Stéphane COLIN sur le tournage de Insight, à Sciences-Po.

Servir contre vents et marées

Dossier : TrajectoiresMagazine N°718 Octobre 2016
Par Stéphane COLIN (07)

Une for­mi­dable leçon de cou­rage et d’es­poir de vivre don­née par notre cama­rade. Le choix de l’ar­mée, une très grave bles­sure en mis­sion en Afrique qui le laisse tétra­plé­gique. Un an de réédu­ca­tion, un an au Inva­lides , une année d’é­tudes à Sciences-Po dont il sort major. Et main­te­nant le retour à la vie active, où il espère pou­voir ser­vir encore, sinon ce ne sont pas les pro­jets qui lui manquent. 

Stéphane Colin, promo 2007 puis l’infanterie.
Une vocation ? Une tradition familiale ?

Un peu tout ça… Mes deux parents sont nés en Algé­rie. Si mon père a effec­tué son ser­vice comme coopé­rant civil, mon grand-père était sous-offi­cier dans les com­pa­gnies saha­riennes. J’ai donc gran­di avec cette image en tête du méhariste. 

Par ailleurs, ma famille entre­tient un lien étroit avec la Côte d’Ivoire. Mon père y était pré­sent lors de la ten­ta­tive de coup d’État en 2002 et des évé­ne­ments qui ont suivi. 

Enfant, j’en avais alors gar­dé le sen­ti­ment d’un grand pro­fes­sion­na­lisme de nos forces. C’est là que j’ai res­sen­ti le besoin de ser­vir, moi aus­si, ber­cé il est vrai par le mythe roman­tique un peu naïf du lieu­te­nant sau­tant sur Kol­we­zi ou du mar­souin arpen­tant l’Afrique de l’Ouest.

J’ai donc choi­si au départ les troupes de marine et, à ma sor­tie de l’École de l’infanterie, rejoint un régi­ment para-colo, atti­ré par la spé­cia­li­té de cette unité. 


Sur le tour­nage de Insight, à Sciences-Po.

Après, c’est une opération en Afrique et ta blessure en 2012. Et alors ?

Et alors ? Je ne serais jamais là sans l’excellent tra­vail sur place de l’infirmier mili­taire et de l’auxiliaire sani­taire, ou du pré­sident de la Répu­blique qui a « gra­cieu­se­ment mis à ma dis­po­si­tion » son Fal­con (uti­li­sé pour les Stra­tE­vac : rapa­trie­ment sani­taire stratégique). 

Anes­thé­sié jusqu’à mon arri­vée au Val-de-Grâce, je n’ai mal­heu­reu­se­ment pas pu pro­fi­ter du cham­pagne présidentiel. 

La pre­mière chose que je me suis dite en me réveillant sur mon lit d’hôpital, c’est que je vou­lais conti­nuer à ser­vir. Tétra­plé­gique, je savais que le che­min menant au retour à l’emploi serait long. Dans cette entre­prise, l’intégralité de ma chaîne hié­rar­chique a fait preuve d’un for­mi­dable sou­tien, notam­ment par le biais de la Cel­lule d’aide aux bles­sés de l’armée de terre. Je me suis fixé un calen­drier en trois étapes, plus ou moins respectées. 

D’abord un an en réédu­ca­tion à l’hôpital mili­taire de Per­cy pour me « remettre sur pied », et j’en pro­fite pour saluer le savoir-faire du Ser­vice de san­té des armées, puis une année à l’Institution natio­nale des Inva­lides pour retrou­ver le mini­mum d’aptitude à la vie cou­rante, sociale, etc., et enfin une année d’études pour me remettre en condi­tion de tra­vail et me recons­truire intel­lec­tuel­le­ment afin de reprendre un emploi au sein de l’Armée.

D’où Sciences-Po ?

Tout à fait : c’était la bonne for­mule, avec ce qu’il fal­lait de sti­mu­la­tion intel­lec­tuelle après un long séjour à l’hôpital et d’ouverture à la socié­té, tout en répon­dant aux pro­blé­ma­tiques liées à ma nou­velle condition. 

Exac­te­ment ce dont j’avais besoin pour être 100 % opé­ra­tion­nel quand je revien­drai dans la vie active. 

C’était l’occasion, dans un envi­ron­ne­ment sans enjeux réels immé­diats, de réap­prendre à tra­vailler : tes­ter mon auto­no­mie en jour­née, gérer la fatigue du jour, adap­ter mon poste de tra­vail, maî­tri­ser les outils dont j’aurai besoin pour trans­crire ma pen­sée, etc. M’approprier la ver­sion Sté­phane 2.0 en somme. 

Et puis, me mon­trer à moi-même et mon­trer aux autres que je pou­vais per­for­mer au meilleur niveau dans cet envi­ron­ne­ment, et en tirer une vraie légi­ti­mi­té pour la suite. 

Et donc, tu as « majoré » à Sciences-Po !

Oui, à l’École des affaires inter­na­tio­nales (PSIA), où j’ai pas­sé deux belles années par­mi un public très divers et très inter­na­tio­nal. C’était à la fois bien en ligne avec mon expé­rience mili­taire, mais aus­si très ouvert sur de mul­tiples facettes des rela­tions inter­na­tio­nales et de la sécu­ri­té que j’ai décou­vertes grâce à ce prisme académique. 

J’y ai trou­vé une carte des cours extrê­me­ment diver­si­fiée, des pro­fes­seurs de haute volée, fortes poin­tures dans leur domaine, venant du monde ins­ti­tu­tion­nel civil et mili­taire, pri­vé ou aca­dé­mique, et d’une grande rec­ti­tude intellectuelle. 

J’ai eu un ancien repré­sen­tant de l’ONU en Afgha­nis­tan… ou des per­son­na­li­tés comme Gilles Kepel, Phi­lippe Migaux, Jean-Pierre Pochon ou le géné­ral Vincent Desportes : autant de points de vue dif­fé­rents, mais tous passionnants. 

J’y ai aus­si trou­vé des jeunes atta­chants. Mais je tiens à ras­su­rer mes cama­rades : le Basile (bar de la rue Saint-Guillaume fré­quen­té par les sciences-pistes) n’arrive pas à la hau­teur du BôBar. 

Et maintenant ?

Main­te­nant, je pré­pare mon retour dans la vie active. Et ce n’est pas simple : ne serait-ce que trou­ver un appar­te­ment à Paris conve­na­ble­ment adap­té à mon han­di­cap. Je vise de reve­nir dans quelques mois dans l’armée de terre, a prio­ri dans un état-major parisien. 

C’est là que je me vois m’épanouir. Et ser­vir encore. Il reste cepen­dant la ques­tion de mon sta­tut en sus­pens, étant rede­ve­nu simple civil depuis ma réforme. 

Je vou­drais évi­ter d’avoir à signer comme contrac­tuel en me fai­sant rat­ta­cher à un corps admi­nis­tra­tif ou tech­nique de la fonc­tion publique. 

À plus long terme, si l’expérience n’est pas concluante, bien des choses me tentent : à Sciences-Po j’ai fait un court métrage de sen­si­bi­li­sa­tion au han­di­cap, Insight, comme cos­cé­na­riste, assis­tant du pro­duc­teur, puis acteur. 

Je me suis réga­lé, et modu­lo quelques… ou beau­coup de cours de théâtre, c’est peut-être le début d’une nou­velle car­rière (rires) ! quelques fois, je me dis que je pour­rais peut-être un jour ser­vir dif­fé­rem­ment, en politique ? 

En paral­lèle, je cherche à pour­suivre mon inves­tis­se­ment auprès des mili­taires bles­sés en inté­grant la réserve citoyenne. 

Tu auras passé trois ans aux Invalides ?

J’aime cette mai­son, c’est quand même la mai­son mère du mili­taire bles­sé depuis 1674 ! J’y vis une véri­table expé­rience humaine : FFL, résis­tants, com­pa­gnons de la Libé­ra­tion, dépor­tés, com­bat­tants d’Indochine, d’Algérie ou des conflits plus récents, j’ai l’immense hon­neur de côtoyer ceux que les jeunes de ma géné­ra­tion ne connaissent que par leurs livres d’histoire.

Cette popu­la­tion s’est enri­chie aujourd’hui des vic­times d’attentats. Je m’épanouis ici. Et afin de défendre au mieux cette belle ins­ti­tu­tion, j’ai été élu repré­sen­tant des pen­sion­naires sié­geant à son conseil d’administration.

De plus, sans le sou­tien du per­son­nel, je n’aurais jamais pu mener mon aven­ture aca­dé­mique. D’ailleurs celle-ci a fait des émules : plu­sieurs pen­sion­naires ont déci­dé de reprendre des études. Et puis, last but not least, je dois avoir un des plus beaux pano­ra­mas de Paris, avec une vue impre­nable sur le dôme qui ne cesse de m’émerveiller.

Et l’X dans tout ça ?

J’ai été frap­pé par l’immense soli­da­ri­té de la com­mu­nau­té X. Les cadres de l’École m’ont beau­coup sou­te­nu ou visi­té : mon direc­teur le géné­ral Michel, les chefs de corps et direc­teurs des études suc­ces­sifs, mon chef de sec­tion… et bien sûr mes cama­rades de pro­mo, qui ont été for­mi­dables, mais aus­si les anciens. 

Pour conclure, une anec­dote cocasse : un jour à Sciences-Po, Gilles Kepel nous pré­sente un tout jeune confé­ren­cier, qui nous fait un topo éblouis­sant sur une recherche qu’il venait de faire sur la carte élec­to­rale en Tuni­sie. À la fin, je découvre que c’était un X 2011 ! Je me suis fait « Tos­si­fer1 ».

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1. Tos­si­fer : néo­lo­gisme poly­tech­ni­cien récent, de TOS (pre­mières années à l’École),
signi­fiant approxi­ma­ti­ve­ment « se faire consi­dé­rer comme un bleu ». 


Les Invalides : c’est côtoyer l’Histoire !
Les Inva­lides : c’est côtoyer l’Histoire !

Commentaire

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Ance­lin Jean-Marierépondre
13 octobre 2016 à 23 h 37 min

Sté­phane Colin
Une bien belle expé­rience et un beau cou­rage. Bra­vo Sté­phane, cher Camarade.

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