Réussir une restructuration sensible en travaillant sur soi
Voici un témoignage personnel sur la conduite d’une restructuration a priori difficile, qui a été réussie grâce à l’utilisation de techniques de développement des soft skills. À l’occasion de l’exposé de la démarche sont présentées trois de ces techniques de soft skills qui ont été utilisées. Ainsi l’on voit comment la transformation d’une situation tendue en entreprise ne peut avoir lieu sans un travail sur soi. Sois toi-même le changement que tu veux voir dans le monde.
En avril 2012, j’ai été nommée directrice adjointe de la direction des ventes indirectes d’Orange Business Services (OBS) en France, chargée de la transformation de l’entité, décidée alors. Le contexte de cette transformation, sur le plan business, était que le réseau de partenaires en France, gérés par cette entité, était distendu (près de 2 000 partenaires), avec une efficacité commerciale très hétérogène. L’organisation de ces partenariats était peu cadrée, presque à 100 % à la main des responsables partenaires de l’entité (avec des validations de budget au cas par cas par le codir), eux-mêmes gérant des portefeuilles de partenaires constitués historiquement par géographie et sans logique de profil.
Une situation RH problématique
Sur le plan des ressources humaines, de nombreuses tensions s’étaient créées dans le codir, même si celui-ci était constitué presque à 50 % de membres récemment recrutés. Les relations syndicales, dont je pris la charge, étaient difficiles, avec un CHSCT (comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) parfois polémique, certaines récriminations envers la direction et quelques sujets psychosociaux délicats. En outre, le dialogue était difficile avec les délégués du personnel, qui avaient tendance à se positionner dans l’opposition. À part le codir, l’entité bénéficiait de très peu de renouvellement des collaborateurs : de nombreuses personnes étaient dans leur poste depuis dix ans et plus, notamment car le site était un site géographiquement isolé dans la banlieue est parisienne, et aussi car j’ai pu constater très vite une certaine aversion au changement.
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Un projet bien défini
Le projet de transformation décidé par le directeur, nommé quelques semaines avant moi, avait ainsi plusieurs objectifs : professionnaliser le réseau de partenaires en le réduisant et en le rendant plus efficace commercialement, notamment à travers une meilleure gestion par les responsables partenaires, grâce à l’établissement d’une segmentation et d’un programme partenaire structuré (transformation métier) ; améliorer la qualité de la collaboration au sein du codir pour qu’il devienne exemplaire et incarne la transformation métier, mais aussi la transformation nécessaire en termes de posture et de professionnalisation des collaborateurs ; différencier les profils des responsables partenaires, notamment en alignant les compétences requises avec le segment de partenaires géré, ce qui entraînerait de nombreux changements de poste qu’il allait falloir accompagner humainement.
Commencer par travailler sur soi-même
Pour cela, entre autres il fut décidé de créer une entité marketing, communication et pilotage, produisant notamment les données nécessaires à l’organisation et à la gestion du réseau de partenaires, dont je fus chargée. J’étais ainsi responsable de l’opérationnalisation, du bon déroulement, ainsi que du pilotage de cette transformation. J’avais à l’époque un profil très opérationnel, orienté résultats, avec une forte expérience de management de chefs de projet. Il paraissait nécessaire que j’élargisse mon champ de compétences, notamment dans le management de profils différents, dont certains difficiles. Mais très vite j’ai réalisé que le principal travail qui pouvait faire de cette transformation un succès était celui sur ma posture, et sur mes soft skills.
L’utilité d’un coach
Le directeur et moi avons très vite fait appel à une coach pour le codir, ainsi que pour m’aider dans la relation avec une de mes collaboratrices, avec laquelle les relations ont été très tendues dès le départ : elle n’avait notamment pas les compétences requises sur le poste qu’elle occupait à mon arrivée mais, en tant que salariée avec un mandat syndical, il fallait prendre soin de ne pas sembler lui imposer un changement de rôle, cela malgré le fait qu’elle était en souffrance par rapport au nouveau niveau d’exigences de celui-ci, lié à la transformation menée. Nous avons aussi bénéficié d’un coaching tripartite pour travailler sur notre relation. C’est ainsi que j’ai pu me transformer, et cela a été la clé dans la réussite de la transformation de cette entité.
Écoute et empathie
J’ai tout d’abord amélioré ma capacité d’écoute et mon empathie : dans un environnement avec de la souffrance au travail, ces qualités m’ont permis de mieux appréhender ce que vivaient mes collègues et de me mettre au diapason avec eux. J’ai appris à identifier les besoins associés aux différentes émotions et à mieux gérer celles-ci, c’est-à-dire à décoder les messages transmis par les émotions (les miennes et celles de mes collègues).
“Décoder les messages transmis par les émotions.”
J’ai ainsi pu les utiliser pour générer des actions ou des changements de posture. J’ai découvert des bases de la communication non violente (cf. encadré), notamment l’utilité de la question sans réponse : si je dois répondre à une question qui m’est posée pour me faire réagir, cela crée une nécessité, je dois m’adapter à celui ou celle qui me pose la question, et cela induit nécessairement une contrainte. Alors que, si je reçois le message « c’est une question pour toi, tu n’as pas besoin de me répondre », le champ des possibles reste ouvert et l’effet transformatif de la question posée est à la fois plus écologique pour la personne, respectant son équilibre, et plus durable. Cela m’a permis notamment de faire changer les comportements autour de moi.
La communication non violente
La communication non violente (CNV) est une technique de communication développée par le psychologue Marshall Rosenberg dans les années 1960. Elle est également connue sous le nom de « communication compatissante » ou « communication collaborative ». Le but de la CNV est de faciliter la communication pacifique et la résolution des conflits, en mettant l’accent sur l’écoute empathique, l’expression des sentiments et des besoins, et la formulation de demandes qui respectent l’autonomie des autres.
Le cadre de la CNV repose sur quatre éléments clés : observation (décrire objectivement une situation ou un comportement, sans jugement ni interprétation) ; ressentir (exprimer des émotions liées à l’observation, en utilisant des déclarations en « je » plutôt qu’en blâmant ou en accusant) ; besoin (identifier les besoins ou les valeurs sous-jacents qui motivent les sentiments) ; demande (formuler une demande claire et précise visant à répondre aux besoins des deux parties). La CNV met l’accent sur l’importance de l’empathie, de l’écoute active et de la création d’un espace sécurisé pour une communication ouverte et honnête.
L’objectif de la CNV est de favoriser un sentiment de connexion et de compréhension entre les individus, même au milieu d’un conflit ou d’un désaccord. La CNV a été utilisée dans une variété de contextes, y compris les relations interpersonnelles, le développement communautaire et la résolution de conflits dans les mouvements politiques et sociaux. C’est un outil puissant pour promouvoir la compréhension, la compassion et la coopération dans tous les domaines de la vie.
Pour en savoir plus : https://www.cnvc.org/
Pratiquer le feedback
Nous avons aussi instauré la pratique du feedback : nous avons appris la manière de le « délivrer en trois temps » (les faits, ce que cela a provoqué chez moi et ma demande vis-à-vis du réceptionnaire du feedback) ; entre autres, nous avons retenu la règle de trois feedbacks positifs pour un axe d’amélioration. La communication entre membres du codir s’en est grandement améliorée et les tensions ont commencé à s’apaiser. En ce sens aussi, avec l’aide du MBTI (cf. encadré), nous avons travaillé sur les différents modes de communication adaptés aux différents profils. Forts de ces outils, nous avons pu développer les relations individuelles au sein du codir, ce qui a amélioré la qualité de notre collaboration et l’a rendue plus efficace.
Le Myers-Briggs Type Indicator
Le Myers-Briggs Type Indicator (MBTI) est un outil d’évaluation de la personnalité largement utilisé, fondé sur les travaux du psychologue Carl Jung, qui classe les individus en 16 types de personnalité en fonction de leurs préférences pour quatre paires de fonctions psychologiques : extraversion-introversion, détection-intuition, penser-ressentir et juger-percevoir. Le MBTI a été utilisé à diverses fins, telles que l’orientation professionnelle, le team building et le développement personnel. De nombreuses organisations utilisent le MBTI pour aider les individus à mieux comprendre leurs préférences de personnalité et comment ils peuvent les appliquer à leur travail, à leur style de communication et à leurs relations interpersonnelles.
Dans le team building, le MBTI peut être utilisé pour aider les membres de l’équipe à mieux comprendre les forces et les faiblesses de chacun et à travailler plus efficacement ensemble. En identifiant le type de personnalité de chaque membre de l’équipe, les chefs d’équipe peuvent attribuer les tâches les mieux adaptées aux forces de chacun et aider les membres de l’équipe à communiquer plus efficacement. En développement personnel, le MBTI peut aider les individus à mieux comprendre leur propre personnalité et comment ils interagissent avec les autres. Les individus, en obtenant un aperçu de leurs préférences personnelles, peuvent améliorer leurs compétences en communication, développer des relations plus solides et mieux gérer leurs propres émotions.
Il est important de noter que le MBTI a ses critiques et ses limites. Certains chercheurs soutiennent que le test manque de validité et de fiabilité scientifiques, et que les types de personnalité sont simplifiés à l’extrême et ne capturent pas avec précision la complexité de la personnalité humaine. Malgré ces critiques, le MBTI reste un outil populaire de développement personnel et professionnel.
Pour en savoir plus : https://www.myersbriggs.org/
Exprimer sa propre vulnérabilité
Sur un plan plus personnel, j’ai pris conscience de ma difficulté à entendre les besoins de mes manageurs, qui touchait à mon besoin de sécurité. Je suis progressivement passée d’une logique « là où mes manageurs ont des besoins, c’est là que je suis mauvaise » à « j’encourage l’expression des besoins et je les prends en compte comme l’individualité de mes collaborateurs et leurs axes de développement ». J’ai beaucoup réfléchi sur la portée de la nécessaire posture d’exemplarité du manageur : « Ce que je fais devient modèle » est souvent un principe porté par les leaders éclairés. J’ai réalisé par voie de conséquence que, si je n’acceptais pas mes propres faiblesses, je montrais qu’il ne fallait pas le faire, ce qui pouvait faire souffrir ou paralyser mes collaborateurs. L’exemplarité n’est donc pas synonyme de perfection et l’expression de sa propre vulnérabilité peut débloquer des apprentissages pour les autres.
Identifier ses valeurs
J’ai pu identifier mes valeurs au sens de la pyramide de Dilts (les six niveaux logiques, cf. encadré), notamment que le respect était au cœur de ces valeurs. J’ai ainsi compris l’origine de ma colère quand on les bouscule. En m’alignant sur elles, j’ai profondément réorienté mon mode de management : en comprenant aussi l’équilibre du tryptique puissance-protection-permission, j’ai appris à accompagner sans interdire, développer sans imposer. J’ai réalisé que la forme de leadership qui me permettrait de contribuer au mieux à atteindre nos objectifs de transformation s’exprimait par le « pouvoir de » plutôt que par le « pouvoir sur ». Aussi que mon critère personnel de succès était d’être alignée avec les attentes.
“Le « pouvoir de » plutôt que le « pouvoir sur ».”
J’ai ainsi réévalué mes propres attentes afin de me mettre en situation de réussir, besoin clé aussi chez moi. J’ai découvert la vertu de savoir perdre du temps pour en gagner ensuite, et que le processus, surtout dans un contexte de transformation, est aussi important que la production. J’ai alors soigné la qualité de ma présence à l’autre, au groupe, pour me rapprocher de l’état de pleine conscience, qui est si puissant. Enfin, j’ai pris conscience de mon impact, de mon haut niveau d’intensité permanent : j’ai appris à le canaliser, à l’utiliser à bon escient. Cela m’a permis de savoir quand prendre du recul, quand se placer en position Méta pour s’observer et s’ajuster, et surtout de savoir lâcher prise, ce qui a aussi un effet systémique bénéfique.
La pyramide de Dilts
La pyramide de Dilts fait référence à un modèle pour comprendre et travailler sur différents niveaux d’expérience et de changement pour les individus et au sein des organisations. Ce cadre a été développé par Robert Dilts, un formateur et auteur renommé en PNL (programmation neurolinguistique).
Selon Dilts, il existe six niveaux d’expérience et de changement, qui sont : environnement (ce niveau fait référence à l’environnement externe dans lequel un individu ou une organisation opère, y compris l’environnement physique et social ; à ce niveau, des changements peuvent être apportés à l’environnement externe pour influencer le comportement) ; comportement (ce niveau fait référence aux actions ou habitudes observables d’un individu ou d’une organisation ; des changements à ce niveau peuvent être apportés grâce à la rétroaction et au coaching) ; capacités (ce niveau fait référence aux compétences et aux capacités d’un individu ou d’une organisation ; des changements à ce niveau peuvent être apportés par la formation et l’éducation) ; croyances et valeurs (ce niveau fait référence aux croyances, valeurs et attitudes d’un individu ou d’une organisation ; les changements à ce niveau nécessitent un changement de perspective et peuvent être influencés par le coaching et la thérapie) ; identité (ce niveau fait référence au sens de soi ou de l’identité collective d’un individu ou d’une organisation ; les changements à ce niveau nécessitent une exploration approfondie de ses valeurs, de ses croyances et de son objectif, et peuvent être influencés par la thérapie, le coaching et les pratiques de développement personnel) ; spiritualité (ce niveau fait référence à la connexion avec quelque chose de plus grand que soi, comme une puissance supérieure ou une conscience universelle ; les changements à ce niveau nécessitent une exploration plus profonde de sa spiritualité et peuvent être influencés par des pratiques et des expériences spirituelles).
Les niveaux logiques de Dilts fournissent un cadre utile pour comprendre les différents niveaux de changement et de développement que les individus et les organisations subissent, et peuvent aider à identifier où concentrer les efforts pour le changement le plus efficace.
Construire une histoire commune
Le coaching tripartite avec le directeur nous a entre autres permis de décider d’investir en temps de travail sur notre relation : nous exprimions nos besoins respectifs, prenions le temps de négocier les différences et de nous mettre d’accord sur l’ajustement de notre fonctionnement. Nous avons enfin mis en œuvre un processus de coconstruction du sens, pour mon équipe et pour le codir, puis des objectifs et des moyens. Il y avait un fort besoin d’apprentissage au sein du codir, qui n’était possible que si les membres du codir se sentaient en situation d’autonomie ; sinon, le résultat aurait été au contraire l’appauvrissement. Nous nous sommes donc inspirés d’une pratique rituelle de knowledge sharing : dédier un moment pour qu’une personne référente explique sa pratique et que les autres prennent ce qui s’applique dans leur cas en questionnant en profondeur « et comment ».
Nous avons appris à développer la curiosité envers les autres dans un groupe et la découverte de notre si riche diversité. Enfin, nous avons travaillé le storytelling et, peu à peu, nous nous sommes construit une histoire commune dans le changement : nous prenions le temps de retracer les étapes et le chemin parcouru. Nous organisions ainsi des moments de convivialité pour partager cela avec le reste de l’entité, et célébrer les succès.
Un résultat probant
À mon départ de l’entité, deux ans et demi plus tard, avec le directeur nous avons pu constater le succès de ma mission : tant au niveau business qu’au niveau des ressources humaines internes, nous avions atteint nos objectifs de transformation. Le réseau de partenaires a été réduit drastiquement, en conservant uniquement ceux qui généraient une rentabilité au-dessus d’un certain seuil. En outre, un programme partenaire a été établi contractuellement et communiqué à tous les partenaires, afin de les gérer de façon beaucoup plus cadrée.
Le codir a appris à travailler beaucoup plus efficacement, avec beaucoup plus d’autonomie vis-à-vis du directeur, grâce notamment à un ensemble de réunions bilatérales ou à plusieurs, qui se sont structurées et déroulées dans un esprit beaucoup plus collaboratif. Enfin, l’entité a été réorganisée entièrement, aux niveaux tant des fonctions centrales que des rôles commerciaux en région. Et les responsables partenaires ont exprimé une grande satisfaction vis-à-vis de l’adaptation de leur rôle, une des conséquences étant un climat social grandement apaisé. La transformation a continué après mon départ de l’entité, puisqu’il a été décidé, quelques années plus tard, de revoir la nature des partenaires choisis et leur part dans les ventes d’OBS en France.