Sept mois dans les forces armées
La formation militaire est un temps fort du cursus polytechnicien. Voici cinq témoignages de camardes des promotions 2015 et 2016.
Joséphine YATES (16),
stage à l’État-Major de l’OTAN à Naples
Pour Josephine Yates (2016, à gauche), l’avantage indéniable de l’uniforme est qu’il permet à tous de s’apprivoiser, sans considérations d’origine.
Arrivée à l’X les poumons gonflés d’un air nouveau et d’une appréhension mêlée à une hâte indicible, je ne savais pas à quoi m’attendre du point de vue militaire. La semaine sur le campus a été celle de la découverte : rétrospectivement avec le prisme de La Courtine et de Coëtquidan, ce n’était qu’une esquisse d’initiation mais elle m’a permis de me familiariser et de remplacer cette appréhension par de la joie et un sentiment d’appartenance.
Je suis partie à La Courtine avec une motivation sans limites. La Courtine m’a appris énormément, tant sur moi que sur la communauté. La vie en section n’était pas toujours facile car je suis de caractère plutôt solitaire.
Mais l’avantage indéniable de l’uniforme est qu’il permet à tous de s’apprivoiser, sans considérations d’origine. J’ai appris à connaître et suis devenue amie avec des personnes vers lesquelles je ne serais jamais allée naturellement, force que je tente de mettre en oeuvre maintenant, sans la facilité de l’uniforme.
La Courtine fut aussi le temps des premiers dépassements physiques – j’ai des souvenirs réjouissants d’un grisant parcours d’obstacles en équipe – et des premières nuits en bivouac, entrecoupées de marches et de récupérations autour du feu.
LA FORCE DU GROUPE
C’est donc pleine de bonne volonté et de joie que je suis partie pour Coëtquidan. La première semaine a été un coup dur car le niveau montait manifestement d’un cran. Je pense n’avoir jamais si bien compris l’importance de la force d’un groupe.
Avec le soutien de ceux que je côtoyais nuit et jour, j’ai pu sonder « les contrées reculées de mon être ». Physiquement, j’ai réalisé que le corps n’avait de limite que le mental. L’initiation commando suivie d’un raid exténuant resteront ancrés dans mon esprit et dans ma chair.
À Coëtquidan, je me suis heurtée à une discipline qui ne me correspondait pas de prime abord. Puis, à la réticence première a succédé la joie devant l’esthétique de cette rigueur. Après le merveilleux baptême de promotion, bouquet final de notre formation, j’ai quitté Coëtquidan avec à la fois le cœur gros et la hâte de découvrir la belle Naples.
DANS LE BAIN DE L’OTAN
J’ai passé quatre formidables mois à l’Otan en Italie. J’en ai tiré d’autant plus d’enseignements que c’était après la rusticité de Coëtquidan. Le milieu international me plaisait tout particulièrement.
Physiquement, j’ai réalisé que le corps n’avait de limite que le mental.
Outre des missions à l’étranger qui m’ont permis de développer mon adaptabilité, j’ai saisi toutes les opportunités pour discuter avec des militaires de tous horizons. J’ai également été admirative devant l’esprit si soudé du contingent français, qui m’a grandement soutenue pendant mon séjour.
De surcroît, j’ai pu explorer les rouages d’une organisation internationale dont je suis maintenant convaincue de la nécessité. Je considère réellement avoir grandi grâce à ces multiples expériences.
En sept mois seulement, j’ai énormément évolué, et je pense être devenue plus moi-même. Physiquement, je me lance beaucoup plus de défis, et je compte transférer cet esprit combatif à ma vie professionnelle future.
Mentalement, je pense avoir acquis une volonté et une ouverture qui me seront nécessaires. Et j’ai acquis une connaissance du milieu de la Défense qui me le rend beaucoup plus sympathique.
Je pourrais dire naïvement que j’aimerais pouvoir revivre ces quelques mois tant j’en ai tiré d’enseignements mais j’ai appris à aller de l’avant et je compte avancer la tête haute vers les défis qui m’attendent.
Inès FERNANDEZ (16),
stage au ministère des affaires étrangères à Madagascar
Inès Fernandez (2016) prête pour la visite
du Président Hollande à Tananarive.
Je me souviens encore de mon premier contact avec l’armée : c’était le 28 août dernier, date de la rentrée, et le chef de section, se référant à ses listes, m’avait attribué un numéro d’unité en ajoutant que je n’étais pas près de l’oublier lorsque je lui avais demandé à quoi il correspondait.
Il est vrai que je l’ai encore en mémoire sept mois après, alors même que nous sommes tous rentrés depuis longtemps sur le plateau et que l’environnement strict du début d’année semble déjà bien loin.
Au cours de notre formation militaire initiale à La Courtine, nous avons reçu un enseignement militaire de base, le monde militaire étant nouveau pour la majorité d’entre nous.
Sortant de deux années de classe préparatoire, j’étais perturbée par cette ambiance radicalement différente, où des détails – rangers mal cirés, lacets mal faits – semblaient avoir une grande importance aux yeux des cadres.
C’est dans cet environnement exigeant que se développe la cohésion. Et c’est par cette cohésion que se tissent des liens durables – et souvent inattendus – au sein d’une section.
EN FORMATION À SAINT-CYR
Puis chacun part vers son lieu de stage (les élèves officiers ayant choisi l’armée rejoignent leur lieu de formation).
J’ai eu pour mission principale de donner des cours de français aux élèves officiers malgaches.
Ceux d’entre nous ayant choisi l’armée de terre rejoignent Coëtquidan : la formation à Saint-Cyr a acquis une certaine réputation au sein de la communauté polytechnicienne.
Nous arrivons à Rennes dans la soirée du dimanche 2 octobre. Le changement de section est perturbant, il faut retisser des liens de cohésion. Mais l’exigence de la formation nous pousse à nous unir à nouveau pour répondre aux attentes de l’encadrement.
Nous suivons des cours sur la tactique militaire, les explosifs, les risques NRBC (nucléaires, radiologiques, bactériologiques, chimiques). Nous sommes mis en situation de commandement. Sur le plan pratique, nous mettons en oeuvre les enseignements théoriques pendant les terrains.
La formation est physiquement exigeante, et les moins sportifs d’entre nous prennent goût à l’activité physique (parfois plus par nécessité que par choix). Outre le fidèle aperçu de la formation des officiers de l’armée de terre, j’ai reçu des enseignements utiles et valables au-delà du monde des armées, notamment dans le domaine du management.
Riches de ce mois de formation supplémentaire, nous nous séparons une nouvelle fois pour rejoindre notre affectation des cinq mois suivants. Pour ma part, je me destine à partir pour la Mission de Défense à Madagascar, avec un autre camarade de ma section.
EN MISSION AUPRÈS DE L’ARMÉE MALGACHE
Visite du commandant de promo X 2016 à Inès.
Nous sommes placés sous l’autorité de l’attaché de Défense, qui a également sous ses ordres une équipe de coopérants militaires. Ces derniers accompagnent le développement de l’armée malgache. Mon tuteur de stage travaille au sein de l’unique centre de formation d’officiers du pays.
Ayant enseigné en France, il fait bénéficier les officiers malgaches de son expérience. Au cours de mes cinq mois à ses côtés, j’ai eu pour mission principale de donner des cours de français aux élèves officiers malgaches. La coopération militaire participe grandement au rayonnement de la France à l’étranger et ce fut pour moi un honneur d’y contribuer.
De retour à Paris pour préparer la rentrée à Palaiseau, j’ai le sentiment d’avoir servi mon pays et l’envie de continuer à le faire quel que soit mon futur domaine professionnel.
Lucas DELCROS (16),
stage au 27e bataillon de chasseurs alpins
Déplacement en ski chez les chasseurs alpins.
Originaire de l’université, et ayant toujours été intéressé par l’armée, j’ai été candidat au concours grâce à l’argument de poids qu’est le statut militaire de l’École polytechnique.
Si les premiers jours de formation militaire initiale à La Courtine furent difficiles, je me suis rapidement fait à la rigueur et à la hiérarchie militaire et me suis endurci physiquement. Ce premier contact avec l’armée m’a motivé à effectuer mon stage dans l’armée de terre.
Je suis donc parti à Coëtquidan avec un quart de la promotion. J’y ai reçu une formation complète de soldat et d’officier, marquée par du sport, des cours théoriques, du combat, de la vie en campagne, des cérémonies et une semaine d’aguerrissement commando.
Après dix semaines intenses mais très formatrices, mon choix s’est porté sur le 27e Bataillon de Chasseurs Alpins (27e BCA), prestigieuse unité d’infanterie spécialisée dans le combat en montagne.
OBSERVATEUR SENTINELLE EN MONTAGNE
Le 27e BCA est sur tous les fronts en ce moment, alternant opérations extérieures et mission Sentinelle.
J’ai débuté en tant qu’observateur Sentinelle, vivant le quotidien des soldats à Chambéry pendant 4 jours avant de partir 3 jours au côté de la Police aux Frontières avec la Suisse.
Sentinelle est une mission difficile pour le moral des troupes et j’ai vu à quel point l’exemplarité du chef s’impose.
J’ai suivi un mois de formation alpine militaire initiale hiver en montagne. J’ai fait du ski (de randonnée, de piste, en cordée, de nuit, tir en neige, passages en escalade), j’ai passé une nuit dans un abri sous la neige et j’ai appris les différentes techniques de secours en avalanche.
La montagne est un milieu très exigeant et j’ai eu plusieurs fois l’occasion de me dépasser physiquement. Dans les situations difficiles, on doit souvent se reposer les uns sur les autres, c’est l’esprit de cordée.
L’organisation, l’efficacité et l’entretien du matériel sont primordiaux. J’ai pu observer le commandement en situation difficile et mieux me situer par rapport aux militaires du rang, véritable leçon d’humilité.
DE GAP À ANNECY
Instruction à la vie en campagne.
J’ai passé ensuite plus d’un mois à Gap comme chef de groupe à la formation de jeunes recrues (ce que l’on appelait autrefois « les classes »). J’ai enseigné aux 12 recrues sous mes ordres les rudiments de la vie militaire, la vie en campagne, le tir et le sport. J’ai pu tester mon commandement et le perfectionner.
Pendant cette période aussi intense pour les recrues que pour les cadres, j’ai compris l’importance de l’exigence et de l’exemplarité mais en ai également vu les limites : ne pas être trop autoritaire et s’adapter aux individus que l’on commande. Si j’ai su tirer certains vers le haut, j’ai également vécu des échecs, expérience humaine très forte.
Mon stage s’est terminé à Annecy par plusieurs semaines au bureau opérations et instructions du poste de commandement du bataillon. J’ai créé un outil informatique de ressources humaines et participé à la formation de militaires souhaitant monter en grade, ce qui m’a fait comprendre l’importance des relations humaines dans le monde du travail.
Je sors grandi de ce stage, ayant beaucoup appris sur moi-même, pris confiance en moi et développé un sens de l’intérêt général. J’ai été impressionné par ces hommes qui donnent leur vie et par leur sens du devoir.
J’envisage maintenant de faire une carrière dans les armées ou dans la réserve opérationnelle.
Omar ATTIA (16),
stage dans la légion étrangère
Omar Attia (2016)
C’est avec une certaine excitation que j’ai rejoint le campus de l’École, une hâte indescriptible mêlée toutefois à une légère appréhension du monde nouveau qui m’attendait. Un univers inconnu s’ouvrait à moi à l’instant même où nous étions arrivés, accueillis par une kyrielle de cadres en treillis.
Au premier garde-à-vous effectué, au premier toit formé, j’ai su que cette aventure militaire allait être une expérience inédite. Rapidement, j’ai compris que c’est le stage que je voulais faire et que ce serait difficile d’y accéder au vu de mon statut d’étranger.
Mais en définitive, je n’allais pas être déçu, cette immersion a bien valu quelques sacrifices. Six mois extrêmement intenses où rigueur, dépassement de soi et esprit de collectivité ont été les maîtres mots.
VOYAGE EN TERRA INCOGNITA.
Pourquoi l’armée ? Comment pouvais-je être attiré par ce monde d’actes bruts, réputé non intellectuel ? La réponse est simple : vivre quelque chose de nouveau et d’excitant, créer une réelle césure avec les deux ans de prépa dont je sortais, voilà ce que je cherchais.
Mon élan n’a pas été arrêté par les barrières qu’imposait mon statut d’étranger ; je n’avais pas accès à la formation à Saint-Cyr, porte d’entrée au stage en unité des forces. Faisant tout mon possible pour convaincre mes cadres par ma motivation, j’ai eu finalement la chance d’obtenir ce que je voulais, ce qui m’a valu l’honneur d’être le tout premier international de l’X à faire un stage en régiment.
LA LÉGION, UN CHOIX ÉVIDENT
Aux yeux du néophyte de l’armée que j’étais, le choix de la Légion étrangère m’est apparu comme évident : quoi de mieux qu’une troupe d’élite, avec une notoriété la précédant même au-delà des frontières du pays, pour vivre une expérience militaire mémorable ?
C’est ainsi que le 2e régiment étranger d’infanterie m’a ouvert ses portes barricadées. Je n’avais à ce moment aucune idée que ces mêmes légionnaires, qui regardaient d’un air vaguement interrogateur mon galon d’aspirant, allaient être mes camarades d’armes durant un stage commando en haute montagne et que j’allais vivre avec eux de rudes épreuves qui nous souderaient dans l’adversité.
Première section des polytechniciens à l’ESM 4.
Ces mêmes légionnaires, avec leur képi blanc immaculé et leur air martial et impassible, que je regardais en décembre avec admiration mais non sans une certaine crainte, j’allais les quitter en avril avec beaucoup de nostalgie et des moments inoubliables en tête.
J’ai découvert grâce à cette expérience d’officier de Légion le revers d’un monde réputé froid, mécanique et injustement hiérarchisé, où en réalité la dimension humaine est omniprésente.
La sévérité des relations verticales est en fait synonyme de bienveillance d’un côté, et de loyauté à toute épreuve de l’autre. J’ai découvert non pas des machines de guerre qu’on matraquait d’ordres comme on aimerait bien le croire, mais des légionnaires passionnés qui, unis par leur discipline infaillible et leur fidélité, accompliraient volontiers l’impossible pour vous s’ils jugent que vous en valez la peine.
Un stage avec des hauts et des bas, mais haut en rebondissements et hautement marquant. C’est avec la tête haute que j’en sors et que je compte affronter les nombreux défis qui m’attendent dans la vie, car c’est la leçon que je retiens de ce stage.
J’espère que mon expérience, grandement positive, ouvrira la voie aux futurs internationaux de l’X qui seraient comme moi motivés pour vivre six mois inoubliables dans l’armée.
Alexis BACOT (15),
stage en État-Major et à bord d’un sous-marin
Une semaine après les attentats de novembre 2015 et alors que le président de la République avait ordonné une intensification des frappes contre l’État islamique, j’arrivais dans l’état-major pilotant la conduite des opérations sur les théâtres militaires irakien et syrien.
Sur place, une base aérienne, une base navale et le groupe aéronaval en pleine activité m’ont permis de voir défiler un bel échantillon des capacités opérationnelles françaises.
AU COEUR DU RENSEIGNEMENT MILITAIRE
J’ai tenu à intégrer une cellule chargée du renseignement militaire, où j’ai eu la chance d’assurer les fonctions d’un lieutenant de vaisseau en tant que responsable du suivi de la situation en Irak.
Je disposais ainsi d’images prises par satellite ou par avion, de rapports des divisions irakiennes sur le terrain et d’écoutes électromagnétiques, mon rôle étant de convertir ce renseignement en connaissance précise de ce qu’il se passait sur le terrain.
Je devais restituer cette connaissance dans des rapports écrits quotidiens pour la direction du renseignement militaire et lors de briefings pour l’amiral et son état-major. Concrètement, cette appréciation de situation, outre l’aide à la préparation des frappes aériennes, permettait d’assurer la sécurité des pilotes volant quotidiennement au-dessus du théâtre – ceux-ci devaient savoir où s’éjecter –, mais il s’agissait aussi d’une monnaie d’échange avec nos alliés, susceptibles de nous fournir des renseignements intéressant la sécurité de notre territoire.
Cette immersion au coeur de la coalition m’a permis d’appréhender les enjeux tant militaires que diplomatiques de la conduite des opérations et de l’échange de renseignement.
Au sein de la cellule, nous travaillions tous les jours sans exception et terminions parfois la préparation des briefings tard dans la nuit, mais nous étions passionnés et portés par une ambiance si effervescente qu’aux cartes d’état-major se substituaient parfois quelques cartes à jouer pour disputer des parties de belote nocturnes !
Alexis Bacot (2015)
SOUS-MARINIER
Après ces quelques mois de travail en état-major, les dernières semaines de mon stage ont été consacrées à une expérience plus spécifiquement maritime : un embarquement à bord d’un sous-marin nucléaire d’attaque.
Héritage du génie naval français, ces sous-marins nucléaires sont les plus petits au monde : 80 mètres de long pour environ 80 marins à bord. Leur vie est hors du commun, leurs métiers sont passionnants. Sonars, torpilles, périscopes, centrale nucléaire et renouvellement de l’air sont autant d’organes essentiels des entrailles du sous-marin que leurs opérateurs respectifs m’ont fait découvrir avec beaucoup de fierté.
Et pourtant, on découvre à leur contact que la fascination que suscite la sous-marinade ne suffit pas à faire oublier ces longues périodes pendant lesquelles ils laissent femme et enfants à terre.
Durant ces quelques moments en plongée avec eux, j’ai pu mesurer la somme de leurs renoncements, témoignant à mes yeux de leur admirable sens du sacrifice au service de la France.