Se nourrir durablement
Jean-Marc JANCOVICI ©AFP président d’X-Environnement |
Depuis la sédentarisation de notre espèce, la crainte majeure des hommes a toujours été de ne pas avoir assez à manger pour (sur)vivre, et des famines survenaient régulièrement partout dans le monde. Étonnant contraste avec la situation actuelle en Occident, où la crainte de l’obésité a supplanté celle de la famine comme problème alimentaire premier.
Ce changement de paradigme, nous le devons pour beaucoup… aux hydrocarbures : un tracteur de 70 kW fournit le travail mécanique de 100 chevaux ou 1 000 hommes et les engrais azotés sont issus… du gaz naturel. Produire 1 kg de bœuf nécessite 1 kg d’hydrocarbures : que de biftecks ont été perdus dans le golfe du Mexique !
L’énergie ne valant rien comparée au travail humain (1 kWh de travail musculaire, pour un ouvrier payé au SMIC, vaut 1 000 à 10 000 fois plus cher qu’1 kWh issu d’un moteur à gazole détaxé), remplacer des ouvriers agricoles par des tracteurs a augmenté la productivité de l’agriculture occidentale par un facteur 100 à 200 et divisé le prix » réel » des aliments par 10 à 50. Le coût de production » sortie d’exploitation » de ce que nous mangeons (sans inclure la transformation, le transport, les emballages, la distribution, la promotion, etc., aussi inclus dans la » dépense alimentaire » des ménages au sens de la comptabilité nationale) ne dépasse probablement pas 2% à 3% de ce que nous gagnons – c’était 25% en 1930, et c’est 60% à 90% dans nombre de pays d’Afrique – et notre régime contient pourtant trois fois plus de produits d’origine animale qu’au début du XXe siècle. Et pour compléter ce tableau la population active agricole a été divisée par plus de dix en France depuis la sortie de la dernière guerre.
Notre civilisation d’urbains occidentaux, pour qui la nourriture sort du supermarché en quantités croissantes et à un prix réel sans cesse décroissant, n’a donc aucune raison de se soucier de limites futures à la production.
Et pourtant… que de questions se posent quand on prend un peu de hauteur de vue ! Que deviendront la productivité agricole occidentale et la « mondialisation des échanges agricoles » avec une énergie moins accessible ? Comment éviter la déforestation pour augmenter les surfaces cultivées si la productivité diminue ? Les pays à forte croissance démographique peuvent-ils intensifier leur agriculture sans exploiter leurs sols de manière minière et sans hydrocarbures à profusion ?
Sachant qu’il faut dix à vingt fois plus de surface pour manger du bœuf et des laitages que des céréales, pouvons-nous lutter contre notre patrimoine génétique de chasseurs pour nous limiter en viande si la raison écologique le demande ?