SMR : le réacteur nucléaire nouvelle génération
Dans cet entretien croisé, Renaud Crassous (X97) directeur du projet SMR, et Sébastien Lavorel (X01), responsable au sein de la direction projet (exploitation, maintenance et radioprotection) d’EDF, nous présentent ce projet nucléaire qui agrège de nombreux industriels de référence français et qui fait l’objet d’une très forte compétition à l’échelle internationale.
Quel est le contexte autour du projet SMR ?
Le projet SMR NUWARD est né en France avec l’ambition de se positionner comme le modèle de référence en Europe. Il s’intègre dans une émulation et une compétition forte autour des SMR à une échelle mondiale. Actuellement, on distingue deux types de réacteurs :
- les réacteurs à eau pressurisée ou bouillante, dits de génération 3, qui ont un fonctionnement proche des réacteurs actuellement en exploitation dans le monde entier ;
- les réacteurs AMR dits avancés, qui font appel à des technologies qui relèvent de la R&D et de l’expérimentation, comme les réacteurs à neutrons rapides refroidis, aux sels fondus ou à haute température.
NUWARD est un réacteur de génération 3 qui va présenter des caractéristiques proches des réacteurs actuels en termes de conception, d’exploitation, de maintenance, de démantèlement, et de cycle du combustible. Au niveau de la taille, les SMR peuvent prendre la forme de micro-réacteurs de quelques mégawatts pour des usages spécifiques ou des réacteurs d’une capacité de 200 à 500 mégawatts. NUWARD est conçu comme un réacteur connecté au réseau électrique haute-tension qui a vocation à produire de l’électricité et/ou de la chaleur en cogénération. Concrètement, il s’agit d’une installation industrielle, une centrale, qui a la même capacité de production qu’un barrage ou qu’un champ éolien offshore avec une cinquantaine d’éoliennes.
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Ces réacteurs SMR s’inscrivent dans un paysage nucléaire totalement modifié. Qu’en est-il ?
Aujourd’hui, dans la course au SMR, sept modèles principaux sont en compétition, dont quelques-uns avec une tête de série en construction ou en opération. L’objectif actuel de NUWARD™ est d’avoir un début de déploiement à horizon 2030.
Le SMR émerge donc comme un segment nouveau de l’usage du nucléaire civil qui intéresse et réunit des acteurs relativement nouveaux. En matière de développement, aux côtés des compagnies d’ingénierie et des développeurs de réacteurs connus sur le marché, on retrouve aujourd’hui des start-up et des structures dédiées qui créent des technologies nouvelles et nous challengent sur notre marché historique.
En parallèle, le profil des clients a aussi évolué. Sont ainsi intéressés par ces SMR des industriels de taille significative, des zones portuaires pour pouvoir se lancer dans la production d’hydrogène pour alimenter les bateaux, mais aussi des électriciens qui n’ont pas l’ossature pour se doter de gros réacteurs. De nombreux pays ont exprimé leur intérêt pour cette technologie comme la République Tchèque, la Finlande, la Roumanie, la Pologne ou encore l’Estonie. Enfin, on note aussi des changements au niveau du financement. Jusque-là, le nucléaire était financé par les États ou des compagnies publiques. Aujourd’hui, des investisseurs privés se positionnent sur ce segment et investissent des dizaines, voire des centaines de millions d’euros pour développer ces technologies SMR, qui restent toutefois risquées et encore peu matures.
Quel est le positionnement de NUWARD dans cette course au SMR ?
Ce projet est le fruit de la volonté de plusieurs industriels français de développer cette technologie. On retrouve ainsi TechnicAtome, qui a une compétence forte dans les réacteurs intégrés de petite taille ; Naval Group, qui a une compétence avérée dans l’industrialisation et les constructions modulaires ; le CEA qui a une forte connaissance dans le domaine nucléaire, ainsi que d’importantes capacités de moyens d’essai et de développement de codes de calcul ; et EDF, intégrateur, spécialiste de l’ingénierie nucléaire et exploitant, qui apporte toutes les compétences nécessaires au développement de la centrale à eau pressurisée. Récemment, nous avons été rejoints par Framatome qui apporte, au-delà de ses compétences, sa force de frappe industrielle (ingénierie industrielle, fabrication d’équipements…) et Tractebel, un spécialiste de l’ingénierie d’exploitation.
Notre ambition est de continuer à étoffer ce cercle de compétences, qui est probablement le plus riche et le plus complet, en comparaison aux autres acteurs qui travaillent sur le SMR. Cette combinaison d’industriels, de leurs compétences et de leur savoir-faire va permettre d’optimiser le passage de l’étape de l’ingénierie à l’industrialisation. Sans oublier que dans cette démarche, nous capitalisons aussi sur l’expérience historique et le retour d’expérience d’EDF dans le domaine nucléaire. L’objectif final est que notre projet soit reconnu comme la référence en la matière en Europe.
Quelles sont les spécificités techniques du projet et ses principaux leviers de différenciation ?
La compétitivité des SMR repose sur la capacité d’industrialisation et la simplicité du design. En effet, l’enjeu est non seulement de pouvoir concevoir et développer des systèmes simples qui s’appuient sur des matériels facilement constructibles, mais aussi de pouvoir mettre en place une logique d’assemblage de modules en usine afin de réduire la phase de construction sur site.
Les chantiers nucléaires sont complexes à mener et sont caractérisés par de nombreuses interfaces. L’idée est donc de réduire significativement le nombre d’interfaces pour éviter les blocages, sécuriser des plannings courts et, in fine, minimiser les coûts. Cela demande de l’innovation dans la manière de travailler. Par exemple, au niveau de la chaudière, nous allons intégrer les différents composants dans le bloc chaudière ou dans l’enceinte pour limiter le volume du réacteur et le nombre de circuits. Cette façon de faire permet d’avoir un module de petite taille et d’améliorer la constructibilité.
Dans le passé, pour les gros réacteurs, nous avons cherché à faire jouer l’économie d’échelle en amortissant le coût des matériaux par une production plus importante de kilowattheures. Pour les SMR, la logique est différente : il s’agit de privilégier une conception plus simple et de remplacer les économies d’échelle par une fabrication en série dans une usine en amont capable de reproduire des exemplaires multiples de modules grâce à une chaîne de production et un chantier de construction optimisés. Cette approche a fait ses preuves dans de nombreux autres secteurs et nous sommes confiants quant à sa valeur ajoutée pour notre projet.
Et concrètement, où en est le projet ?
Nous sommes en phase d’avant-projet sommaire, l’étape durant laquelle nous définissons l’architecture de la centrale, les principales options technologiques et le design. Elle sera finalisée début 2023 et sera suivie de la phase de « basic design » qui va permettre de spécifier l’intégralité des équipements et des systèmes qui vont composer la centrale. En 2023, nous lancerons aussi la phase de pré-industrialisation avec les fournisseurs d’équipements qui vont travailler sur le projet avec un focus sur l’optimisation des équipements et de leur fabrication.
Comment s’inscrira le SMR dans la démarche de décarbonation des usages énergétiques ?
La décarbonation de l’énergie passe par l’accès à une électricité décarbonée. Les SMR auront vocation à remplacer les moyens de production carbonés pilotables (charbon, pétrole et gaz) et à apporter une réponse à la demande croissante en électricité. Mais pour franchir ce cap de la décarbonation, il faut mobiliser tous les efforts et toutes les énergies, non pilotables : l’éolien, le photovoltaïque, et pilotables : l’hydraulique, le nucléaire de grande et de petite taille.
Et il faut également des compétences et des talents…
En effet, la lutte contre le changement climatique et la décarbonation des usages sont avant tout des enjeux humains. Dans un projet comme NUWARD qui ambitionne de construire une capacité nucléaire complémentaire, nous hybridons et conjuguons de nombreuses compétences. Aux profils nucléaires viennent s’adjoindre des talents issus d’autres industries afin d’apporter cette modularité, la simplification du design, une constructibilité facilitée… autant de choses nouvelles dans le monde du nucléaire.