Servir contre vents et marées
Une formidable leçon de courage et d’espoir de vivre donnée par notre camarade. Le choix de l’armée, une très grave blessure en mission en Afrique qui le laisse tétraplégique. Un an de rééducation, un an au Invalides , une année d’études à Sciences-Po dont il sort major. Et maintenant le retour à la vie active, où il espère pouvoir servir encore, sinon ce ne sont pas les projets qui lui manquent.
Stéphane Colin, promo 2007 puis l’infanterie.
Une vocation ? Une tradition familiale ?
Un peu tout ça… Mes deux parents sont nés en Algérie. Si mon père a effectué son service comme coopérant civil, mon grand-père était sous-officier dans les compagnies sahariennes. J’ai donc grandi avec cette image en tête du méhariste.
Par ailleurs, ma famille entretient un lien étroit avec la Côte d’Ivoire. Mon père y était présent lors de la tentative de coup d’État en 2002 et des événements qui ont suivi.
Enfant, j’en avais alors gardé le sentiment d’un grand professionnalisme de nos forces. C’est là que j’ai ressenti le besoin de servir, moi aussi, bercé il est vrai par le mythe romantique un peu naïf du lieutenant sautant sur Kolwezi ou du marsouin arpentant l’Afrique de l’Ouest.
J’ai donc choisi au départ les troupes de marine et, à ma sortie de l’École de l’infanterie, rejoint un régiment para-colo, attiré par la spécialité de cette unité.
Après, c’est une opération en Afrique et ta blessure en 2012. Et alors ?
Et alors ? Je ne serais jamais là sans l’excellent travail sur place de l’infirmier militaire et de l’auxiliaire sanitaire, ou du président de la République qui a « gracieusement mis à ma disposition » son Falcon (utilisé pour les StratEvac : rapatriement sanitaire stratégique).
Anesthésié jusqu’à mon arrivée au Val-de-Grâce, je n’ai malheureusement pas pu profiter du champagne présidentiel.
La première chose que je me suis dite en me réveillant sur mon lit d’hôpital, c’est que je voulais continuer à servir. Tétraplégique, je savais que le chemin menant au retour à l’emploi serait long. Dans cette entreprise, l’intégralité de ma chaîne hiérarchique a fait preuve d’un formidable soutien, notamment par le biais de la Cellule d’aide aux blessés de l’armée de terre. Je me suis fixé un calendrier en trois étapes, plus ou moins respectées.
D’abord un an en rééducation à l’hôpital militaire de Percy pour me « remettre sur pied », et j’en profite pour saluer le savoir-faire du Service de santé des armées, puis une année à l’Institution nationale des Invalides pour retrouver le minimum d’aptitude à la vie courante, sociale, etc., et enfin une année d’études pour me remettre en condition de travail et me reconstruire intellectuellement afin de reprendre un emploi au sein de l’Armée.
D’où Sciences-Po ?
Tout à fait : c’était la bonne formule, avec ce qu’il fallait de stimulation intellectuelle après un long séjour à l’hôpital et d’ouverture à la société, tout en répondant aux problématiques liées à ma nouvelle condition.
Exactement ce dont j’avais besoin pour être 100 % opérationnel quand je reviendrai dans la vie active.
C’était l’occasion, dans un environnement sans enjeux réels immédiats, de réapprendre à travailler : tester mon autonomie en journée, gérer la fatigue du jour, adapter mon poste de travail, maîtriser les outils dont j’aurai besoin pour transcrire ma pensée, etc. M’approprier la version Stéphane 2.0 en somme.
Et puis, me montrer à moi-même et montrer aux autres que je pouvais performer au meilleur niveau dans cet environnement, et en tirer une vraie légitimité pour la suite.
Et donc, tu as « majoré » à Sciences-Po !
Oui, à l’École des affaires internationales (PSIA), où j’ai passé deux belles années parmi un public très divers et très international. C’était à la fois bien en ligne avec mon expérience militaire, mais aussi très ouvert sur de multiples facettes des relations internationales et de la sécurité que j’ai découvertes grâce à ce prisme académique.
J’y ai trouvé une carte des cours extrêmement diversifiée, des professeurs de haute volée, fortes pointures dans leur domaine, venant du monde institutionnel civil et militaire, privé ou académique, et d’une grande rectitude intellectuelle.
J’ai eu un ancien représentant de l’ONU en Afghanistan… ou des personnalités comme Gilles Kepel, Philippe Migaux, Jean-Pierre Pochon ou le général Vincent Desportes : autant de points de vue différents, mais tous passionnants.
J’y ai aussi trouvé des jeunes attachants. Mais je tiens à rassurer mes camarades : le Basile (bar de la rue Saint-Guillaume fréquenté par les sciences-pistes) n’arrive pas à la hauteur du BôBar.
Et maintenant ?
Maintenant, je prépare mon retour dans la vie active. Et ce n’est pas simple : ne serait-ce que trouver un appartement à Paris convenablement adapté à mon handicap. Je vise de revenir dans quelques mois dans l’armée de terre, a priori dans un état-major parisien.
C’est là que je me vois m’épanouir. Et servir encore. Il reste cependant la question de mon statut en suspens, étant redevenu simple civil depuis ma réforme.
Je voudrais éviter d’avoir à signer comme contractuel en me faisant rattacher à un corps administratif ou technique de la fonction publique.
À plus long terme, si l’expérience n’est pas concluante, bien des choses me tentent : à Sciences-Po j’ai fait un court métrage de sensibilisation au handicap, Insight, comme coscénariste, assistant du producteur, puis acteur.
Je me suis régalé, et modulo quelques… ou beaucoup de cours de théâtre, c’est peut-être le début d’une nouvelle carrière (rires) ! quelques fois, je me dis que je pourrais peut-être un jour servir différemment, en politique ?
En parallèle, je cherche à poursuivre mon investissement auprès des militaires blessés en intégrant la réserve citoyenne.
Tu auras passé trois ans aux Invalides ?
J’aime cette maison, c’est quand même la maison mère du militaire blessé depuis 1674 ! J’y vis une véritable expérience humaine : FFL, résistants, compagnons de la Libération, déportés, combattants d’Indochine, d’Algérie ou des conflits plus récents, j’ai l’immense honneur de côtoyer ceux que les jeunes de ma génération ne connaissent que par leurs livres d’histoire.
Cette population s’est enrichie aujourd’hui des victimes d’attentats. Je m’épanouis ici. Et afin de défendre au mieux cette belle institution, j’ai été élu représentant des pensionnaires siégeant à son conseil d’administration.
De plus, sans le soutien du personnel, je n’aurais jamais pu mener mon aventure académique. D’ailleurs celle-ci a fait des émules : plusieurs pensionnaires ont décidé de reprendre des études. Et puis, last but not least, je dois avoir un des plus beaux panoramas de Paris, avec une vue imprenable sur le dôme qui ne cesse de m’émerveiller.
Et l’X dans tout ça ?
J’ai été frappé par l’immense solidarité de la communauté X. Les cadres de l’École m’ont beaucoup soutenu ou visité : mon directeur le général Michel, les chefs de corps et directeurs des études successifs, mon chef de section… et bien sûr mes camarades de promo, qui ont été formidables, mais aussi les anciens.
Pour conclure, une anecdote cocasse : un jour à Sciences-Po, Gilles Kepel nous présente un tout jeune conférencier, qui nous fait un topo éblouissant sur une recherche qu’il venait de faire sur la carte électorale en Tunisie. À la fin, je découvre que c’était un X 2011 ! Je me suis fait « Tossifer1 ».
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1. Tossifer : néologisme polytechnicien récent, de TOS (premières années à l’École),
signifiant approximativement « se faire considérer comme un bleu ».
Les Invalides : c’est côtoyer l’Histoire !
Commentaire
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Stéphane Colin
Une bien belle expérience et un beau courage. Bravo Stéphane, cher Camarade.