Soie et Lumières
Les lecteurs attentifs de La Jaune et la Rouge peuvent parfois lire quelques informations sur les “camarades” polytechniciens qui ont contribué à la modernisation du Japon à la fin du XIXe siècle au moment de l’ère Meiji.
C’est ainsi qu’un grand article de La Jaune et la Rouge d’avril 1992 a présenté la figure de Léonce Verny, X 1856, dont l’œuvre japonaise considérable a porté – entre autres – sur la construction des premiers chantiers navals japonais, à Yokohama ; c’est ainsi que, lors du bicentenaire de l’École, une manifestation a eu lieu en 1994 à Tokyo et m’a permis d’évoquer les figures de Verny, mais aussi de Louis Bertin (X 1858) qui joua un rôle dans la modernisation de la marine ; c’est ainsi que, plus récemment, la recension d’un ouvrage japonais sur Louis Kreitmann (X 1870) et son petit-fils Pierre Kreitmann (X 1932) a permis de remettre en lumière la figure d’un jeune polytechnicien militaire, voyageur et bon observateur du Japon et des États-Unis par lesquels il revint, comme le montrent ses cahiers transcrits par son petitfils, avec fidélité.
Les amateurs curieux soit de l’histoire de Polytechnique soit de celle du Japon, et a fortiori des moments où elles se mêlent, trouveront donc un grand intérêt à la lecture d’un ouvrage de Christian Polak intitulé Soie et Lumières, l’âge d’or des échanges franco-japonais (des origines aux années 1850).
Ce livre, bilingue et richement illustré, ouvre des horizons sur les multiples domaines dans lesquels, pendant toute la période citée en sous-titre mais surtout dans la seconde moitié du XIXe siècle, des Français ont contribué à la modernisation du Japon : entrepreneurs intéressés par le commerce de la soie ou la technologie du ver à soie ; militaires apportant leur savoir-faire aux troupes japonaises et se trouvant d’ailleurs pris dans les tourmentes de l’histoire, tantôt du côté des réformistes, tantôt du côté des traditionalistes qui s’opposaient à la mise en place de l’ère Meiji ; diplomates essayant eux aussi de prendre le vent au mieux tout en endurant la compétition des Anglais, des Allemands, des Américains ; ingénieurs des Mines mettant en exploitation des gisements ; juristes proposant la modernisation de codes, etc.
La lecture de ce livre nous apporte à la fois le plaisir de la connaissance historique, le bonheur d’admirer de très belles illustrations, estampes ou aquarelles reproduites avec soin, et pour nous, polytechniciens, la possibilité donc de faire davantage connaissance avec des anciens qui avaient à leur manière interprété la devise de l’École, voyageant au pays du Soleil-Levant avec tout à la fois leur esprit de curiosité et leur esprit de mission.
En ce sens, la figure de Jules Brunet, X 1857, officier de la première mission militaire arrivée en 1867 au Japon et resté fidèle à ses élèves japonais, des desperados opposés aux idées réformatrices de l’empereur, au point de les accompagner au Hokkaido dans une rébellion vouée à l’échec, est particulièrement vivante et colorée – et c’est à dessein que je peux employer ce terme qui s’applique aussi aux excellentes aquarelles que notre Brunet (qui avait déjà de bonnes notes de dessin à l’École, je l’ai vérifié dans son dossier personnel à l’École, par exemple un 19 sur 20 en dessin au concours d’entrée) a croquées pendant tout son séjour japonais