elle a su constamment perfectionner en s’inspirant très souvent de travaux américains (c’est particulièrement évident en électronique, et informatique).
Elle a poursuivi dans les domaines de l’automobile ou de l’électronique, dans les années fastes 1970 et 1980, une approche de l’innovation basée sur l’apprentissage par la réalisation learning by doing, favorable aux grandes entreprises, qui peuvent constamment améliorer leurs produits en fonction des réactions des utilisateurs, plutôt qu’aux jeunes pousses.
Si les échecs du Japon dans les années 1990 dans les domaines du logiciel ou des biotechnologies sont incontestables, il n’en reste pas moins vrai que les technologies des prochaines années pourraient offrir des angles d’attaque qui lui seront favorables.
Les défis environnementaux
Le Japon voit dans les défis environnementaux le moyen de développer des technologies appropriées, et mise sur ses investissements dans les nouvelles techniques de stockage et de production d’énergie. Le Japon a également pris une avance considérable dans le développement de robots à caractéristiques humanoïdes, qui pourraient un jour venir en aide à une société vieillissante. Les recherches dans les neurosciences, motivées par le vieillissement de sa population, ont atteint un développement remarquable.
Le robot Asimo, à l’aide des handicapés |
Le Japon montre à l’évidence qu’une recherche tirée par les applications n’est pas nécessairement de qualité inférieure : en 1973, Leona Esaki avait obtenu le prix Nobel de physique pour ses travaux qui avaient abouti en 1957 à la découverte de la diode à effet tunnel. De même, l’ingénieur Koichi Tanaka a obtenu en 2002 le prix Nobel de chimie pour ses recherches sur les techniques d’ionisation. Le Japon a également pris conscience de l’importance à attacher à la recherche fondamentale, et n’est pas peu fier des quatre prix Nobel attribués en 2008 à des chercheurs japonais, dont deux en poste aux États-Unis.
LE FUTUR
Face aux défis auquel il est confronté, le Japon veut obéir à deux impératifs : innover et s’ouvrir. La nomination en 2009 d’un Premier ministre ingénieur de formation ayant effectué une partie de ses études à l’étranger permet de penser que la recherche continuera à être considérée comme une priorité, comme elle l’a d’ailleurs toujours été, même au plus fort de la crise. De manière concrète et opérationnelle, on peut affirmer que c’est dans les périodes de doute et d’incertitude que le Japon est le plus accessible à la coopération.
Les conseils scientifiques s’ouvrent à des personnalités étrangères
Une » fenêtre de tir » apparaît ainsi ouverte pour la recherche et l’industrie françaises. Essayons de ne plus être hypnotisés par la Chine et, nous basant sur un riche passé de contacts et une convergence dans les problèmes à résoudre, nous pourrons certainement multiplier les actions communes, mutuellement profitables. Nous avons rappelé, plus haut, le rôle capital de nos grands anciens, il y a un siècle et demi ; la communauté polytechnicienne tout particulièrement a certainement encore les moyens de poursuivre cette action, si, toutefois, elle en a la volonté.