Simple, complexe ?

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°630 Décembre 2007Rédacteur : Jean SALMONA (56)

La musique a évo­lué au cours du temps, gros­so modo, du simple vers le com­plexe. Notre curio­si­té – et aus­si une cer­taine jubi­la­tion éli­tiste – peut nous por­ter les uns et les autres vers la com­plexi­té, tan­dis que notre aspi­ra­tion à la pure­té nous entraî­ne­rait vers la sim­pli­ci­té. Alors…

Pia­no

La musique a évo­lué au cours du temps, gros­so modo, du simple vers le com­plexe. Notre curio­si­té – et aus­si une cer­taine jubi­la­tion éli­tiste – peut nous por­ter les uns et les autres vers la com­plexi­té, tan­dis que notre aspi­ra­tion à la pure­té nous entraî­ne­rait vers la sim­pli­ci­té. Alors…

Pia­no
Gabrie­la Mon­te­ro, encou­ra­gée par Mar­tha Arge­rich, pré­sente un enre­gis­tre­ment unique à bien des égards : un ensemble de pièces de Rach­ma­ni­nov, Scria­bine, Gra­na­dos, Liszt, Ginas­te­ra, Cho­pin, Fal­la, sui­vies d’improvisations sur cer­taines de ces pièces1. Tech­nique par­faite, tou­cher maî­tri­sé : Gabrie­la Mon­te­ro fait mer­veille dans ce choix de pièces toutes d’une écri­ture com­plexe (à l’exception de Cho­pin et Fal­la) et dont cer­taines consti­tuent une décou­verte. Quant aux impro­vi­sa­tions, louables (les pia­nistes clas­siques n’improvisent plus depuis le XIXe siècle), elles sont brillantes et inégales (c’est la règle du genre).

Les Pièces lyriques de Grieg, que Daniel Prop­per vient d’enregistrer pour la mai­son Skar­bo de notre cama­rade J.-P. Férey2, sont, elles, d’une rafraî­chis­sante sim­pli­ci­té, musique de salon que l’on ima­gine assez bien jouée par de blondes jeunes filles dans une mai­son de cam­pagne à la Berg­man, mais qui n’est pas sans subtilité.

Chambre
C’est une autre sim­pli­ci­té qui marque les trois Sonates pour pia­no­forte et vio­lon obli­gé de l’opus 12 de Bee­tho­ven, enre­gis­trées récem­ment par Mido­ri Sei­ler et Jos van Immer­seel (au pia­no­forte)3. Com­po­sées quelques années après la mort de Mozart, ce sont des pièces élé­gantes et enle­vées, rien moins que roman­tiques, encore dans l’esprit du XVIIIe siècle, mais où point déjà le Bee­tho­ven des grandes Sonates (Prin­temps, Kreut­zer).

Qui connaît Juan Arria­ga, mort à 20 ans en 1826 ? Les trois Qua­tuors de ce com­po­si­teur basque, que vient de gra­ver le Nou­veau Qua­tuor Vlach4 sont la seule œuvre qui ait été publiée de son vivant. Eh bien, voi­ci un disque excep­tion­nel, une musique plus proche de Schu­bert que de Mozart et Haydn, simple par les thèmes et com­plexe par l’écriture, pleine de finesse et de modu­la­tions, bref à décou­vrir toutes affaires cessantes.

Une autre belle musique à décou­vrir : le Sex­tuor pour pia­no et cordes et l’Octuor pour cla­ri­nette, cor, bas­son, pia­no et cordes de Felix Wein­gart­ner (1863−1942), plus connu comme chef d’orchestre que comme com­po­si­teur, enre­gis­trés par l’Ensemble Acht et le pia­niste Otto Triendl5.

Les chefs d’orchestre qui ont été de grands com­po­si­teurs sont rares ; Mah­ler, Strauss (Richard) et Wein­gart­ner en font par­tie. Musique tour­née vers le pas­sé, comme celles de Brahms et Dvo­rak, aux­quelles elle s’apparente quelque peu, et qui véhi­cule toute la nos­tal­gie de feu l’Empire aus­tro-hon­grois dont Wein­gart­ner était issu.

Voix
Le pre­mier disque de la sopra­no Kate Royal est une révé­la­tion : la conjonc­tion ines­pé­rée d’un timbre cha­leu­reux et sen­suel, presque dépour­vu de vibra­to et d’une rare intel­li­gence du texte : Debus­sy, Can­te­loube (les Chants d’Auvergne), Ravel, Stra­vins­ki (du Rake’s Pro­gress), Orff, Strauss, et aus­si Gra­na­dos et Rodri­go6. La suc­ces­sion d’Elisabeth Schwartz­kopf est assurée.

Des com­po­si­teurs anglais contem­po­rains de Debus­sy et Ravel, on ne connaît guère que Vau­ghan Williams. C’est à lui et à d’autres moins connus que le ténor James Gil­christ consacre un disque de chants avec accom­pa­gne­ment de qua­tuor à cordes, flûte et cor anglais7. Des mélo­dies très éla­bo­rées, aux accom­pa­gne­ments raf­fi­nés, qui feront men­tir ceux qui consi­dèrent que, mis à part Brit­ten, il n’y a pas eu de grands com­po­si­teurs anglais au XXe siècle.

Sym­pho­nies
Nul ne brouille les cartes mieux que Tchaï­kovs­ki : des mélo­dies superbes de sim­pli­ci­té mais des orches­tra­tions com­plexes, exal­tant des pas­sions qui ne sont simples qu’en appa­rence, et der­rière les­quelles se dis­si­mulent tous les refou­le­ments. Une âme russe omni­pré­sente et un fort tro­pisme vers la musique occi­den­tale. EMI vient de regrou­per en un cof­fret les 6 Sym­pho­nies – dont seules les 4, 5, 6 sont vrai­ment bien connues – avec la Sym­pho­nie Man­fred (peu jouée, très belle), Roméo et Juliette, Fran­ces­ca da Rimi­ni et l’Ouver­ture « 1812 », enre­gis­tre­ments de Ric­car­do Mut­ti entre 1970 et 1986, avec les Orchestres Phil­har­mo­nia, New Phil­har­mo­nia, et l’Orchestre de Phi­la­del­phie8.

Mut­ti est un grand chef clas­sique, qui sait évi­ter le pathos, seul écueil de cette musique exa­cer­bée, qui rythme comme des bal­lets les mou­ve­ments à 3 ou 5 temps des sym­pho­nies, et qui tire un par­ti magni­fique des cordes soyeuses, des bois velou­tés et des cuivres chauds et dis­crets de ses trois orchestres, en des plans sonores bien décou­pés. Faire paraître simple ce qui est com­plexe : et si c’était cela l’essence même de l’art ?

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1. 2 CD EMI 5 58039 2.
2. 1 CD SKARBO DSK 1079.
3. 1 CD ZIG ZAG ZZT070802.
4. 1 CD AVENIRA 0172–2.
5. 1 CD CPO LC 8492.
6. 1 CD EMI 3 94419 2.
7. 1 CD LINN CKD 296.
8. 4 CD EMI 501769 2.

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